Le mall est mort… Vive le life-style center !!

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Depuis plus de vingt ans le concept commercial de mall bat de l’aile aux Etats-Unis, son pays de naissance. Ce qui a plongé beaucoup de villes dans un déclin inéluctable. On connaissait les effets néfastes sur le développement urbanistique et le cadre urbain des brownfields (friches industrielles). On prend peu à peu conscience à quel point les greyfields[[« terrains gris », les malls étant entourés d’immenses surfaces asphaltées pour le parking]] sont tout aussi dévastateurs. Quand un mall ferme, il devient une friche tout aussi déstructurante et repoussante pour son environnement qu’une ancienne cokerie.

Mais s’il n’a plus la cote aux Etats-Unis, détrôné progressivement par les life-style center, il la conserve pourtant en Belgique : chaque année – l’actualité de la promotion immobilière en témoigne – on continue à développer de nouveaux malls au pays du surréalisme… De l’art de tirer les leçons de l’expérience d’autrui ?

Exception faite du projet pharaonique d’un mall de 500.000 m² de surfaces commerciales à New-York (le Xanadu) – doit-on y voir un ultime sursaut de désespoir ? – le concept de mall américain est à l’agonie. Ce dont se font de plus en plus l’écho des analystes et des sites spécialisés tel Deadmalls.com qui présente des centaines de photos de malls à l’abandon un peu partout sur le territoire américain.

Dans ce pays où la liberté d’entreprise est reine, l’absence de régulation au niveau des implantations commerciales commence peut-être à atteindre ses limites. En ce sens, 2008 a constitué un mini séisme dans le monde des malls : pour la première fois depuis les années cinquante, aucun indoor mall (mall d’intérieur) n’a ouvert ses portes alors qu’au milieu des années 1990, 140 malls voyaient encore le jour chaque année. Le déclin des malls y est même extrêmement rapide, à en croire l’urbaniste Ellen Dunham-Jones, auteure de « Retrofitting suburbia » (« améliorer le suburbain ») et ce d’autant plus que s’il s’ouvre de moins en moins de malls aux Etats-Unis aujourd’hui, il s’en ferme en quantité : 20% des 2.000 plus grands malls du pays seraient aujourd’hui en faillite.

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Vue Google Earth du mall Dixie Square à Harvey (Illinois, Etats-Unis) : depuis 1985 cet immense mall est presque entièrement vide ; sa taille et celle de ses parkings (greyfields) en font un problème urbanistique insoluble pour cette suburb de Chicago

Mais comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui aujourd’hui remet en cause l’institution mall et, ce faisant, la culture associée, les mall rats ? Comment les malls, qui ont orienté en 50 ans d’existence la culture américaine autour de solides icones marchandes (glaciers industriels cinnabon, idoles pop Timberlake et autres Tiffany), seraient en voie de disparition ? Les analystes pointent différentes causes, qui toutes ne sont pas conjoncturelles, démontrant par là l’obsolescence du concept de mall.

Requiem for the Mall

Si la morosité économique liée à la crise des subprimes n’a pas aidé, l’agonie des malls a des causes beaucoup plus structurelles : le relatif réinvestissement des villes par les classes moyennes au détriment des suburbs, la concurrence frénétique entre malls, l’émergence de nouveaux concepts commerciaux comme les life-style centers. Tout autant de phénomènes catalysés par une vraie lame de fond, celle d’un changement dans les attentes et besoins des Américains moyens : si moins d’Américains se livrent aujourd’hui aux joies du consumérisme effréné, ce n’est pas par nécessité mais bien par choix. John Zogby , sondeur, dans « The way we’ll be » : « les gens, qui seraient devenus quelques années plus tôt des mall rats, apprennent aujourd’hui à faire plus avec moins, et à trouver dans cette sobriété nouvelle une sérénité longtemps oubliée ».

Stuart Ewen, professeur des médias à l’Université de New York, décrit dans « Conscience sous influence » le 20ème siècle comme un « siècle barbecue ». Jamais les ressources n’ont été consommées à un tel rythme. Le mot même de consommation est devenu extrêmement péjoratif : il exprime « tant la mort, que la destruction et le gaspillage ». Ce dont de plus en plus de gens prennent aujourd’hui conscience.

La dénonciation du consumérisme a progressivement abandonné les seuls conclaves universitaires et environnementaux. La thématique est si porteuse qu’on la retrouve aujourd’hui aussi bien dans le monde des affaires, du divertissement, que de la politique. Et, nous sommes tout de même aux Etats-Unis, la dénonciation du consumérisme s’est paradoxalement imposée comme un vrai argument marketing. A la manière du « greenwashing », on peut dire qu’on fait souvent aujourd’hui de l’« anti-consumerism washing ».

Derrière le carton-pâte du Life-style center

Face au déclin annoncé des malls les développeurs commerciaux américains ne sont pas restés inactifs. Ils ont fait émerger des concepts commerciaux plus en phase avec le temps. Comme les Américains expriment le souhait de moins consommer, les lieux de consommation doivent davantage cacher leur jeu. On doit pouvoir y consommer sans y penser. C’est un peu ça le « anti-consumerism washing ».

