Compensations : une saga wallonne pour l’automne ?

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Notre monde est complexe et pose aux hommes et femmes politiques de notre petite Région bien des problèmes difficiles à gérer. Il arrive pourtant que, non content de cette manne, le politique crée lui-même des problèmes qu’il mettra ensuite des mois – si ce n’est des années – à débrouiller. Ainsi en va-t-il des compensations aux révisions de plans de secteur, chemin qui, pavé de bonnes intentions, n’en est pas moins en train de nous conduire à d’étranges égarements. Bref rappel… et explications.

On se souviendra qu’en Wallonie, la mise en place des plans de secteur, qui définissent les affectations du sol et donc les parts de celui-ci qui pourront être urbanisées (et donc offrent aux heureux propriétaires de terrains urbanisables de confortables plus-values), ne s’est jamais accompagnée de la mise en place du Fonds foncier qui seul aurait pu permettre l’indemnisation des moins-values. De ce fait, la Région est dans l’incapacité de payer l’indemnisation des moins-values résultant du ‘déclassement’ de zones urbanisables (par exemple leur transfert en zone agricole ou forestière, qui aurait pour effet de diviser par dix la valeur de terrains au départ constructibles). Et, par conséquent, les seules révisions de plan de secteur que la Région a pu opérer au cours des 20 à 30 ans qui ont suivi l’adoption desdits plans (de 1976 à 1986) sont celles qui ont eu pour effet de créer de nouvelles zones urbanisables.

La tendance est donc à urbaniser toujours davantage le territoire. Dès la discussion sur le décret qui, en 1997, a réformé complètement le Code, l’idée avait émergé, d’y introduire une disposition destinée à corriger cette tendance. Elle était fondée sur le raisonnement suivant. Les nouveaux zonings sont le plus souvent implantés en zone agricole alors qu’il y a en Région wallonne quelque 3000ha de friches industrielles ; motivons donc l’autorité régionale à réhabiliter ses chancres en établissant l’obligation de ‘compenser’ chaque nouvel hectare de zoning par la prise en charge d’un hectare de SAED (site d’activité économique désaffecté) comme on appelait à l’époque les zones désertées par l’industrie.

Cette idée généreuse et pertinente a très vite montré des limites de faisabilité. Sous la législature suivante, le Gouvernement a bouclé un ‘plan prioritaire’ affectant en zone d’activité économique 1500 hectares pris pour la plupart à la zone agricole. Confronté à la nécessité d’entamer la réhabilitation les 1500 ha de SAED correspondants, le Cabinet du Ministre compétent (Ministre Foret à l’époque) s’est heurté aux pièges habituels de ce type de procédure, notamment aux multiples problèmes de propriété et de droits réels qui caractérisent souvent les friches industrielles. La compensation légalement obligatoire a donc été faite de façon assez cavalière, avec pour conséquence une certaine fragilité juridique de l’ensemble du plan.

En 2005 le Cabinet de l’aménagement (Ministre Antoine cette fois) a modifié à nouveau le Code. En matière de compensation, il a eu une idée[[Contrairement à ce qu’on a pu lire parfois , il ne s’agit pas là, strictement parlant, de l’application de la directive européenne 2001/42/CE qui a trait l’évaluation des incidences des plans et programmes. Cette directive fixe, en son annexe I, le contenu des études évaluant les incidences environnementales des plans et des programmes et ce contenu inclut (point g.) les mesures envisagées pour éviter, réduire et, dans la mesure du possible, compenser toute incidence négative notable de la mise en place du plan ou du programme … C’est donc à l’étude d’incidences de plan (et non à l’arrêté de mise en révision) qu’il reviendrait de proposer une éventuelle compensation, et cette compensation est par définition de nature environnementale (par exemple la reconstitution, ailleurs sur le territoire, d’un milieu que la nouvelle affectation ferait disparaître). On doute en tous cas que les auteurs de la Directive aient jamais imaginé que la transposition de leur texte se traduise par l’imposition de la réfection d’un préau d’école comme dans l’exemple cité plus bas …!!!]] judicieuse et plus radicale que son prédécesseur : chaque nouvel hectare de zone urbanisable devra désormais être ‘compensé’ par le déclassement d’un hectare de zone actuellement urbanisable au plan de secteur. Ces zones à déclasser seraient, par exemple, des zones d’habitat mal situées, des zones d’activité économique qui n’ont pas eu de succès… Dans le cas où il serait impossible de trouver cette ‘compensation planologique’, la disposition (article 46 §1er, 3° du CWATUPE) prévoit le principe d’une compensation alternative, dont le Gouvernement arrête les modalités.

Des compensations alternatives? Exemples.

Le Gouvernement, en conduisant ses révisions de plan de secteur, a jusqu’à présent toujours tenu méritoirement la ligne d’essayer d’abord de ‘compenser’ ses nouvelles zones par le déclassement de zones urbanisables. Il arrive toutefois rarement de cette façon à l’équilibre souhaité par le Code. Il s’ensuit que la plupart des révisions en projet prévoient des compensations alternatives. Lesquelles ? Deux dossiers récents nous fournissent des exemples qui donnent à réfléchir.

