CTS : clean transport system ou… coûteux transport sale ?

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Cécité plus ou moins volontaire face aux nombreuses incidences de l’actuel système de transport, refus manifeste de les envisager de manière systémique, politique dogmatique misant de manière disproportionnée (pour ne pas dire quasi exclusive) sur les développements techniques : la Commission européenne (CE) campe fermement sur ses positions. Au risque de plonger demain tout le secteur des transports dans l’actuelle situation du rail belge, victime de choix politiques désastreux durant des décennies.

Une preuve supplémentaire réside dans la consultation dite publique relative aux carburants alternatifs qui se clôturait ce 20 octobre. Dans la foulée de son livre blanc sur les transports à l’horizon 2020 (intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports » -, voir notre commentaire ici), la CE a publiquement lancé l’initiative CTS (pour clean transport system : système de transport propre) qui « devrait aider l’Union européenne à mettre fin à la dépendance au pétrole dans les transports sur le long terme ». Une consultation publique en ligne était ouverte à ce propos. Annoncée par des canaux inconnus du grand public et plus que rébarbative pour le citoyen ordinaire, comme il se doit : langue unique (l’anglais) et liste de questions impressionnante. Deux (très) bonnes heures étaient nécessaires pour y répondre correctement en connaissant le dossier.

Mais pourquoi une consultation ? Pour alimenter la réflexion de la CE qui veut publier, au premier trimestre 2012, une communication sur les carburants alternatifs pour le transport, laquelle proposera une stratégie à long terme en matière de carburants alternatifs. Une proposition législative sur les besoins en infrastructures pour les carburants alternatifs sera initiée en parallèle. L’action au niveau de l’Union européenne devrait, nous dit la Commission, « faciliter la libre circulation, à travers l’Europe, des véhicules propulsés par des carburants alternatifs. »

Là, le citoyen attentif s’indigne. L’objectif politique de l’Europe doit-il réellement être la libre circulation des véhicules ? Ne doit-il pas, plus fondamentalement, s’attacher à assurer la libre circulation des personnes ? Loin d’un détail sémantique, il s’agit d’un point fondamental : on confond ce qui devrait être un objectif (la liberté de circulation des personnes) avec un moyen (les véhicules utilisant actuellement du pétrole). Ceci est tout à fait révélateur d’une effrayante dérive politique. Pour bien comprendre la chose, il faut savoir que l’initiative CTS trouve ses origines dans les travaux du groupe CARS 21 (Competitive automotive regulatory system for the 21st century : système de régulation compétitif du secteur automobile pour le 21ème siècle). CARS 21 est piloté par la Direction générale entreprise et industrie de la CE et les secteurs intéressés dans la construction automobile y sont confortablement majoritaires. C’est donc l’industrie automobile qui définit les orientations politiques de l’Europe en matière de transport. Rien d’étonnant, dès lors, que les véhicules priment sur les personnes.

Mais, fondamentalement, quelles sont donc les motivations de la Commission dans ce dossier ? On peut clairement en identifier trois.

La motivation première est de sortir de la dépendance aux pays producteurs de pétrole et de diversifier les sources d’énergie. Economiquement, la nécessité est évidente : en 2010, l’Europe a importé pour environ 210 milliards d’euros de pétrole, soit le même ordre de grandeur que les dettes de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal cumulées.

La seconde motivation réside dans la crainte de voir les Etats-membres développer des stratégies différentes en matière de carburants automobiles, rendant par là plus délicats les transports internationaux par route. L’hypothèse d’une France misant sur la voiture électrique, d’une Suède développant les agrocarburants et d’une Italie généralisant le gaz naturel fait se dresser les cheveux de nombreux acteurs économiques !

La troisième motivation est d’ordre environnemental : le pétrole, énergie polluante, va le devenir de plus en plus avec l’épuisement des réserves et le développement de pétroles non conventionnels tels les sables bitumineux du Canada. Le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (auxquels la CE est réellement attachée) semble de plus en plus délicat dans ce contexte.

Ces motivations sont majoritairement partagées par l’ensemble des acteurs, y compris ceux qui portent une analyse non guidée par des intérêts financiers (au rang desquels on compte Inter-Environnement Wallonie). Ces derniers, cependant, ne s’accordent pas avec la CE sur les solutions à mettre en ½uvre – et peinent à faire entendre leur voix à ce propos, la solution portée par les instances européenne étant présentée par celles-ci comme sans alternative possible. La posture de la CE n’est d’ailleurs pas sans rappeler le fameux « TINO » (there is no alternative : il n’y a pas d’alternative) de Margareth Thatcher et Ronald Reagan.

La CE propose une solution « tout technique » et semble envisager sereinement de multiplier les infrastructures de distribution de carburants ou vecteurs d’énergie alternatifs : électricité, hydrogène, agrocarburants, carburants synthétiques, méthane (gaz naturel ou issu de la biométhanisation), LPG (gaz de pétrole liquéfié). Ceci, bien sûr, en faisant largement appel aux finances publiques. Avec cette approche, la CE :

 met tous les ½ufs dans le même panier (les finances publiques ne sont pas extensibles – le contexte actuel le rappelle cruellement) et laisse donc croire, implicitement, que tous les problèmes de transport peuvent être résolus avec des carburants alternatifs, ce qui est un non-sens évident (en quoi cela réduira-t-il le nombre d’accidents ou l’emprise sur l’espace public ?) ;

 soutient des alternatives qui ne sont, à l’évidence, pas durables, tels les agrocarburants ou les carburants synthétiques ;

 focalise sur les transports internationaux, comme dans sa politique ferroviaire qui fait la part belle à la très grande vitesse sur les grandes distances, alors que les trajets internationaux ne représentent qu’une partie très modeste des trajets (en 2010, la SNCB a transporté 9,2 millions de voyageurs en international contre 215,1 en national, soit 4%) ;

 avalise de facto l’idée selon laquelle les Européens doivent absolument continuer à circuler en voiture sur tout le continent – ce qui ne nous paraît pas devoir être un objectif en soi ;

 cautionne, plus fondamentalement, l’analyse selon laquelle la voiture individuelle continuera de tenir à l’avenir la place hégémonique qu’elle occupe actuellement ;

 dévalorise implicitement les axes offrant le plus grand potentiel en matière de réduction des incidences du système de transport : la réduction de la demande et le transfert vers les modes les moins polluants.

La situation peut être résumée comme suit : loin de signifier « clean transport system », l’anagramme CTS semble mieux correspondre à Couteux Transport Sale.

Extrait de nIEWs (n°99, du 3 au 17 novembre 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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