Agriculteurs, un autre modèle agricole est possible !

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Les pesticides sont perçus par beaucoup comme un mal qui serait, hélas, nécessaire. L’idéal serait évidemment de s’en passer. Alors pourquoi ne pas essayer ? C’est la voie choisie par de nombreux agriculteurs. Certains optent pour des productions exemptes de pesticides en « convertissant » leur ferme à l’agriculture biologique. Un mot lourd de sens et révélateur de l’ampleur du pas à franchir. D’autres remettent en question plus directement l’agriculture traditionnelle et arrivent à la question des pesticides par des voies détournées : la disparition de la petite faune sauvage, la destruction des sols et de sa microfaune, l’autonomie, … Ils construisent et développent une expertise propre pour répondre à ces enjeux et considèrent que le modèle dominant les conduit droit dans une impasse. Chacuns de leur coté, ces agriculteurs tracent les sillons d’une agriculture renouvelée et en perpétuel questionnement. Quasi invisibles en Wallonie, ces courants commencent à fleurir ailleurs sous forme de groupement d’agriculteurs (agriculture de conservation, agriculture écologiquement intensive, agriculture intégrée, réseau agriculture durable, CIVAM, …).

Un modèle qui sorte de la création de rente

A travers leurs démarches, ces agriculteurs remettent en cause la délégation faite par l’État à la recherche privée et sa courroie de transmission : les commerciaux qui prescrivent engrais chimiques et pesticides à un modèle agricole maintenu sous perfusion. Une délégation faite à l’époque où nous sous-estimions les multiples incidences sur la santé et l’environnemental de ces poisons. Malgré la progressive prise de conscience de celles-ci, le recours systématique aux pesticides accompagne la majorité de la recherche et de l’innovation en agriculture. Ainsi, les nouvelles variétés sont évaluées sur base de situations contrôlées par les pesticides et l’évaluation des systèmes agricoles se fait au regard du seul critère de la rentabilité économique, quand il ne s’agit pas de sa version la plus réductrice : le rendement technique. Très explicitement, certains chercheurs « publics » délèguent au secteur privé l’évolution des systèmes et des techniques plutôt que de l’orienter vers des pratiques qui bénéficieraient aux agriculteurs et à la société 1). Les voies pour se dégager de cette dépendance sont pourtant multiples mais elles sont peu, voire pas du tout investiguées. Derrière ces choix loin d’être anodins, se cache l’enjeu de la création de rente. Une nouvelle molécule ou un peu de génie génique seront valorisés par le marché mais des techniques permettant de se passer des herbicides ne créeront aucune richesse si ce n’est collective. C’est bien à ces manquements que veulent répondre les agriculteurs bio ou les agriculteurs « en recherche d’alternatives ».

Les pesticides, un indicateur clé

La remise en cause du modèle agricole conventionnel par une minorité de ceux qui en vivent, par les associations environnementales et les consommateurs ne suffit pas à faire évoluer la recherche et l’encadrement agricole. Il y a certes quelques exceptions, telles la production bio ou la production intégrée de fruit (GAWI) mais l’essentiel de la recherche publique, en Europe, est destinée à promouvoir la voie traditionnelle et légitimer ses pratiques. Les recherches pour sortir du modèle dominant sont rares et il n’y a, en Wallonie, pratiquement aucun soutien pour encadrer ces agriculteurs « expérimentateurs ». Il est par exemple difficile de situer la durabilité de notre système agricole ou même la dépendance de notre agriculture aux pesticides 2. Il s’agit pourtant d’un enjeu important, révélateur des déséquilibres au sein des systèmes de production.

Mesurer la dépendance

Des outils existent pourtant, certains globaux, d’autres plus précis. L’Indice de Fréquence des Traitements (IFT) est relativement simple et est couramment utilisé pour mesurer la dépendance d’un système agricole aux pesticides. Il exprime le nombre de doses standards appliquées par hectare pendant une saison de culture. Cet indicateur peut paraître restrictif mais il illustre plus largement la durabilité des systèmes agricoles. La réduction des pesticides passe nécessairement par une fertilisation très contrôlée, des aménagements favorables aux auxiliaires et à la biodiversité, des sols de qualité, …

