Immunité climatique prolongée pour l’aviation et le transport maritime international ?

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Les résultats du sommet de Copenhague sont, on le savait, plus que décevants (du moins pour celles et ceux qui en espéraient encore quelque chose…). Ceci est particulièrement vrai pour les émissions de gaz à effet de serre générées par les transports aériens et maritimes internationaux. Connues sous le terme de « bunker fuels » (carburants de soute en français), ces émissions étaient exclues du protocole de Kyoto. La mission de réduction de ces émissions avait été confiée à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et à l’Organisation maritime internationale (OMI) qui, jusqu’à présent, s’en tiennent à des déclarations de bonnes intentions et à la promotion d’outils de portée fort limitée (comme l’amélioration des procédures d’approche pour l’aviation). Cette situation avait incité l’Union européenne (UE) à adopter, en 2008, une législation visant à intégrer – à partir de 2012 – l’aviation internationale dans son système d’échange de droits d’émissions (système ETS[Pour ces aspects –et bien d’autres – voir [le dossier « les limites du ciel » ]] )

Bien que les trois derniers mois aient vu plus de discussions et réunions à ce propos que les dix années précédentes, il s’est avéré impossible de combler le fossé entre des points de vue que l’on peut qualifier sans exagération de divergents. Si l’on excepte une simple référence à des sources de financement novatrices (qui pourraient inclure des rentrées issues des bunker fuels), l’accord de Copenhague ne fait nullement mention des carburants de soute.

Au final, les pays (ont dit parties quand on est initié) n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la définition d’objectifs sectoriels pour les transports maritimes et aériens internationaux, en raison d’une absence de consensus tant sur les niveaux de réduction requis que sur l’organisme devant les fixer : l’OACI, l’OMI ou la Conférence-cadre des nations unies sur les Changements climatiques (CCNUCC – UNFCCC en anglais).

Négociations ou travail de sape ?

Il a fallu attendre quatre jours à Copenhague avant que le groupe de « déminage » sur les bunker fuels se réunisse – et seulement après que de fortes pressions aient été exercées sur le président du « Long-terme Cooperative Action group » (LCA) pour que la réunion s’inscrive dans le cadre des « autres questions ». Plusieurs brouillons de textes circulèrent alors dans ce groupe restreint proposant que toutes les parties devraient s’attacher à réaliser des réductions (plutôt que les seuls pays « Annexe 1 » ou industrialisés, comme prévu à l’article 2.2 du protocole de Kyoto) mais que les revenus issus de telles mesures devraient être attribués aux pays en voie de développement. La version norvégienne, soutenue par les USA, le Canada et le Japon, ne comprenait quant à elle aucune référence à l’aspect financier. Il apparut plus tard que les USA bloquaient toute mention au financement dans le cadre des discussions bunker. En fait, la position des USA était claire bien avant Copenhague : il ne devait y avoir aucune référence aux bunker fuels dans le futur accord. Mais cette position a encore été renforcée (autant que faire se peut…) du fait que les discussions sur les bunker fuels ont été étroitement liées au principe de la responsabilité commune mais différenciée (Common But Differentiated Responsibilities – CBDR) par lequel la responsabilité historique des pays est prise en compte, ce qu’ont fort difficile d’admettre les gros pollueurs historiques (au premier rang desquels ont trouve… les USA).

Au début de la seconde semaine de négociations, la Norvège et Singapour proposèrent de rédiger leur propre texte qui pourrait être acceptable par les parties. Il différait du texte norvégien original, excluait toute mention à des objectifs (les buts étaient mentionnés mais les buts ne constituent pas des objectifs chiffrés) ou au fait de les fixer à Copenhague … et ne parvint pas à faire consensus.

Au cours des négociations, plusieurs pays développés ont dénoncé comme trop ambitieuses les propositions européennes de 10% de réduction (pour 2020 et par rapport à 2005) pour l’aviation et de 20% pour le transport maritime international. Au passage, notons que ces objectifs sont encore bien faiblards et ont été dénoncés comme tels part la fédération européenne Transport et Environnement (T&E). Ils permettraient en effet à ces secteurs de maintenir leurs émissions à un niveau supérieur à celui de 1990 d’un tiers environ alors que l’Europe s’est engagée à réduire ses émissions globales de 20% (30% en cas d’accord international) en 2020 par rapport à 1990…

Quel est l’héritage de Copenhague ?

D’abord, une certaine convergence de vues pour considérer les bunker fuels comme des sources de revenu potentielles dans le cadre du financement de la lutte contre les changements climatiques.
Ensuite, l’assurance que l’OACI et l’OMI vont rediscuter de ces dossiers à l’occasion de leurs prochaines réunions en 2010. mais ceci sans aucun cadre formel ni échéancier sur les points essentiels que ces organismes avaient pourtant présentés comme des préalables essentiels à toute avancée sur le dossier.
Pas de quoi réjouir les héritiers…

Une question continue à tarauder certains observateurs : « est-ce que l’ICAO et l’IMO s’intéressent sérieusement à la question des objectifs ? » Pour notre part, il nous semble que ces deux organismes ont largement fait la preuve que la réponse à cette question est négative et que toute avancée en ce domaine impliquera nécessairement une « reprise en mains » par la CCNUCC. Copenhague en était l’occasion…

En fait, les divisions existant avant la visite à la petite sirène demeurent. Au sein des pays développés, deux camps s’affirment avec les USA, le Japon, le Canada et la Norvège d’un côté et l’Europe de l’autre – l’Australie errant quelque part dans le no man’s land. Parmi les pays en voie de développement et émergents, la situation est semblable : Chine, Inde, Brésil, Arabie Saoudite, Afrique du Sud et Cie ne sont guère partisans d’objectifs ambitieux – à l’opposé de bon nombre de pays les moins développés, principalement africains (notamment le Malawi), et de petits états insulaires. Toute tentative des pays les plus volontaristes de rallier quelques partisans ne peut actuellement se faire qu’à une condition : diminuer le niveau d’ambition des mesures proposées…

Au milieu de cette mêlée digne des plus mémorables empoignades de potaches, l’industrie pérore, s’estimant grande gagnante (ce qui est peut-être vrai si l’on ne considère que certains intérêts financiers à court terme – mais risque de s’avérer dramatiquement faux par la suite).

Résultat, les émissions des transports aériens et maritimes internationaux continuent de croître.

La nouvelle Commission et le nouveau Parlement européens vont devoir songer très sérieusement à introduire une législation unilatérale pour contrôler les émissions des navires utilisant les ports européens – et à renforcer la législation relative au transport aérien : « De grâce, continuez à tirer les premiers, messieurs (et dames !) les Européens. »

La présente nIEWs est largement inspirée d’une analyse de la fédération européenne T&E.

Extrait de nIEWs (n°67, du 14 au 18/01/2010)

la lettre d’information de la Fédération.

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