Bonus – malus wallon ou l’art de la circonvolution

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Le système de bonus-malus automobile mis en place en Région wallonne en 2008 fut, aux yeux de certains observateurs, un franc succès : les émissions de CO2 des voitures neuves ont baissé plus fortement en Wallonie que dans les deux autres Régions. D’autres observateurs voient les choses sous un jour un peu plus nuancé.

Il est bon, par exemple, de garder en mémoire les circonstances de l’introduction du bonus-malus : le système fut prématurément annoncé à l’occasion du Salon de l’auto 2008 avant même que le Parlement n’ait voté le décret l’instituant … (voir à ce sujet notre analyse « la vignette et le décret salon : histoire d’une occasion manquée »). Cet empressement révélateur d’un manque de respect du processus démocratique a, et c’est regrettable, engendré une suspicion de connivence avec le lobby de l’industrie automobile, organisateur du salon.

Par ailleurs, et ceci explique le point suivant, le système présentait plusieurs travers (analysés ci-dessous) révélateurs d’une mesure qui relevait plus du soutien à l’industrie automobile que de la promotion d’une mobilité plus verte.

Enfin, la mesure a creusé un joli petit trou dans le budget wallon. Les inquiétudes quant au « déséquilibre » entre les deux volets du système (le bonus vidant les caisses, le malus les remplissant), exprimées dès le stade des discussions parlementaires, se sont confirmées. Au cours d’une interpellation parlementaire le 03 novembre 2008, le Ministre wallon du Budget révélait que, sur la période du premier janvier au 15 septembre 2008, 69.472 bonus avaient été octroyés, pour un montant de 21.739.100 Euros et que, sur les six premiers mois de l’année, le nombre de malus était d’environ 5.000 (sans chiffrage des rentrées financières associées, le malus étant perçu par l’Administration fédérale, qui doit ensuite le rétrocéder à la Région). Un an plus tard, ces plus-que-soupçons se confirmaient : en 2008, les 128.000 dossiers de bonus ont coûté 43,87 millions aux finances régionales alors que les 10.141 dossiers de malus ne rapportaient que 2,9 millions. Pour les 9 premiers mois de 2009, la situation était semblable : 92.046 dossiers et 36,4 millions de bonus; 9.827 dossiers et 2,9 millions de malus[[La Libre Belgique, 19 octobre 2009]]. Soit, globalement, onze fois plus de dossiers de bonus que de malus et des sorties financières 13 fois plus élevées que les rentrées.

Le déséquilibre entre bonus et malus n’était, dans le contexte de rigueur budgétaire actuel, plus tenable. Aussi des modifications seront-elles apportées (et entreront en vigueur dès janvier 2010), comme l’a annoncé en grandes pompes le Ministre du Budget. Seront-elles à même de réduire le déficit et, plus globalement, de transformer le système en outil au service d’une politique de mobilité durable ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser.

Le bonus-malus cuvée 2008 : quatre faiblesses

La mesure a pour principale ambition annoncée de « tirer vers le bas » les émissions de CO2 du parc, ce qui suppose d’agir à la fois sur les « sorties » (parmi les véhicules existants, retirer ceux dont les émissions sont les plus élevées) et les « entrées » (favoriser, parmi les véhicules neufs, ceux présentant les émissions les plus basses). Ainsi, bonus et malus concernent tant les véhicules d’occasions que les neufs. Cependant, c’est principalement l’effet en termes de modification des comportements d’achat de nouvelles voitures (où « l’émotion », l’irrationnel prime encore trop souvent) qui permet de juger de l’efficacité du système : conduit-il les citoyens à quitter l’achat-désir pour l’achat raisonné (véhicule le moins polluant possible et correspondant aux réels besoins de mobilité).

Les niveaux d’émissions visés par le système de 2008 sont particulièrement peu ambitieux eu égard à l’offre déjà existante et aux objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés au niveau européen. Nous avons identifié quatre faiblesses majeures.

