Electricité : la Wallonie doit tisser et renforcer son maillage « énergétique »

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Après plus d’un an de travaux, le projet REDI (Réseaux Electriques Durables et Intelligents) coordonné par la CWaPE livre ses conclusions. Le défi est grand, l’enjeu est crucial. Une transition vers les énergies renouvelables ne pourra se faire sans des réseaux de transport et de distribution d’électricité fiables et adaptés à une grande flexibilité.

Fin 2010, le Ministre en charge de l’Energie mandatait le régulateur wallon, la CWaPE, pour organiser un groupe de travail chargé d’évaluer les conditions techniques et économiques du développement des réseaux dits « intelligents », c’est-à-dire capables d’intégrer les productions croissantes d’électricité issue du renouvelable et d’optimiser la consommation par l’utilisateur final. Le développement de ces réseaux est devenue nécessaire pour réaliser les objectifs d’augmentation de la part des énergies renouvelables ET de réduction des consommations (objectif 3 x 20).

reseauelectriqueintelligenmoyent.jpg On le sait, un avenir énergétique durable LIEN A ACTUALISER n’est possible qu’en diminuant nos besoins, en optimisant nos dépenses et en nous affranchissant des énergies fossiles et fissiles. Sur ce dernier volet, la Wallonie ambitionne de promouvoir l’électricité issue de ressources renouvelables et s’est fixée pour objectif une production de 11TWh à l’horizon 2020 (dont 8000 GWh d’électricité produits exclusivement par des renouvelables, le reste serait produit par cogénération renouvelable – fossile). La multiplication des sites de production et le caractère intermittent de cette production (tributaire du vent, du soleil) est de plus en plus difficilement compatible avec le réseau actuel, conçu pour gérer un flux de quelques grosses centrales. Actuellement, la production renouvelable qui excéderait la demande à un moment donné ne peut être absorbée sur un réseau saturé, entre autre par un « baseload » issu de nucléaire ou du fossile. Pour éviter ce cas de figure et intégrer une production renouvelable qui ne fait qu’augmenter, le groupe de travail REDI a défini des pistes pour optimiser les réseaux mais aussi pour augmenter la flexibilité du côté de la demande par les consommateurs finaux.

Les priorités définies par la CWaPE sont échelonnées selon un phasage des actions à entreprendre mais aussi selon la responsabilité des acteurs impliqués. Un aspect primordial est la nécessité de planifier. Définir les objectifs qu’on se fixe en matière de renouvelables à un horizon donné et selon les potentiels identifiés pour ainsi planifier les investissements et donc les besoins en raccordement et intégration sur le réseau qui vont de pair. Comme le souligne le rapport, les investissements « réseaux » font partie à part entière d’une stratégie énergétique globale à l’échelle de la Wallonie.
Un autre principe défendu par la CWaPE est la non-discrimination quant aux demandes de raccordement au réseau, qu’elles concernent des productions renouvelables ou non et par ailleurs, elle propose aussi d’introduire un principe d’accès aux réseaux garanti pour les producteurs d’électricité verte. De même, cet accès au réseau pour les nouveaux raccordements devrait être rendu flexible, un peu comme un interrupteur « ON/OFF » selon la capacité du réseau. Cette flexibilité sera assortie d’un mécanisme qui prévoit, sous certaines conditions et selon un délai précis, des compensations pour le producteur payées par le GRD. A noter que les compensations financières ne sont pas automatiques pour inciter les développeurs de projet à installer leurs unités proches d’endroits plus adéquats en termes de raccordement.
Une autre piste évoquée est d’augmenter la flexibilité au niveau du client final par une gestion active de la demande (Demand Side Management) qui nécessitera une plus grande collaboration entre GRD et fournisseurs. Parmi les mesures de gestion active de la demande qui pourraient être proposées, on parle d’un déplacement des charges au moyen de compteurs interruptibles (tarif exclusif de nuit) ou encore d’un déplacement des charges consommées via des compteurs bihoraires. A noter que c’est le GRD qui doit annoncer suffisamment à l’avance aux fournisseurs son intention d’activer les processus de DSM. Cette gestion active pourrait aussi se faire grâce à des compteurs intelligents mais leur généralisation ne semble pas constituer pour la CWaPE une piste prioritaire, ni indispensable pour assurer l’équilibre et la flexibilité du réseau.

Outre la planification et les conditions d’accès au réseau, le rapport REDI se penche également la mise en ½uvre, principalement par les gestionnaires de réseaux, des mesures proposées. En effet, les GRD auront beaucoup de responsabilités notamment en contrôlant, en fonction de l’offre, de la demande et de la capacité du réseau, la quantité d’électricité injectée au niveau de certains points d’accès ou encore en faisant intervenir la gestion active de la demande. Le gestionnaire de réseau aura aussi une plus grande responsabilité financière avec un objectif d’optimisation des coûts de gestion du réseau. La CWapE qui attend « des GRD qu’ils dépassent leur rôle actuel dans la gestion de capacité d’accueil dans une logique conservatrice » se dit prête à les accompagner entre autres par la mise en ½uvre d’indicateurs de performance et prône la création d’un pôle de compétence sur les réseaux intelligents.

Quant au coût de développement de ces réseaux intelligents, le rapport ne se hasarde pas à donner un chiffre précis « étant donné la diversité des cas de figure à envisager » mais l’opération aura un coût important. Le rapport avance que « les consommateurs verront le coût d’utilisation limité au strictement nécessaire, malgré les contraintes liées à l’augmentation importante des productions décentralisées » mais on peut supposer que la politique tarifaire des GRD en sera fortement impactée. Là-dessus, la CWaPE aura un très grand rôle à jouer d’autant qu’avec le transfert de compétences les régulateurs régionaux seront les garants des tarifs de distribution.

L’exercice assigné au projet REDI a demandé l’implication des multiples acteurs (producteurs, GRT, GRD, fournisseurs, consommateurs, scientifiques…) aux points de vue et intérêts parfois divergents que la CWaPE a essayé de rassembler dans une vision qui sera proposée au gouvernement wallon. Car, comme le souligne la CWaPE, le défi de l’évolution et de l’amélioration des réseaux ne se relève pas qu’en tenant compte de considérations technico-économiques. « Il s’agit d’initier un processus de changement et de définir une trajectoire afin de réaliser les potentialités sous-tendues par le concept de réseau intelligent. Cet aspect relève donc du niveau stratégique, vise le long terme et met l’accent sur les modes de concentration ainsi que les rôles, responsabilités et compétences permettant de cadrer et de maintenir ce processus de changement ».
Comme le soulignait Laurence Raineau[[Laurence Raineau « Dossier « Adaptation aux changements climatiques! » Vers une transition énergétique ? » Natures Sciences Sociétés 19, 133-143 (2011)]], la prédominance des énergies renouvelables implique plus que des changements techniques. Elle ne se réalisera qu’en changeant de paradigme, du centralisé vers du décentralisé, d’enjeux mondiaux et souvent déconnectés des consommateurs vers un ancrage beaucoup plus local, de l’épuisement sans vergogne des ressources finies vers la recherche d’une synergie avec des éléments naturels et une cohabitation avec les technologies qui permettront de les exploiter durablement.

Ce processus de changement, cette transition énergétique nécessaire, ne pourra s’opérer qu’avec la participation et la responsabilisation de tous les acteurs : les politiques, dans les choix stratégiques qui définiront les options en matière énergétique et décideront aussi des moyens alloués pour les rendre possibles ; les gestionnaires de réseau qui devront développer des capacités d’anticipation et qui devront prendre des risques pour assurer la flexibilité ; mais aussi, on s’en rend encore peu compte aujourd’hui, l’utilisateur final, c’est-à-dire toute le monde, sera susceptible d’adapter ses habitudes de consommation. Des changements qui paraissent évidents et n’occasionnent aucune perte de confort mais qui engage le consommateur à participer activement au bon équilibre du réseau. Le rapport de la CWaPE suggère d’organiser des campagnes d’information et de sensibilisation à la gestion active de la demande en droite ligne avec des objectifs d’efficacité énergétique. Mais pour nous environnementalistes, rendre possible (au niveau technique et économique) l’adaptation des réseaux et promouvoir la gestion active doit s’accompagner de mesures qui, d’une part informeront de la nécessité à diminuer les consommations et qui, d’autre part permettront d’impulser les changements de société nécessaires à cette « sobriété énergétique ». Ce n’est que sous ces deux conditions réunies, sobriété et efficacité, que les énergies renouvelables supplanteront définitivement l’atome et le fossile.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire