La suédoise Umea, modèle pour la Wallonie ?!

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Si la suédoise est très à la mode au Fédéral, la Wallonie est quant à elle célèbre en Suède ! D’Umeå à Mons en passant par les vallonbruks, nous vous proposons quelques réflexions issues d’une stimulante incursion dans le Norrland.

Entre la constitution des gouvernements régionaux et cette rentrée placée sous le signe d’une probable suédoise a priori peu concernée par les enjeux qui nous sont chers, l’été fut bref.
Le mien fut mis à profit pour visiter le nord de la Suède, incursion qui, contre toute attente me replongeat de manière stimulante dans mes matières de prédilection : l’aménagement du territoire et la Wallonie.
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Planté massivement en raison de sa faible combustibilité, le bouleau est omniprésent dans les rues d’Umeå, lui conférant une identité urbanistique très claire (photo : Benjamin Assouad)

La Suède présente en effet un territoire qui, au-delà de son exotisme intrinsèque, peut se révéler des plus éclairants pour la petite Wallonie. Focus subjectif sur deux aspects particulièrement parlants.
Si Mons portera l’année prochaine le titre envié de capitale européenne de la culture, c’est Umeå, la « grande ville » du nord de la Suède, qui le porte cette année. Ensuite, si on déplore souvent la faiblesse du rayonnement régional à l’international, il est assez amusant de prendre conscience du respect que suscite le qualificatif « wallon » dans l’imaginaire suédois.

Umeå, capitale d’une modestie culturelle bien-pensée, un exemple pour Mons ?

Umeå est donc capitale européenne de la culture cette année. Modeste chef-lieu d’un espace aussi vaste que vide d’habitants, l’élégante cité scandinave bien organisée sur son plan en damier ravit cette année les curieux qui auront eu le courage de monter aussi loin dans le nord. Concerts, expositions, performances en tout genre… la programmation culturelle de la ville, riche en temps normal, est particulièrement fournie depuis janvier.
Pour rappel, Umeå est une ville située sur le golfe de Botnie, dans la région septentrionale du pays, le Västerbotten, à 600 kilomètres au nord de Stockholm. Avec près de 80.000 habitants, c’est la 12ème plus grande ville de Suède, et la plus grande ville de toute la moitié nord du pays, laquelle représente en surface à peu près huit fois la Belgique. Un contexte géographique qui en fait la capitale de fait du Norrland – considéré par de nombreux observateurs comme le seul grand territoire vraiment vierge d’Europe aujourd’hui, celui dont les activités humaines n’ont quasiment pas impacté les contours. Le Norrland compte 1,3 millions d’habitants, essentiellement dans les grandes villes côtières d’Umeå, Luleå, Sundsvall et Gävle, sur un territoire de 270.000 km² (soit moins de 5 hab./km²). A titre de comparaison, ce sont près de 30 millions d’habitants que comptent les 76.000 km² du Benelux (soit près de 400 hab./km²).
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Les berges de l’Umeälven ont été aménagées pour en faire un espace de vie très qualitatif, entre espaces verts, cheminements pour mode doux, et bâtiments emblématiques, comme ici l’iconique Bildmuseet (photo : Benjamin Assouad)

Une préoccupation centrale du projet Umeå, capitale européenne de la culture est la valorisation de l’existant, selon une règle d’or de la gestion suédoise alliant parcimonie et sobriété. On valorise la culture locale de la ville et sa région – le nord sauvage, l’ambiance Baltique, l’héritage sami, le patrimoine bâti –, et on valorise la programmation culturelle existante, dont ses institutions muséales et de spectacle.
En conséquence, l’événement n’a pas justifié l’ouverture de chantiers pharaoniques recomposant le skyline de la ville ou de méga-musées flambant neufs. Les organisateurs ont travaillé avec ce qui existait, tant en matière d’infrastructures que d’événements. Il faut préciser, quand même, que la ville proposait à la base un vaste programme, beaucoup plus que ce que sa modeste taille aurait pu le laisser penser.
Les festivals et calendriers des nombreuses institutions de spectacles vivants locaux ont reçu un soutien plus important que de coutume. Les quelques musées de la ville, dont les étourdissants Bildmuseet – le centre des beaux-arts magnifiant la berge du fleuve – et Västerbottens Museum – l’iconique musée d’histoire culturelle de la région –, ont été reliftés à suffisance, autour d’expositions permanentes dépoussiérées et l’accueil d’expositions temporaires à fortes ambitions. Mais surtout, l’élégante composition de la ville, développée sur la rive gauche de l’Umeälven, un fleuve plus large et plus puissant que la Loire, et organisée autour d’un magnifique plan en damier qui offre un réseau d’élégantes artères plantées de bouleaux, a été mise en valeur.
Par conséquent, pas de folies à Umeå pour que vive l’annuelle grande messe européenne culturelle, mais tout au plus, des investissements ciblés et pesés, qui valorisent l’existant, le rendent plus séduisant, tant pour un public étranger que pour un public local, et font en sorte que le titre européen assoie la pérennité d’une offre culturelle locale de qualité. En définitive, à Umeå en 2014, on est très loin d’un urbanisme événementiel, dont le bling-bling des infrastructures ne masque la vacuité que le temps de la manifestation. On est aussi très loin de l’urbanisme soucoupe volante, qui vient insérer des sculptures architecturales, dans des quartiers sans raccords urbanistiques ni fondements sociaux ou culturels, dont le mouvement Guggenheim s’est fait le chantre.
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L’effet barrière de la voie ferrée est à Umeå peut-être plus faible qu’ailleurs : suite à l’incendie de 1888, le plan de la ville moderne a pu être pensé en intégrant au mieux le train ; depuis, chaque extension de la ville a été au mieux connectée au centre-ville, en se jouant des rails, comme ici avec la passerelle dans le quartier d’Östermalm (photo : Benjamin Assouad)

Alors que Mons s’apprête à prendre la relève du titre de capitale européenne de la culture en 2015, gageons que la modestie bien pesée d’Umeå en inspire les organisateurs. Le développement culturel de la région, son patrimoine bâti et ses habitants en sortiraient gagnants.