 1. Le système comporte une « zone pivot » dans laquelle aucun bonus n’est octroyé et aucun malus perçu. Cette zone est tout à la fois trop large (à la grosse louche, 30 % des véhicules neufs y sont situés) et placée à un niveau trop élevé. S’étendant de 146 à 195 gCO2/km, elle débute à 6 g/km sous la moyenne des émissions des véhicules neufs vendus en 2007 en Belgique (152 g/km) et finit à 43 g/km au-dessus ! Pour pleinement apprécier ce que cela représente, il faut savoir que, en 2008, seules 5,4 % des voitures neuves immatriculées en Belgique présentaient des émissions de CO2 supérieures à 191 g/km.

 2. Aucune évolution de la « zone pivot » n’était planifiée au départ. A titre comparatif, dans le système de bonus-malus mis en place en France, la zone neutre sera progressivement abaissée de 131 – 160 g/km en 2008 jusqu’à 121 – 150 g/km en 2012.

 3. Bonus et malus étant calculés sur base d’une comparaison entre émissions de l’ancien et du nouveau véhicule, le système constitue implicitement une incitation à changer de voiture. La communication réalisée à l’occasion du Salon de l’auto 2008 a fortement renforcé ce phénomène.

 4. Le système est complexe et particulièrement peu « lisible » : le bonus est indépendant et le malus intégré à la TMC qui reste, elle, proportionnelle à la puissance fiscale du véhicule.

Bonus-malus 2010 : un petit mieux

 1. Dans le système réformé, la largeur de la « zone pivot » est ramenée de 50 gCO2/km (146 à 195) à 30 g/km (126 à 155) et son seuil abaissé : l’amélioration est certaine. Cependant, dans les nouvelles conditions, le bonus concerne (en chiffres ronds) 30 % des véhicules neufs et le malus 15 %. Dès lors, la majorité des citoyens (55 %) achetant un véhicule neuf ne reçoit aucun « signal-prix » (or, une différence de 30 gCO2/km est loin d’être anodine) – et le déséquilibre entre bonus et malus demeure.

 2. La réforme du système constitue en quelque sorte une révision de la zone pivot – mais aucune évolution de celle-ci ne semble planifiée.

 3. La comparaison au véhicule précédent pour l’octroi d’un bonus/malus est moins déterminante que dans le système initial, mais est maintenue – ce qui constitue tout de même une « récompense » des comportements polluants antérieurs : plus l’ancien véhicule était polluant, plus élevé est le bonus !

 4. Le système reste complexe – et perd même en « lisibilité » du fait qu’un « extra-bonus » est accordé aux véhicules équipés LPG. Or, le bénéfice environnemental de ces motorisations s’exprime en termes de réduction des polluants locaux et le système bonus-malus a pour objectif de diminuer les émissions de CO2… La confusion très largement répandue entre les polluants locaux (affectant la santé) et le CO2 (gaz à effet de serre) en sera encore renforcée.

Quant à déterminer si le système coûtera encore ou non au budget wallon, tout se jouera dans la catégorie 116 à 125 g/km regroupant le plus grand nombre de véhicules concernés par le bonus. Combien opteront pour ce type de voitures, et combien dont l’ancien véhicule n’était pas beaucoup plus polluant (le bonus étant alors compris entre 0 et 150 euros) ? Les annonces d’un solde bonus/malus positif (pour le budget wallon) de 36 millions d’euros (contre un solde négatif de 30 millions dans l’ancien système) semblent en tout état de cause quelque peu optimistes.

Comment faire beaucoup mieux ?
La Fédération IEW demande, de longue date, que le système de taxe de mise en circulation soit revu intégralement et que le bonus/malus y soit en quelque sorte intégré : la taxe ne serait plus fonction des chevaux fiscaux mais des émissions de CO2 et son évolution serait linéaire. Au-dessus d’un niveau minimal fixé pour les véhicules les moins polluants, tout gramme de CO2 supplémentaire se verrait « sanctionné » par une augmentation de la TMC : plus simple, plus « lisible », plus performant. Et en cohérence par rapport aux recommandations de la Section fiscalité et parafiscalité du Conseil supérieur des finances qui, dans son document « la politique fiscale et l’environnement » (septembre 2009) commentait ainsi l’octroi de bonus : « nous ne pensons pas que l’octroi d’un bonus sur l’achat de certains véhicules puisse se justifier d’un point de vue environnemental. On a vu à la section 3.13 que la taxation du transport était loin de couvrir ses effets externes. Il n’y a donc aucune raison de subsidier une activité de transport routier, fût-elle la plus propre qui soit ».