40 ans de combat pour le vélo en Wallonie et à Bruxelles : le bilan du GRACQ

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A l’occasion des 40 ans du GRACQ, nous avons ouvert notre infolettre à Bernard Dehaye, actuel président de l’association. Il nous en brosse un historique riche en événements militants. Longue vie au Gracq dont le combat reste plus que jamais d’actualité tant à Bruxelles qu’en Wallonie, régions où la part de vélo au sein des différents modes de transport, en progression, reste insuffisante !

C’est le dimanche 25 mai 1975, il y a 40 ans, que s’est tenue une grande manifestation réunissant sur la place du Jeu de Balle, au cœur des Marolles, 2.500 cyclistes, venus réclamer aux autorités un meilleur partage de l’espace public au profit des cyclistes.

Il n’est pas inutile de nous remémorer le contexte de l’époque. Nous sommes à la fin des Trente Glorieuses, ces 30 années qui ont suivi la fin de la 2e guerre mondiale. L’effort de reconstruction d’après-guerre a donné de l’appétit aux bétonneurs et aux constructeurs automobiles. L’espace public est progressivement phagocyté au bénéfice des automobilistes. Pour élargir les routes et les rues, les autorités décident entre autres de supprimer les pistes cyclables devenues, selon eux, inutiles puisque « tout le monde pourra bientôt se déplacer en automobile sans se fatiguer ». C’était en tout cas leur vision du progrès.

Dans la mouvance des contestations étudiantes de mai ’68, de la bataille de la Marolle, de la résistance au projet Manhattan entre autres, et d’une prise de conscience mondiale des problème d’environnement, de plus en plus de citoyens s’associent et se mobilisent face à l’envahissement de l’espace public par le béton et la voiture, face à ces autoroutes urbaines qui défigurent Bruxelles et rendent la pratique du vélo de plus en plus périlleuse.
Le premier choc pétrolier en 1973 amorce de grands changements en Europe. Les Pays-Bas lancent le premier dimanche sans voiture au mois de novembre, une initiative reprise en Belgique le dimanche 18 novembre, et les 3 dimanches qui suivent. Les citoyens redécouvrent le calme d’une ville sans voiture et le plaisir du vélo… et c’est notamment là que se rencontrent Jacques Dekoster et Damien Morelle, qui fonderont le GRACQ 18 mois plus tard.

Le GRACQ est la 3e association de défense des cyclistes à voir le jour en Europe, après le Mouvement de Défense de la Bicyclette à Paris en ’74 et la création du Fietsersbond à Amsterdam début ’75.

Lors de la préparation de la manifestation du 25 mai ’75, organisée par le CATU et les Groene Fietsers, on distribue aux manifestants des feuilles avec quelques conseils de bons comportements (entre autres, ne pas abîmer les voitures malgré les provocations et les coups de klaxon prévisibles) et une demande de signaler sur un talon les coordonnées de ceux qui voudraient continuer le combat.

Mais la plupart n’osèrent pas s’engager, soit parce que la tâche leur semblait impossible, soit, et on ne le comprit que plus tard, devant le mépris témoigné aux cyclistes par la plupart des décideurs et par la population en général. S’avouer cycliste à l’époque, équivalait à faire son coming- out au début de ce siècle. Outre les moqueries constantes (du genre « hé t’as pas les moyens de t’acheter une voiture ? »), les interdictions de parquer son vélo n’étaient pas rares. Quand ce n’était pas de réelles menaces sur l’emploi, comme ce fut le cas aux institutions européennes, ce qui a conduit à la création de l’EUCG.

Quelques cyclistes se rassemblent cependant et se baptisent alors « les G.R.A.C.Q.U.E.S ». C’est en fait un clin d’œil peu optimiste aux frères Gracques, Tiberius et Caius Gracchus, deux hommes d’Etat romains, courageux tribuns de la plèbe, qui s’opposèrent de manière citoyenne au Sénat romain pour réclamer en vain plus d’égalités sociales pour le peuple. Et qui y laissèrent chacun la vie. À croire que nos valeureux cyclistes fondateurs ne croyaient guère en leurs chances de succès.

Ce nom devient le sigle de l’association :

 « G » pour groupe, car ils ne sont au départ qu’un noyau dur de quelques cyclistes.

 « RA » pour recherche et action. Avec la primauté de la recherche sur l’action, à l’opposé de l’activisme à tout crin, l’anarchisme libertaire de certains, tel que plus tard les CQFD (cyclistes quotidiens follement dynamiques) qui, après avoir envoyé un encrier à la tête du bourgmestre, n’obtinrent aucune avancée si ce n’est un blocage complet à l’égard de tous les cyclistes à Woluwe-St-Lambert pendant la durée du mandat du bourgmestre qui dura 30 longues années. Les GRACQUES estimaient qu’avant d’agir, il fallait savoir, et que pour savoir, il fallait chercher. Chercher où ? Là où il se passait déjà quelque chose : aux Pays-Bas, en Grande- Bretagne, en France, en Allemagne, et partout dans le monde.

 Le « CQ » pour cyclistes quotidiens était une proclamation de son « utilitarisme », en rupture avec les associations sportives.

 Le « UE » ne signifiait pas « de l’Union Européenne », mais « d’Uccle et environs » et exprimait donc la racine uccloise et la volonté de ne pas se disperser, le bénévole étant rare et n’ayant pas trop de temps.

