Le Conseil d’Etat (et IEW) sauve(nt) un champ de betteraves !

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Récemment, le Conseil d’Etat a rendu son arrêt concernant un recours introduit en 2004 par Inter-Environnement Wallonie, lequel fait droit aux arguments de la Fédération. Le recours visait l’annulation d’une révision du plan de secteur de Charleroi de 2004 inscrivant dans des champs de betteraves situés au nord de la métropole carolo une zone d’activité économique mixte. Par cette décision, le Conseil d’Etat efface donc du plan de secteur une grosse tache mauve (la zone d’activité économique – ZAE) perdue au milieu d’une zone agricole. Et on s’en réjouira.

Le 10 décembre 2004, la Fédération a introduit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation contre l’arrêté du Gouvernement Wallon du 22 avril 2004. Cet arrêté procédait à la révision du plan de secteur de Charleroi pour y inscrire une zone d’activité économique mixte (ZAE) à Pont-à-Celles (Viesville et Luttre) au nord de la métropole carolo. Cette ouverture de ZAE s’inscrivait dans le cadre du plan prioritaire d’affectation d’espaces à l’activité économique : le papa du plan prioritaire bis actuel. Les principes de base de ce plan avaient été adoptés par le Gouvernement le 20 juillet 2000.

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Plan prioritaire d’affectation d’espaces liés à l’activité économique (2004)

Le site qui nous préoccupe ici a été présenté par l’intercommunale carolo IGRETEC (Intercommunale pour la gestion et la réalisation d’études techniques et économiques). Le projet consistait en la création d’une ZAE mixte de 80 hectares sur le territoire de la commune de Pont-à-Celles, en bordure nord de la localité de Viesville, le long de l’A54 (Nivelle-Charleroi) et à proximité de l’E42. Au plan de secteur de Charleroi, les terrains en question étaient jusque là inscrits en zone agricole.
Réviser le plan de secteur nécessite la réalisation d’une étude d’incidences. Ce qui a été fait par le bureau Aries qui a remis au Gouvernement le 19 août 2003 les résultats de ses travaux. Principale recommandation du bureau d’études : la création d’un accès autoroutier au zoning depuis l’A54 pour éviter le passage des véhicules dans les villages concernés.
Le projet final de révision de plan de secteur a choisi de suivre la recommandation d’Aries – créer un échangeur autoroutier direct depuis l’A54 donc – mais partiellement : pas d’inscription au plan de secteur d’un nouvel échangeur autoroutier, et donc pas d’étude des incidences de celui-ci sur l’exploitation du zoning ; seule modification notable, l’écriture, dans l’arrêté de révision, d’une prescription supplémentaire subordonnant la mise en ½uvre de la ZAE à la mise en service de l’échangeur.
Malgré des avis respectifs défavorables de la CRAT et du CWEDD sur l’opportunité du projet, le Gouvernement a adopté par l’arrêté du 22 avril 2004 la révision du plan de secteur de Charleroi en vue de l’inscription d’une ZAE mixte à Pont-à-Celles. C’est donc contre cet arrêté que la Fédération IEW a introduit un recours en annulation au Conseil d’Etat.

Un projet particulièrement critiquable

Dans le contexte d’une métropole carolo à la fois très étendue, peu dense, et riche en sites à réaménager, il est difficilement acceptable d’urbaniser encore plus large et donc de passer le ring (R3 + E42). C’est pourtant ce qu’acceptait le Gouvernement, allant de ce fait, et «massivement», à l’encontre des principes de gestion parcimonieuse du sol et de bon aménagement des lieux.

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Localisation du site de Pont-à-Celles par rapport à la métropole carolo

Néanmoins, ce ne sont pas ces arguments de fond quiont été soulevés par la Fédération dans le cadre de son recours dès lors que le Conseil d’Etat statue sur la légalité d’un projet et non son opportunité.
Les arguments deela Fédération ont porté sur :

(1) la non-analyse du site litigieux sur base des critères d’évaluation établis par le consultant extérieur et adoptés par le Gouvernement ;

(2) l’absence de compensation concomitante à l’inscription d’une nouvelle ZAE par réaffectation de sites d’activités économiques désaffectés en superficie équivalente ;

(3) l’absence de motivation adéquate et suffisante dans l’acte attaqué en ce qui concerne les observations et objections exprimées par l’enquête publique et par les instances consultatives (CRAT et CWEDD). Des lacunes en terme de motivation apparaissaient particulièrement en ce qui concerne l’adéquation du projet retenu par rapport aux besoins du territoire, l’évaluation du projet retenu, et l’analyse de solutions alternatives au projet de Viesville ;

(4) la contradiction de l’acte attaqué s’agissant de la superficie du périmètre d’isolement (11 ha ou 6 ha ?) et sa motivation. Le CWATUPE (art 30) impose à toute ZAE un périmètre d’isolement ; l’arrêté du Gouvernement attaqué n’est pas clair sur sa définition pour Viesville, les prescriptions graphiques n’étant pas identiques aux prescriptions littérales ;

(5) l’absence d’inscription à la révision du plan de secteur litigieuse de l’échangeur autoroutier permettant l’accès à la zone. Cette non inscription entraînait la non évaluation des incidences environnementales de l’échangeur, alors que ce dernier constitue une infrastructure majeure du réseau de communication et qu’il était considéré comme tel par le projet qui en fait un préalable obligatoire à sa réalisation par l’ajout d’une prescription supplémentaire.

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Le projet d’inscription d’une nouvelle ZAE à Pont-à-Celles au Plan de secteur de Charleroi

Le Conseil d’Etat donne raison à la Fédération

Dans un arrêt du 17 février 2011, le Conseil d’Etat a retenu certains des arguments avancés par la Fédération et, par conséquent, a annulé l’arrêté du Gouvernement wallon.

Argument 1 : non-analyse du site litigieux à l’aune des critères d’évaluation établis par le consultant extérieur et adoptés par le Gouvernement.
Le Conseil d’Etat ne retient pas cet argument : selon lui, une « évaluation critériologique » préalable de l’ensemble des projets ne constitue pas une étape légale de la procédure d’adoption de la révision des plans de secteur ; le Gouvernement ne devait donc pas s’interdire de soumettre d’autres initiatives aux procédures classiques, qui en outre comportent plusieurs phases d’appréciation d’opportunité et de légalité des projets.

Argument 2 : absence de compensation concomitante à l’inscription d’une nouvelle ZAE par réaffectation de sites d’activités économiques désaffectés en superficie équivalente.

Le Conseil d’Etat retient cet argument : les sites d’activité économiques désaffectés mentionnés au titre de compensation planologique n’ont pas tous fait l’objet de mesures de réaffectation ou de désaffectation au jour de l’acte attaqué. En outre, les superficies affectées à la compensation planologique sont insuffisantes, ceci d’autant plus que, dans l’acte attaqué, a été pris le choix de la compensation planologique à titre principal pour la création de la ZAE de Viesville, plutôt que le choix de l’adoption de mesures favorables à la protection de l’environnement (CWATUPE art 46 §1 3°).

Argument 3 : l’absence de motivation adéquate et suffisante dans l’acte attaqué en ce qui concerne les observations et objections exprimées durant l’enquête publique et dans les instances consultatives (CRAT et CWEDD).

Le Conseil d’Etat retient partiellement cet argument : la prise en compte des alternatives au site de Viesville est jugée insuffisante ; le site de Tergnée en particulier a été mis à l’écart par l’étude d’incidences selon des motifs jugés insuffisants par la CRAT, ce à quoi le Gouvernement wallon dans l’acte litigieux ne répond pas.

Argument 4 : la contradiction de l’acte attaqué s’agissant de la superficie du périmètre d’isolement (11 ha ou 6 ha ?) et sa motivation.

Le Conseil d’Etat retient cet argument : il y a une contradiction entre les prescriptions graphiques du plan de secteur, qui réduisent le périmètre d’isolement à une bande en forme de L de 6 ha, et la motivation de l’acte litigieux, qui expose que le périmètre d’isolement a été redessiné pour assurer une meilleure protection des riverains à la suite de l’étude d’incidences qui recommandait pourtant une superficie de 11 ha ; on ne comprend donc pas en quoi la réduction de moitié de la superficie du périmètre d’isolement par rapport à la recommandation de l’étude d’incidences assure une meilleure protection des riverains…

Argument 5 : la non inscription à la révision du plan de secteur litigieuse de l’échangeur autoroutier permettant l’accès à la zone.

Le Conseil d’Etat retient cet argument : le Gouvernement a choisi de faire de cet accès autoroutier un élément indispensable à la réalisation de la nouvelle ZAE au point d’en faire une prescription supplémentaire imposant un phasage impératif de l’aménagement futur de la zone ; il devait donc être inscrit au plan de secteur et être examiné par l’étude d’incidences.

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Vue des environs de Viesville (Pont-à-Celles) vers le nord

Une décision importante qui pourrait faire jurisprudence

Au-delà de la procédure juridictionnelle en tant que telle, on peut se réjouir que le Conseil d’Etat ait retenu bon nombre d’arguments avancés par la Fédération, notamment le mode de compensation à utiliser lors de révisions planologiques. A l’avenir, espérons que cette jurisprudence puisse limiter davantage les abus dans l’urbanisation des zones non-urbanisables : zone agricole, zone naturelle, zone forestières.
Dans le contexte des nombreuses révisions de plan de secteur attendues – plan prioritaire bis… – dans les années à venir, cela constitue une excellente nouvelle pour l’environnement.