A Heure-le-Romain (commune d’Oupeye), une petite carrière exploite des craies très pures à l’usage de la SA Tessenderlo Chemie. La poursuite de ses activités nécessite l’inscription au plan de secteur de Liège d’une quinzaine d’hectares de zone d’extraction. Outre une compensation planologique, le Gouvernement impose à titre de compensation alternative ce qui suit :

 le réaménagement d’une zone d’extraction déjà exploitée

 la cession pour l’euro symbolique à la Commune d’Oupeye de la partie des terrains concernés, actuellement propriété du demandeur ;

 le versement par la SA Tessenderlo d’une compensation financière d’un montant de 50 000¤, en guise de contribution aux projets d’intérêt général suivants, développés par la Commune d’Oupeye :

    • le réaménagement des plaines de jeux des écoles X et Y d’Heure-le-Romain
    • le réaménagement du préau de l’ école Y
    • la mise en ½uvre de fiches projet du futur plan communal de développement de la nature

Un second exemple ? La Région remet sur le métier le plan de secteur de Liège-Bierset. Là aussi des compensations planologiques sont prévues, là aussi elles sont insuffisante, et le Gouvernement ajoute la compensation planologique suivante :
Selon des modalités à déterminer entre la Commune d’Ans et la SOWAER (société publique de gestion des aéroports wallons), la création d’un nouveau stade de football et d’une école de formation pour jeunes dans la zone de services publics et d’équipements communautaires qu’il (le Gouvernement) projette d’inscrire à Ans.

Loin de l’esprit premier…

Une fois de plus, on comprend la bonne intention. On sait en effet que dans les faits, des transactions[[par exemple l’exploitant aménage un rond-point ou un terrain de foot en « contrepartie » de son permis]] on fréquemment lieu entre les industriels et les Communes qui leur délivrent les permis ; le Gouvernement a voulu encadrer ces pratiques. Mais ce faisant, il inscrit la dérive elle-même dans la règle, ce qui est peut-être pire.

En tous cas, nous voilà bien loin de l’esprit premier qui était d’assurer une forme d’équilibre général entre zones urbanisables et espaces ouverts sur le territoire wallon. Lors des débats parlementaires qui ont eu lieu le 9 juillet dernier à propos d’un projet de décret impliquant la disposition en question, le Ministre a souligné ce fléchissement, en estimant qu’une compensation doit profiter aux riverains ; nous voici donc dans l’idée d’une compensation des nuisances occasionnées par l’exploitation (de la carrière, de l’aéroport). Voilà qui change de l’équilibre territorial ! Et pose la question de la confusion des genres : on déborde là dans le domaine du permis d’environnement (dont la compétence revient au Ministre Lutgen) ; en outre, et premièrement, on n’aperçoit pas très bien comment fixer lors de la révision du plan la compensation à des nuisances dont l’existence est incertaine, puisqu’il n’est pas dit à ce stade que le permis sera octroyé, et dont l’importance est inconnue puisque les conditions du permis n’existent pas encore.

Secondement, la compensation est exigée d’un « demandeur » alors que plan de secteur est par nature un outil général ; même si un privé en a sollicité la révision, la zone inscrite au plan n’est pas attribuée à une entreprise. Il se pourrait très bien qu’un jour Tessenderlo se désintéresse de la zone d’Oupeye, qui serait alors cédée à un autre exploitant ; lequel pourrait passer à un autre type d’exploitation avec des nuisances très différentes… quid alors de la compensation imposée en regard de l’exploitation précédente?

Troisièmement la compensation devrait en principe être effective lors de la révision du plan ; il n’est pas sûr qu’en cas de recours le Conseil d’Etat accepterait le principe d’une compensation différée dans le temps.

Le problème fondamental est plus profond encore

La nature et le montant des compensations alternatives sont fixées de manière discrétionnaire par le Gouvernement, et cela au cas par cas car aucun arrêté n’est venu les encadrer. Elles doivent bien être proportionnelles nous dit le Ministre, toujours au cours du même débat, mais proportionnelles à quoi ? Aux nuisances ? Au bénéfice de l’exploitant, qui peut se trouver accru ou diminué en cours d’exploitation par un événement technique ou économique imprévu ? Ce n’est jamais dit… Et si l’exploitant conteste la proportionnalité, que fera-t-il ? Un recours au Conseil d’Etat à l’encontre de l’arrêté inscrivant sa propre zone au plan ? Impensable, il ne pourra obtenir l’annulation de la seule compensation puisque celle-ci équilibre l’inscription de « sa » zone…
Il sera donc bien difficile au « demandeur » du plan de se protéger de l’arbitraire, crainte accrue par l’absence de tout cadre de référence dans la fixation des compensations. La question est d’autant plus délicate, qu’on voit exiger du « demandeur » la cession de biens immobiliers ou de sommes d’argent. A propos de ces dernières enfin, on remarquera que la Commune se voit ainsi dotée d’une recette dont le Gouvernement décide, toujours souverainement, de l’affectation. L’affectation des moyens budgétaires n’est-elle pourtant pas la prérogative du seul Conseil communal?

Anodin tout cela?

Non, on touche là à des principes d’équité et de rigueur dans l’exercice des compétences qui sont fondamentaux dans un Etat de droit. Parti des meilleures intentions du monde, le Gouvernement aboutit ici à une vision du monde où un Prince souverain, sollicité dans une matière où il dispose d’un pouvoir discrétionnaire, use de ce dernier pour jouer avec intérêt des communes et des privés comme un enfant avec ses Lego ou ses Playmobil. C’est dangereux, et non nécessaire car d’autres solutions sont possibles: donner aux fonctionnaire régionaux compétence sur tous permis de classe I, taxer les plus-values foncières, réformer le financement des communes, tous moyens susceptibles de résoudre les problèmes qu’on a voulu contrer ici. Il était question de ces deux dernières mesures dans la déclaration de politique régionale : que sont-elles devenues ?

Canopea