La taxe kilométrique : un outil de mobilité durable ?

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A l’occasion de la semaine de la mobilité, la FEB réitère sa demande d’introduction d’une taxe kilométrique « intelligente » appliquée à tous les véhicules routiers. Cette taxe, qui dépendrait de « l’utilisation plutôt que de la possession » d’un véhicule serait censée résoudre nombre des problèmes posés par l’actuel système de mobilité – dont celui de la congestion du réseau routier, problème prioritaire aux yeux de la FEB. Que faut-il penser de cette proposition ? L’analyse d’Inter-Environnement Wallonie est développée dans un dossier dédicacé à l’étude de cet outil fiscal : « Prélèvement kilométrique appliqué aux voitures : une analyse critique ».

Quelles motivations ?

Avant d’en présenter les enseignements, il est bon de faire un détour par les motivations qui peuvent pousser les uns et les autres à promouvoir ce type d’outil. Le secteur automobile (représenté en Belgique par la FEBIAC) assortit généralement son plaidoyer en faveur d’un prélèvement kilométrique d’une demande de suppression parallèle des autres taxes automobiles – dont la taxe de mise en circulation (TMC). Autrefois, la FEBIAC plaidait plutôt pour le développement de la taxe de circulation annuelle (TC) – et pour la suppression de la TMC. C’est donc cette demande qui est au cœur des plaidoyers de la FEBIAC. Et pour cause : la TMC est un outil qui a démontré dans plusieurs Etats européens (dont les Pays-Bas) toute son efficacité pour orienter les achats des citoyens vers des véhicules plus modestes, moins énergivores, moins polluants que ceux promus par les constructeurs[[Comme il apparaît dans l’étude benchmarking des pratiques fiscales en Europe réalisée par IEW en 2013 et publiée dans le Bulletin de documentation du SPF Finances : https://finances.belgium.be/sites/default/files/downloads/BdocB_2014_Q3f_Courbe_taxation_fr.pdf]]. La TMC est, en substance, le seul outil efficace dont disposent les pouvoir publics pour faire contrepoids à la pression publicitaire exercée par les constructeurs. Il ne s’agit sans doute pas là de la seule motivation qui amène la FEB pour plaider en faveur de la taxation kilométrique. Mais il est difficile de nier que cet élément a son importance.

Les nombreuses modulations potentielles d’un prélèvement kilométrique (qui amènent certains à le qualifier « d’intelligent ») peuvent laisser espérer aux décideurs politiques qu’il leur permettra de sortir du dilemme qui se pose à eux et de résoudre la quadrature du cercle : diminuer le volume de transport tout en préservant la bonne santé du secteur automobile. Il pourrait dès lors s’agir, dans le chef de certains, d’un élément de procrastination : mettre en place un nouvel outil fiscal afin de ne pas amplifier l’utilisation des outils existants. Dont la TMC et les accises sur le carburant qui sont l’un et l’autre efficaces. Le premier pour limiter la consommation énergétique et la pollution des véhicules, le second pour limiter le nombre de kilomètres roulés. Est-ce en supprimant les outils existants et efficaces et en « réinventant la roue » que l’on permettra à cette volonté politique de s’exprimer ?

Sur le fond, qu’en penser ?

Internaliser les coûts externes du transport pour les imputer aux automobilistes par le biais d’un prélèvement kilométrique : le projet peut sembler beau en première approche. Une analyse en profondeur met en lumière ses faiblesses conceptuelles, ses zones d’ombres et ses dangers. Faiblesses comme la réduction de « l’homo automobilis » à un être mû principalement par la rationalité économique (ce qui génère une surestimation des effets de l’outil qui montre pourtant ses limites lorsqu’il est appliqué aux transporteurs routiers qui sont, eux , dans la rationalité économique), comme l’impossibilité d’intégrer les motivations des déplacements ou comme les limites de l’exercice de monétarisation des services écosystémiques (en vue d’imputer aux automobilistes la pollution associée à leurs déplacements spécifiques). Zones d’ombres avec l’entretien du flou entre l’internalisation des coûts externes du transport et le payement pour la transgression d’une norme, avec la monétarisation de la vie humaine ou avec l’imputation de la responsabilité des déplacements au seul individu – dont les comportements sont pourtant guidés par l’organisation sociétale. Dangers, enfin, au niveau des effets sociaux potentiels, de la perte de maîtrise de l’outil fiscal par les Etats membres de l’Union européenne (devant se conformer à une directive leur disant comment mettre en œuvre la taxe kilométrique et avec quels tarifs) ou de la mise à mal des principes de solidarité et de mutualisation sur lesquelles sont bâties nos sociétés.

Ce qui manque aux politiques de mobilité, c’est une volonté claire de réduire la demande de transport, condition sine qua non pour atteindre la durabilité dans ce secteur. S’il ne s’inscrit pas dans une logique de maîtrise de la demande, aucun outil – qu’il soit normatif ou économique – ne peut à lui seul apporter de solution adéquate aux nombreuses incidences du système de mobilité. De plus, s’il est présenté comme offrant de grandes potentialités, il risque de détourner l’attention de l’opinion publique et l’action politique des vraies solutions, lesquelles résident en un bouquet d’outils normatifs et économiques sélectionnés dans le cadre d’une approche systémique de la mobilité.

Les discussions qui entourent actuellement ce dossier se focalisent sur l’outil taxe kilométrique, sans trop se soucier de l’objectif auquel il est censé répondre. C’est là un danger réel, le vrai débat se situant ailleurs. D’abord sur le plan de la définition d’objectifs de mobilité durable, ensuite sur celui de la détermination de la palette d’outils les plus performants pour atteindre ces objectifs, enfin sur la question de la maîtrise de ces outils par la puissance publique. Avant de discuter de la couleur des châssis de fenêtre, il convient de déterminer le niveau d’isolation du bâtiment que l’on rénove, et des potentialités d’économie d’énergie associées aux différents éléments du bâtiment (murs, sols, toiture, chauffage, fenêtres).

L’intelligence, en matière de fiscalité automobile, ne devrait peut-être pas tant se définir comme le degré de complexité d’un outil fiscal particulier que comme le niveau de lucidité que l’on porte sur les enjeux (notamment environnementaux) et sur la nécessité de définir des objectifs politiques en lien avec ceux-ci. Le prélèvement kilométrique « intelligent » constitue, potentiellement, une excuse pour oublier cette intelligence première sans laquelle les transports ne pourront jamais devenir durables.