Les bruks et le prestige wallon en Suède

A tort ou à raison, on peine en Wallonie à penser qu’une perception positive puisse à l’étranger être associée à l’imaginaire wallon. On souffre de la comparaison avec l’insolente Flandre à qui tout réussirait, d’un complexe d’infériorité avec une France qu’on fantasmerait. Tout semble aller mieux ailleurs. Il semble inimaginable que wallon puisse évoquer quelque chose de bien pour d’autres.

A ce niveau, la Suède peut surprendre considérablement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, alors que wallon ne signifie rien, ou pas grand-chose, pour beaucoup d’autres francophones européens – Français, Suisses –, il est porteur d’un imaginaire très fort dans la Suède actuelle, mais donc en Suédois : Vallon. Quelques explications.
On est aux 16-17èmes siècles. L’Europe s’entretue. L’émergence et le développement des fois protestantes face à la foi catholique, la progressive application du principe « un prince, une foi », et les persécutions massives associées, conduisent à des déplacements majeurs de populations dans l’ensemble de l’Europe. L’actuelle Wallonie, particulièrement peuplée et développée, va connaître le phénomène de manière très intense. A mesure que les persécutions vis-à-vis des protestants locaux ou supposés se font plus intenses, les départs vers des destinations plus hospitalières se font plus nombreux.

Dans ce contexte, la Suède se révèle une terre d’accueil de premier plan. Alors que la dynastie des Vasa impose un protestantisme luthérien d’Etat et ambitionne de devenir une puissance européenne majeure, la monarchie nordique a besoin d’une main d’œuvre de qualité pour valoriser les richesses de son immense territoire. L’Etat suédois installe alors des conditions très favorables pour des industriels de tous bords désireux de développer des activités. Le souhait de la monarchie : développer le pays, l’industrialiser, extraire et valoriser ses matières premières (bois, fer), consolider son armée (marine, canons).

Les candidats wallons à l’exil sont dans ces circonstances des candidats idéaux. La maîtrise du travail du fer et du charbon dans les campagnes wallonnes est une réalité depuis déjà plusieurs siècles. La Suède regorge de forêts, et donc de charbons de bois, et découvre année après année davantage de filons de fer de Stockholm à Sundsvall.

Progressivement, l’Uppland, le Gästrikland, et ensuite d’autres régions du nord, se couvrent d’ensembles urbanistiques complets et autonomes, dits bruks, dont l’objectif est le travail du fer. Ces ensembles accueillent des paysans d’origine, rodés à la métallurgie, qui trouvent en leurs seins des conditions de vie très qualitatives au regard de l’insécurité des guerres de religion qu’ils fuient. Les capitaines d’industrie développent en Suède dans ces bruks des ensembles bâtis, dans lesquels les ouvriers et leurs familles trouvent, dès les 17-18ème siècles, un confort remarquable, tant dans leurs logements, que dans les commodités collectives mises à leur disposition : école, boulangerie, épicerie… Une grande partie de ces paysans « qualifiés » est alors originaire de Belgique francophone.

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Lövstabruk, au nord de Stockholm : ce gigantesque bruk, qui s’étend sur plusieurs dizaines d’hectares, est l’œuvre d’un capitaine d’industrie belge, Louis De Geer, qui l’a fondé au 17ème siècle. Plusieurs centaines de familles wallonnes, familières des métiers du fer, y ont vécu, plusieurs décennies durant, dans un ensemble immobilier remarquable, entre rues longées de maisons ouvrières, d’équipements communautaires, de forges et d’ ateliers, d’un manoir (photo : Bing)

De cette histoire qui a transformé la Suède en une puissance industrielle moderne, il reste un patrimoine exceptionnel, avec ces nombreux ensembles urbanistiques façon Grand Hornu, une foultitude de patronymes francophones dans la population, et un imaginaire, associé aux Wallons, extrêmement favorable. En effet, dans les consciences, ces ensembles bâtis remarquables sont des vallonbruk, soit l’œuvre de Wallons. On ne sait plus bien qui sont ces Wallons, d’où ils viennent, et quelle a été leur contribution réelle dans l’histoire de la Suède. Mais en tout cas, le qualificatif reste connu, et on l’associe à des acceptions très positives. Etre vallon, c’est être travailleur, fort, sérieux, digne de confiance… Bref, dans l’imaginaire collectif suédois, on continuer à tirer un portrait très flatteur du Wallon. Ce qui dénote sensiblement d’autres sentiments que wallon peut susciter, plus proches géographiquement, et qu’on connaît mieux généralement.

D’Umeå aux bruks wallons, la Suède constitue définitivement une belle source d’inspiration en ces temps de rentrées difficile.