«Je veux payer plus cher ma voiture et mon carburant !»

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Deux rapports ont défrayé le petit monde des transports au cours des dernières semaines. Le premier établit le diagnostic du système de transport européen, il émane de l’agence européenne de l’environnement (AEE)[Le rapport « Transport at a crossroads » est téléchargeable [ici ]]. Le second présente une prospective des transports en Belgique à l’horizon 2030, il a été rédigé par le bureau fédéral du plan (BFP)[Le rapport « Perspectives à long terme de l’évolution des transports en Belgique : projection de référence est téléchargeable [ici ]]. Ces rapports ont un point commun : ils brossent une situation catastrophique – aujourd’hui comme demain. Par ailleurs, dans leurs propositions de solutions, ni l’AEE ni le BFP (et singulièrement moins le second que le premier) ne vont jusqu’au bout de la démonstration, bloqués dans leur raisonnement par la difficulté de tenir un discours réputé politiquement incorrect : la remise en cause du dogme d’une croissance (économique) infinie dans un monde fini.

En Europe, les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports ont augmenté de 28% entre 1990 et 2006 (il n’est pas inutile de rappeler au passage que la Région wallonne se distingue avec une évolution de +40% entre 1990 et 2004). L’AEE relève par ailleurs que le problème du bruit engendré par les transports – singulièrement routiers – est un problème de plus en plus prégnant – et sans l’amorce d’une solution. A cause du trafic routier, 67 millions d’Européens sont soumis à des nuisances sonores d’un niveau supérieur à 55 décibels (dB Lden), soit la limite au-delà de laquelle des effets sur la santé sont observés…

En Belgique, le BFP prévoit que, entre 2005 et 2030, le transport routier de marchandises devrait augmenter de 60%, celui de personnes de 30%. Corrélativement, on devrait assister à une augmentation de 18% des émissions de gaz à effet de serre. Seul point positif, les diverses normes imposées par l’Europe devraient permettre une réduction significative des polluants locaux. Le BFP prévoit des réductions de 54% pour le monoxyde de carbone (CO), 40% pour les oxydes d’azote (NOX), 63% pour les particules fines (PM) et 54% pour les composés organiques volatils (COV). Au passage, admirez la précision de ces prévisions à 20 ans…
Le rapport du BFP nous semble appeler au moins trois remarques. Primo, le prix du carburant devrait, selon le BFP, augmenter moins en 22 ans (+3,6% pour l’essence et +5,5% pour le diesel entre 2008 et 2030) que sur les trois dernières années. Cette approche, qui relève de ce que l’on pourrait appeler un optimisme (ou pessimisme, selon le point de vue) béat est d’autant moins compréhensible que le problème du pic de production du pétrole (et de sa déplétion subséquente) commence à être reconnu à tous les niveaux de pouvoir[Voir notamment [le site que le Parlement wallon a consacré au sujet ]]. Secundo, les émissions de gaz à effet de serre ne devraient augmenter « que » de 18% pour des accroissements de trafic bien plus (au moins deux fois) importants. Ceci notamment du fait des progrès technologiques et d’un usage accru des agrocarburants : vision quelque peu idyllique des incidences positives de la toute-puissante technologie. Tertio, le BFP se fait l’écho d’une croyance sinon aveugle du moins aveuglée dans les « bienfaits » des agrocarburants, sensés représenter, selon le BFP, 13,5% de la consommation d’essence et 10% de la consommation de diesel en 2030. Une telle évolution constituerait à coup sûr une catastrophe environnementale de plus… comme le relève l’AEE, visiblement plus au fait des études qui mettent clairement en doute le bien-fondé d’une politique de promotion des agrocarburants, notamment en raison des effets de substitution au niveau des sols[Voir notamment les nombreux documents consultables sur le site [www.mangerouconduire.be ]]. Selon l’AEE : « l’Europe n’est pas la seule région ayant un objectif d’augmentation de l’utilisation des biocarburants et les effets globaux en termes d’utilisation des sols pourraient s’avérer dramatiques ».

