Febiac et Touring prêchent leur bonne parole: gloire à l’asphalte!

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Le moment était bien choisi : à la veille de la semaine de la mobilité, la Fédération de l’industrie automobile et du cycle (FEBIAC) et Touring ont diffusé un communiqué de presse commun ciblant les autorités régionales et réclamant des mesures fortes pour rendre le réseau routier plus performant. Morceaux choisis…

Selon Febiac et Touring, « une vision renouvelée du réseau routier est indispensable pour prendre les problèmes de mobilité à bras-le-corps ». Bien. Belle assurance : le réseau régional est donc la réponse. Mais quelle est au juste la question ? Elle est, en fait, sans équivoque : comment désengorger le réseau routier pour le rendre plus attractif – et donc y caser encore plus de voitures ? Un tantinet réducteur par rapport à l’ensemble des problèmes de mobilité ? Certes, mais après tout, chacun son métier.

Les deux organisations de promotion du secteur automobile ne se voilent pas la face : l’espace disponible pour construire de nouvelles autoroutes est limité, constatent-elles. Il convient dès lors « d’exploiter au maximum le réseau routier existant ». Hélas, trois fois hélas : « le réaménagement de nombreuses routes – y compris des axes principaux – met en péril leur fonction de circulation ». Il convient dès lors de porter remède à cette situation dramatique en suivant les recommandations établies par la KU Leuven pour le compte de Febiac et Touring.

Pour faire bref, le réseau régional doit pouvoir servir de roue de secours au réseau autoroutier qui montre une fâcheuse tendance à se trouver bloqué au moindre incident. Les routes régionales reconverties comme « contournements » des tronçons autoroutiers : il fallait y penser. Mais ceci, attention, ne se fera au détriment ni de la sécurité ni de l’environnement. Non. Les chercheurs de la KUL se font fort de le démontrer et « en profitent pour dissiper quelques malentendus et tordre le cou à certains préjugés sur l’usage de la voiture et la mobilité ». Chaud devant ! Ca va saigner…

Sur le banc des accusés : les autorités régionales. Celles-ci « n’ont pas hésité à instaurer une monopolisation de la route par les bus et les trams aux dépens du reste de la circulation ». Notamment en instaurant des sites propres. Damned ! La situation est grave, en effet. Ce crime de lèse-voiture entraîne, selon Febiac et Touring, des incidences tant en matière de mobilité que d’environnement, les axes « amputés » d’un site propre ayant tendance à se retrouver en situation de congestion toute la journée.

Par ailleurs, la KU Leuven considère qu’un problème fondamental empêche le bon écoulement du trafic sur nombre de routes régionales : celles-ci cumulent trois fonctions. A la fois axes de transit (liaison entre deux villes), de « désenclavement » (quartiers et zonings) et assurant une fonction résidentielle (accès aux parcelles individuelles), les variations de vitesse maximale y sont nombreuses, les types de comportements variés – et donc le risque d’accidents élevé. Le constat est bien réel. Mais le remède proposé (dédicacer la voirie régionale à la seule fonction de transit) pose franchement question à plus d’un titre – dont la compatibilité d’une telle approche avec la possibilité, pour les usagers doux (notamment les cyclistes) d’utiliser les voiries concernées en toute sécurité…

L’étude se plaît à – c’est du moins ce qu’affirment Febiac et Touring – démonter un certain nombre « d’idées préconçues ». Remarquons que la démonstration se conclut bien souvent sur une affirmation qui a tout de l’idée préconçue – mais une idée d’une toute autre nature, il est vrai. Ainsi, pour réfuter le constat objectif du fait que le réseau routier belge est l’un des plus denses au monde, la KU Leuven révèle que c’est surtout le réseau local qui est développé dans notre pays. Et que, en ce qui concerne les autoroutes et/ou les routes régionales, on peut encore faire mieux ! Ainsi, il y a aux Pays-Bas 1,7% d’autoroutes de plus qu’en Belgique ! Beaucoup plus grave : la conurbation de Randstadt, aux Pays-Bas, possède 9% d’artères principales de plus que la Flandre. Dès lors, quelle que soit l’importance du réseau local, pourquoi ne pas développer encore le réseau régional ? Chacun(e) se forgera une opinion sur le bien-fondé et la rationalité de cette approche.

A la page 5 du communiqué de presse, la démonstration dérape : on entre franchement dans le domaine du burlesque. Pour minimiser l’importance de l’effet d’appel (toute nouvelle route appelle un nouveau trafic et atteint bientôt l’état de saturation du reste du réseau), le lobby automobile se fait accusateur : les transports en commun efficaces ont le même effet – et attention, il y a des preuves : « Nous disposons p.ex. de témoignages de gens qui, grâce à leur abonnement gratuit, font chaque jour appel au bus pour se rendre dans un café quelques kilomètres plus loin plutôt qu’à celui situé au coin de la rue ». Gosh ! Voilà qui, en effet, doit représenter d’impressionnants volumes de transport : tous les piliers de comptoirs échangeant leur zinc préféré. On savait que l’herbe était toujours plus verte dans le pré voisin – voilà que Febiac et Touring nous apprennent que la bière est plus blonde dans le café voisin… Quand le lobby automobile se lance dans la sociologie, ça déménage !

Il est difficile, passé ce point de non-retour, de suivre nos pourfendeurs d’idées reçues sur le cheminement de leur raisonnement quelque peu tortueux. Ainsi, partis sur les ailes des coûts externes du transport, ils reprennent contact, après quelques impressionnants loopings, avec le plancher des vaches (ou plutôt l’asphalte des voitures), en affirmant que le trafic génère des avantages sociaux considérables en ce qu’il « facilite l’activité et la croissance économiques ainsi que le progrès social, enrichit les loisirs et accroît la sécurité ». Les personnes exposées au bruit routier et les victimes d’accidents de la route et leurs familles seront heureuses de l’apprendre, de même que les (autres) chercheurs qui ont mis en relief l’absence totale de corrélation entre croissance économique et bien-être social.

Changeant de registre, Febiac et Touring s’essaient également à la mauvaise foi, faisant semblant de s’interroger candidement : « Mais pour quelle raison une mesure telle que l’aménagement d’une voie de circulation pour les bus est-elle considérée comme un objectif politique en soi? » Il ne s’agit bien évidemment pas d’un objectif. Mais d’un outil au service de l’objectif général de réduction des incidences environnementales du transport. Sans doute cette tentative de discrédit trouve-t-elle son origine dans le fait que l’outil en question a fait la preuve de son efficacité en termes de report modal…

Là où on ne peut donner tort à Febiac et Touring, c’est quand ils affirment que « la voiture et les transports en commun ne sont pas aussi interchangeables qu’on le voudrait ». « L’emploi du temps chargé, le caractère souvent « vadrouilleur » de nombreux Belges, et les déplacements tous azimuts qui l’accompagnent, le tout dans un pays urbanistiquement très morcelé, n’y est certainement pas étranger. La voiture – et pour de plus en plus de personnes, la moto – constitue le moyen le plus adapté pour combiner toutes ces activités dans un budget-temps limité ». Le constat est évident. Et l’on touche ici au problème fondamental à résoudre en matière de mobilité : la remise en question de ces habitudes de « vadrouilleurs » qui trouvent leur origine dans … la disponibilité de la voiture.

La diminution de la demande de transport (la réduction du nombre de ces « déplacements tous azimuts ») doit en effet être au c½ur de toute politique de mobilité durable. Les pouvoirs publics doivent mobiliser les outils dont ils disposent à cette fin (planification, fiscalité, normes et réglementations) – et l’ensemble des citoyens doit remettre en question ses choix quotidiens à la lumière des défis environnementaux – ce que facilitera grandement un cadre politique plus contraignant qu’il ne l’est actuellement.

Comment est-il donc possible d’ignorer à ce point que le système automobile n’est pas viable ? A la lecture de ce document, on oscille entre l’indignation, la colère, l’éclat de rire parfois – et le désespoir. Désespoir de voir l’importance des résistances aux trop rares initiatives de réorientation de notre système de transport vers la durabilité. Désespoir de voir les intérêts financier d’un secteur primer sur l’intérêt global, sur la nécessaire protection de l’environnement. Mais espoir aussi. Espoir quand on voit ces lobbys automobiles faire feu de tout bois, tirant tous azimuts pour tenter vaille que vaille de maintenir les choses en l’état.
Attitude révélatrice à n’en point douter d’un secteur aux abois…

Ce texte est tiré de nIEWs,

la lettre d’information de la Fédération.

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