Devant le succès rencontré par les Gracques, qui dépassa rapidement les frontières bruxelloises, le GRACQ devenu cosmique, voire intersidéral, décida finalement de se couper la queue pour ne garder que les 5 premières lettres du sigle.

Pour être complet, il faut signaler que le mouvement cycliste est initialement bilingue, son sigle complet était GRACQ-OAF. OAF pour Onderzoek en Actie voor Fietsgebruikers. Fin des années ’80, le GRACQ-OAF fera même partie du Fiets Overleg Vlaanderen, l’ancêtre du Fietsersbond.

Un mouvement dynamique a besoin d’un bulletin de liaison, c’est la naissance du Ville-à-Vélo, dont le 1er numéro, tapé à la machine sur stencils, sortira l’année suivante, accompagné du premier logo du GRACQ. Pourquoi avoir choisi le terme « Ville » à vélo ? Pourquoi exclure la campagne ? A l’époque déjà, les autorités voulaient cantonner les cyclistes à rouler sur les jolies routes de campagne et les digues de mer. Or, les Gracques revendiquaient justement de ne pas être réduits à des cyclistes de loisir et de week-end, mais de pouvoir être des cyclistes quotidiens, surtout les jours ouvrables. Leur étendard serait donc celui de « la Ville… à vélo ».

Et ça marche ! Les autorités nationales et communales commencent à prendre conscience de l’existence d’une association de défense des intérêts des cyclistes, le GRACQ, et de l’importance de la sécurité routière pour ces usagers de la route.

Lors du congrès organisé en ’80, le GRACQ démontre qu’une vraie politique vélo ne se soucie pas que de bouts de pistes cyclables, mais aussi de bons aménagements continus, des règles favorables aux cyclistes, de bons parkings vélos, d’une bonne complémentarité avec les transports en commun, d’une administration suffisamment nombreuse et compétente, tout cela avec 25 ans d’avance sur les audits BYPAD.

On peut donc dire que si le GRACQ devient un interlocuteur crédible aux yeux des pouvoirs publics, c’est notamment grâce à son expertise vélo emmagasinée au fil de nombreux voyages menés à l’étranger. Notons que tous ces voyages étaient financés sur fonds propres, et que tout le monde était bénévole. C’était aussi l’occasion de nouer des contacts avec les cyclistes d’autres pays d’Europe, ce qui conduira d’ailleurs au tout premier Velo-city à Brême, puis à la création de l’ECF, la Fédération européenne des cyclistes.

Progressivement les choses bougent dans la capitale : un premier projet de réseau d’itinéraires cyclables, une Commission deux-roues au sein de laquelle le GRACQ est l’unique représentant des usagers, un premier parking vélo dans une station de métro. C’est également le GRACQ qui est à l’origine de la première carte de Bruxelles cyclable, l’ancêtre de la carte modes actifs. Elle fut à l’époque bricolée héroïquement, et sortira en 1.500 exemplaires, patiemment pliés au domicile des Dekoster.

Après une série d’avancées, on enregistre aussi quelques reculs : comme par exemple la suppression des sens uniques limités en 1977, dont on n’obtiendra la réintroduction dans le code qu’en 1990, après 13 longues années de combat, puis l’obligation en 2004 (toujours pas respectée dans certaines communes wallonnes hélas !).

Au départ ucclois, puis bruxellois, le GRACQ contamine la Wallonie, avec un premier groupe à Liège en ‘78, même si le Comité Cycliss Lidjwè ne portera le nom GRACQ qu’en ’82, puis la création au début des années ’90 des GRACQ Brabant wallon, Namur et Mons.

En 1992, le GRACQ et ‘t Greune Veloske (l’ancêtre du Fiestersbond Brussel), fondent l’asbl Pro Velo. C’est aussi cette année-là que le GRACQ devient une asbl. Et en ’95, c’est la naissance du Fietsersbond belge, qui unifie les nombreuses associations régionales flamandes sous un seul fanion. Le Fietsersbond, avec qui le GRACQ travaille aujourd’hui en étroite collaboration à Bruxelles et au niveau fédéral, fête donc cette année ses 20 ans.

Viendront ensuite Dynamobile, Chemins du Rail, Rando-Vélo: toutes des associations qui contribuent, chacune à leur manière, à faire progresser la cause du vélo, et dans lesquels s’investissent plusieurs de nos membres actifs.

Le mouvement cycliste a abattu, en 40 ans, une quantité impressionnante de travail. Des publications, des actions revendicatives, de la sensibilisation, des dossiers, des rencontres, des mémorandums et des réunions…

Le GRACQ rassemble aujourd’hui près de 2.500 ménages membres et 6 salariés. Pro Velo plus de 70 employés. L’association s’appuie sur le travail de 70 sections communales et points de contact, à Bruxelles et en Wallonie, de Mouscron jusqu’à Arlon.
Le combat continue car les défis sont encore nombreux : normaliser l’image du vélo comme mode de transport chez les francophones de ce pays, sécuriser les déplacements à vélo, lutter contre le vol qui devient endémique dans les grandes villes, généraliser l’indemnité vélo à tous, pouvoir stationner son vélo dans son immeuble, à l’école, devant les commerces, etc.

Même si la part du vélo est en croissance à Bruxelles et dans certaines villes wallonnes, le travail est loin d’être fini et le GRACQ a toujours besoin de soutiens bénévoles : http://www.gracq.org/rejoignez-nous

Bernard DEHAYE – Président

Canopea