La dépendance aux pesticides, un choix politique

Dans le cadre du projet ENDURE 3, une étude de cas sur le blé a révélé que l’indice de fréquence de traitements différait significativement entre le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et le Danemark. Le Royaume-Uni est en haut du classement avec un IFT de 7,7 tandis que les agriculteurs danois n’utilisent en moyenne que 2,3 doses standard de pesticides. L’Allemagne et la France sont en position intermédiaire avec des IFT respectifs de 5,8 et 4,0. La recherche a abouti a des différences analogues pour le colza d’hiver. Les auteurs de cette recherche expliquent ces différences par l’intensité variable des pressions liées aux maladies ou aux ravageurs mais cela ne permet d’expliciter qu’une partie des variations observées. D’autres facteurs contribuent significativement à l’usage moindre de pesticides. Au Danemark, la faible dépendance aux pesticides s’explique par une large utilisation des outils de protection intégrée tels que les systèmes de prévision et d’avertissement concernant les principales maladies foliaires, une utilisation plus fréquente de variétés totalement ou partiellement résistantes et par l’adoption de doses réduites de pesticides. Un autre paramètre important, en relation notamment avec l’utilisation de fongicides coûteux, est d’apprendre aux agriculteurs à prendre en considération les marges nettes plutôt que les marges brutes liées à l’utilisation de ces produits. Les marges de progrès sont donc importantes mais il n’est pas possible de positionner la Wallonie, à défaut de disposer d’un indicateur fiable.

Soutenir les alternatives

Outre les intéressants résultats obtenus au Danemark, la France a adopté un objectif de « réduction de l’indice de fréquence des traitements phytosanitaires en agriculture de 50 %, si possible » à travers le plan « Ecophyto 2018 ». Si l’objectif est encore loin d’être atteint, la consommation de pesticides ayant légèrement augmenté depuis son lancement en 2007, l’encadrement des agriculteurs et de fermes pilotes abouti déjà à des résultats enthousiasmants. Les différents réseaux d’encadrement agricoles existant ont rejoint le projet Ecophyto 2018 ainsi que des milliers d’exploitations agricoles sur tout le territoire afin de suivre leur utilisation de produits phytos élargie pour certains aux engrais, pratiques culturales ainsi que leur rentabilité économique. En Picardie par exemple 4, l’analyse des données met déjà en évidence des résultats très intéressants : plus de 10 % des exploitations de ce réseau s’approchent de l’objectif de réduction de 50 % et près de 30 % atteint une réduction de plus de 35 % de l’utilisation des pesticides. Certes, les résultats varient d’une culture à l’autre mais la voie et le potentiel de réduction semble bien exister.

Le plan de réduction des phytos : une opportunité

En Wallonie, l’utilisation des comptabilités agricoles devrait permettre une analyse similaire afin de déterminer l’IFT moyen, par culture et région agricole. À coté de cela, différentes initiatives d’encadrement des agriculteurs existent mais sont éparses dans leurs objectifs et leurs moyens (Plan d’action agro-environnemental, fermes des réseaux d’avertissement…) ne permettant pas de créer une réelle dynamique autour de la réduction des phytos. La protection intégrée des cultures est à l’ordre du jour, via la transposition de la directive 2009/128 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Mais le plan d’action wallon de réduction des pesticides doit encore inscrire des objectifs ambitieux… et des moyens pour en assurer le suivi. Les enjeux sont importants : derrière la réduction de la dépendance aux pesticides, se cachent aussi de nombreux enjeux, dont ceux de santé publique, de qualité de l’environnement etc.

Crédit photographique : © laurent hamels – Fotolia.com

  1. G. Vanloqueren. Penser et gérer l’innovation en agriculture à l’heure du génie génétique. Contributions d’une approche systémique d’innovations scientifiques dans deux filières agroalimentaires wallonnes pour l’évaluation, la gestion et les politiques d’innovation. UCL – Presses Universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve. (Thèse, Université de Louvain, 2007
  2. Il existe bien un indicateur de réduction des risques qui a été développé dans le cadre du Plan de Réduction des Pesticides et des Biocides Fédéral mais celui-ci est global et ne bénéficie pas d’une actualisation récurrente. Cet indicateur ne mesure par ailleurs pas la dépendance aux pesticides mais bien la réduction, sur des bases très théoriques, de leurs impacts sur la santé et l’environnement et la biodiversité.
  3. Résultats du projet 2007-2010 (La protection intégrée dans l’agriculture européenne – Le Réseau d’Excellence ENDURE partage les fruits de 4 années de recherche avec les acteurs de la protection des cultures : http://www.endure-network.eu/fr/content/download/6182/45768/file/Résultats du projet 2007-2010.pdf)
  4. L’étude « Synthèse des données permettant l’évaluation de l’efficacité du plan ECOPHYTO en région Picardie » a permis d’organiser la compilation et l’interprétation des données d’IFT (Indice de Fréquence de Traitement) issues des démarches agro-environnementales menées en région (MAE, dispositif 1000 parcelles, …) pour l’année 2010. http://www.chambres-agriculture-picardie.fr/fileadmin/documents/Environn…

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité