Energie : une roadmap européenne peu ambitieuse. Et celle de la Wallonie ?

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La destination est connue et ne tolère aucune alternative : une société décarbonée avec 80 à 95% d’émissions de CO2 en moins pour 2050. Pour y parvenir, c’est tout notre système d’approvisionnement et de consommation d’énergie qu’il faut repenser, maintenant.
Mais tous les éléments du paysage énergétique proposé par la feuille de route de la Commission européenne sont-ils indispensables, et surtout durables ?

Energy roadmap 2050

La commission européenne vient de diffuser son « Energy Roadmap 2050 », feuille de route destinée à orienter les choix en matière d’énergie pour atteindre un objectif de réduction d’émissions de CO2 de 80% minimum à l’horizon 2050.
Cette feuille de route ne donne pas un itinéraire aussi précis qu’un voyage organisé mais propose, en plus des deux scénarios de référence, cinq scénarios de décarbonisation. Les scénarios se déploient autour de quatre éléments qui marqueront (ou pas) notre futur énergétique : l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, le nucléaire et les technologies de capture et stockage de carbone (CCS).

Les cinq scénarios vers une décarbonisation sont :

1) Scénario de haute efficacité énergétique :
Une réduction de la demande énergétique de 41% par rapport à 2005 serait possible grâce à des politiques volontaristes en matière d’économies d’énergie, notamment dans le secteur des bâtiments ;

2) Scénario développé autour de technologies d’approvisionnement diversifiées :
Pas de technologie privilégiée mais une compétition entre toutes les sources d’énergie. Compétition influencée entre autre par le prix du carbone et l’acceptation de l’énergie nucléaire et du CCS ;

3) Scénario basé majoritairement sur les sources d’énergies renouvelables :
Un soutien fort et adéquat pourrait conduire à ce que 75% de la consommation d’énergie finale et 97% de la consommation d’électricité soit assurée par les énergies renouvelables ;

4) Scénario portant sur les techniques de CCS différée :
Même hypothèse que le deuxième scénario mais supposant que l’application des techniques CCS retardée, impliquant alors une part plus importante de l’énergie nucléaire et la décarbonisation découlant du prix du carbone plutôt que des avancées technologiques ;

5) Scénario comprenant une faible part de nucléaire :
Même hypothèse que le deuxième scénario mais supposant qu’aucun nouveau réacteur ne soit construit (hormis ceux qui sont planifiés), ce qui résulterait à une plus grande pénétration du CCS (sur 32% de la production d’énergie) ;

Et si la Commission en appelle à une harmonisation des politiques énergétiques au sein de l’UE, les Etats membres sont libres de s’inspirer des itinéraires présentés ici. En effet, tous n’étant pas égaux devant le nucléaire ou le potentiel de ressources énergétiques, fossiles ou renouvelables.

Quelque soit le scénario privilégié, des investissements importants et immédiats sont requis. Notre approvisionnement énergétique en 2030 se décide maintenant et tout délai ne ferait qu’alourdir la facture à terme. Ces investissements vont irrémédiablement entraîner une hausse des prix de l’énergie et plus particulièrement de l’électricité d’ici 2030 mais des choix judicieux permettront in fine de réduire la facture énergétique comparativement aux scénarios de base.

Fixer un cap vers une réelle transition énergétique

Si l’élaboration d’une feuille de route européenne est une initiative louable en soi, on regrette le manque d’ambition qui refléterait une réelle volonté de marquer une inflexion vers une transition énergétique.

Les différents scénarios proposés apparaissent un peu comme des « packages » à prendre ou à laisser. Il est regrettable, et critiquable, ne pas avoir fait converger haute efficacité énergétique ET déploiement important des énergies renouvelables dans un même scénario. Les deux objectifs sont indissociables, et ce n’est que par cette voie qu’on parviendra à décarboner notre société de façon sûre, durable et compétitive. Plusieurs associations et fédérations critiquent d’ailleurs les hypothèses de cette feuille de route qui rendent les énergies renouvelables peu concurrentielles. D’après les projections de la feuille de route, leur développement massif provoquerait une hausse du prix de l’électricité plus importante que dans les autres scénarios, i.e. scénarios basés sur le nucléaire et le CCS. L’EREC[ [European Renewable Energy Council ]] pointe du doigt une série d’hypothèses biaisées comme des coûts d’investissements surévalués pour les renouvelables, le peu de représentativité des coûts d’infrastructure pour le CCS ou encore un prix du baril de pétrole à 70$ alors que les projections de l’AIE annoncent 120$ le baril à l’horizon 2030. L’EREC souligne également le manque de vision énergétique globale, une part trop grande étant réservée au seul vecteur électricité.

On est aussi inquiet de constater que le nucléaire soit considéré comme une option non négligeable du futur mix énergétique, alors que cette forme de production d’énergie a prouvé qu’elle comportait des risques très élevés, et qu’elle était tout sauf durable et compétitive. Dans certains scénarios, cette énergie pourrait atteindre 18% de la consommation finale d’énergie en Europe (alors qu’elle est aujourd’hui de 14%).

Quant aux technologies CCS, elles font figure d’arlésiennes au sein de ces scénarios. L’application de technologies de capture et de stockage de carbone est toujours plus qu’hypothétique. Elles posent de nombreuses questions quant à leurs impacts environnementaux et surtout quant au coût nécessaire pour les déployer. L’investissement consenti dans ses technologies ne pourrait-il pas être utilisé plus judicieusement dans les énergies renouvelables ? De nombreux projets CCS sont d’ailleurs à l’arrêt faute d’un soutien suffisant de la part des Etats et des investisseurs[ [Qui veut encore stocker du carbone ? Valéry Lamarée de Tannenberg ]].

Si cette feuille de route est avant tout un instrument destiné à orienter les choix stratégiques et économiques des Etats membres, il est plus qu’urgent et impératif de fixer des objectifs contraignants qui permettraient de sortir des ornières conservatrices et d’amorcer une véritable transition énergétique. Il faut voir, et surtout agir, au-delà de l’objectif 3×20 de2020. Il faut déterminer des objectifs contraignants en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables pour 2030 et adopter sans délai un cadre législatif sans équivoque.

On l’a vu la hauteur des investissements nécessaires est colossale et tout retard ne fera qu’handicaper la réalisation des objectifs de décarbonisation mais surtout se traduira par un poids financier plus lourd sur les citoyens et les entreprises.

Quel itinéraire pour la Wallonie ?

La Wallonie planche aussi sur sa roadmap qui la mènerait vers une décarbonisation à l’horizon 2050. Pour concrétiser l’intention explicitée dans la DPR de réduire de 80 à 95% ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, le Ministre Henry a commandé une étude qui teste différents scénarios qui rendraient cet objectif techniquement possible. C’est le bureau d’étude Climact qui a réalisé cette étude qui sera publiée début 2012.

Comme dans la feuille de route européenne, la Wallonie sera confrontée à des choix cruciaux, et souvent lourds d’investissements, pour atteindre une réduction de 80, voire 95%. Conformément à la loi de sortie de 2003, le nucléaire ne sera plus une option dans les scénarios wallons. Mais d’autres questions seront posées : jusqu’où peut-on pousser l’efficacité énergétique ? Quel mix renouvelable optimal et réalisable sur notre territoire ? Quelle proportion d’électrification des véhicules ? L’application du CCS est-elle incontournable et à quel prix ?

Mais pour le mouvement environnemental, une question doit être posée : faut-il laisser aux citoyens l’illusion que la majorité des efforts seront réalisés par le progrès technologique alors que les changements de comportement sont un formidable levier pour rendre possible cette transition énergétique et écologique ?

Pour la Wallonie, ce sont autant de questions pour autant de choix, que l’on espère sûrs et durables.

IEW reviendra plus longuement sur l’étude « Vers une Wallonie bas carbone en 2050 » dans les prochaines semaines.

Canopea