Face à la situation présente, l’AEE appelle de ses v½ux une méthodologie s’appuyant sur la définition d’une vision (intégrant des objectifs), d’un cheminement (identification des mesures), d’une priorisation des mesures – et d’une application effective ! Parmi les mesures possibles, l’AEE n’en identifie qu’une pouvant répondre positivement à tous les problèmes environnementaux (gaz à effet de serre, polluants locaux, bruit, biodiversité, …) : «le contrôle de la demande et la diminution de la croissance du trafic ». Ceci pour arriver à un monde avec « un peu moins de transport et beaucoup moins de pollution » (admirez la prudence de la formulation : il s’agit de ne pas choquer les âmes sensibles !).

Le BFP ne va pas si loin. Pour lui, la voie à privilégier est une nouvelle fixation des prix conduisant à un meilleur équilibre entre taxation et coûts externes. Dans cette logique, les coûts d’utilisation de l’infrastructure devraient notamment être fonction de l’heure de la journée. Nous renvoyons à l’avis de la fédération sur le plan Kyoto-Transports pour un commentaire de cette approche.
Face aux messages plus qu’alarmants émanant des rapports du même tonneau que les deux dont il est question ici, le monde politique réagit généralement, et avec un bel ensemble, comme une autruche schizophrène. Schizophrène parce que la reconnaissance du bien-fondé des dits rapports et de la nécessité de diminuer drastiquement l’empreinte écologique des transport s’accompagne d’une affirmation appuyée sur la nécessité de maintenir un haut volume de transport par nécessité économique (nécessité qui, du coup, occulte quelque peu les objectifs environnementaux). Autruche parce que, prenant acte des évolutions pronostiquées comme d’une donnée intangible, on balance en guise de « mesure d’accompagnement » une incantation aux progrès technologiques et un appel à une modification des pratiques fiscales (modification devant s’accomplir sans douleur, entendez sans augmentation de la « pression » fiscale sur les citoyens et les entreprises). Et vogue le navire ! Ou plutôt roulent la voiture et le camion.

Cette attitude permet d’éviter les foudres de l’opinion publique, prompte à s’émouvoir de toute atteinte à la liberté de circuler, aujourd’hui devenue liberté de circuler loin, vite, souvent et au mépris des incidences que cela génère. A croire que le récit de la Genèse a oublié un épisode : celui où, avant même de prélever une côte de l’homme pour lui façonner une compagne, l’Etre suprême lui a prélevé un morceau de cerveau pour en faire une voiture.

Las ! Rarissimes sont ceux qui osent affirmer haut et fort l’évidence : les transports les plus polluants (routier et aérien) sont beaucoup trop bon marché. Certes, comme d’aucuns le rappellent avec insistance, ils sont induits par d’autres fonctions. Mais l’inverse est vrai également : à titre d’exemple, nombre de délocalisation n’ont d’explication que dans le faible prix du transport. Que celui-ci augmente, et l’on relocalisera la production ! De même, que le prix du billet d’avion augmente et l’on mettra fin aux pratiques irresponsables de mini-trips divers et variés. Ainsi, durant la dernière décennie, le seul facteur ayant eu un effet marqué sur le demande de transport est l’augmentation du prix des carburants ayant découlé de la flambée des prix du pétrole. Et pour augmenter le prix du transport, nul besoin d’inventer de nouveaux outils fiscaux : il suffit d’activer ceux qui existent ! Taxe à l’achat, à la possession, à l’utilisation ne demandent qu’à être relevées pour faire sentir leurs effets combinés. De même que ceux qui sont profondément et sincèrement attachés à la défense de notre système social affirment courageusement leur volonté de payer leurs impôts, osons crier haut et fort : « je veux payer plus cher ma voiture et mon carburant ! »