Le lieu commercial ne doit plus sembler dédié au seul acte de consommer. Il doit rassembler d’autres activités (logements, loisirs), des espaces non-commerciaux (espaces publics, espaces de promenade), présenter un aspect non-mercantile (pas que de vitrines de magasins en façade). Peu importe si ce nouveau lieu de commerce est purement factice et qu’on ne trouve quasi rien derrière les façades. Ces ingrédients constituent ce que l’on regroupe sous l’appellation life-style centers.

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Americana, le life-style center de Glendale au nord de Los Angeles (Californie, Etats-Unis) : on a l’impression d’être en ville, mais cela n’est qu’une impression : ici, tout est neuf et faux et, comme dans les studios d’Hollywood, le soir on ferme, et il ne reste que des décors vides.

Un life-style center se présente comme un centre-ville piéton avec des rues commerçantes, des appartements au-dessus des commerces, des espaces verts, des plans d’eau, du mobilier urbain. « Americana » à Glendale au nord de Los Angeles en est un exemple saisissant, tant la volonté de mimer un quartier ancien d’une ville historique comme Boston ou la Nouvelle-Orléans est forte. Mais tout ceci est faux : du carton-pâte comme on en utilise un peu plus loin à Hollywood.

Personne n’a cet environnement pour cadre de vie quotidien. Il n’est qu’un théâtre avec ses décors confectionnés avec plus ou moins de goût. Un espace mercantile, qui n’existe que pour maximiser les achats des chalands venus en voiture, souvent de loin. Les life-style centers peuvent être localisés n’importe où, autant dans une lointaine suburb qu’au milieu du désert. Depuis les années 1930 les politiques de la « quatre-façades » individuelle et du « tout-à-la-voiture » ont conduit à la destruction systématique des centres-villes américains. Qu’à cela ne tienne, avec les life-style centers, des développeurs commerciaux s’évertuent à en recréer artificiellement.

Le Life-style center, l’anti-thèse de la ville

Donc, un life-style center reste un outil commercial. Il ne constitue pas un centre-ville, ne se trouve généralement pas en centre-ville, et enfin n’est en rien urbain. Ceci, pas tant parce qu’il est créé de toute pièce au travers d’un projet architectural, mais parce qu’il n’en a pas l’objectif. On localisera le life-style center de manière à lui offrir l’aire de chalandise la plus étendue. Il sera donc implanté, modèle américain du « tout-à-la-voiture » oblige, à proximité d’autoroutes et ses abords immédiats seront généralement dévolus à d’immenses parkings (d’authentiques « greyfields »…) plutôt qu’à des connexions avec des quartiers environnants : en définitive de vrais déserts d’asphalte derrière un décorum bling-bling.

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Vue Google Earth d’Americana, le life-style center du nord de Los Angeles (Californie, Etats-Unis) : on y devine des espaces publics factices (terrains engazonnés, bassins, palmiers) entourés de bâtiments pseudo urbains avec commerces en rez ; mais derrière les façades de cette pseudo-ville, ce qui impressionne, c’est la place occupée par la voiture (parkings, autoroutes urbaines), en total décalage avec l’urbanité revendiquée.

L’objectif n’étant pas de faire de l’urbanisme, et encore moins du développement durable – penser ville, durabilité, connexions, mobilité, convivialité, intérêt général –, le life-style center viendra généralement s’échouer dans un suburb voire au milieu de nulle part.

Ce qui sort de terre au final n’a rien de proprement urbain. La ville, c’est l’altérité, la complexité, et la rencontre entre une volonté publique de planifier au mieux le développement et les volontés particulières spontanées d’acteurs privées. La poursuite de l’intérêt général y trouve naturellement une place de choix. Dans un life-style center, rien de tout ça. Ne s’y exprime qu’une chose : la poursuite du profit, la forme urbanistique retenue ne visant en dernier lieu que l’intérêt de l’investisseur.

Mall et Life-style center : l’espace public dévoyé

Après avoir abandonné ses centres-villes au tertiaire et transformé ses places de ville en carrefours routiers, réduisant son espace public à peau de chagrin, l’évolution du mall américain vers le life-style center exprime une volonté claire de retrouver la ville, mais d’une bien artificielle manière… Le life-style center est-il vraiment en mesure d’offrir aux Américains ce qui fait l’essence de la ville, son espace public ? On peut en douter. Le caractère public des espaces ouverts du life-style center n’est que relatif ; il est mimé, uniquement pour maximiser le profit ; pour ce faire, le gestionnaire des lieux impose les règles à respecter, modalités d’utilisation et d’accès compris. Ce qu’offre au niveau vie publique un life-style center n’est de ce fait pas foncièrement différent de ce qu’offrait jusqu’à présent un mall.

Dans un life-style center comme dans un mall, les gens pourront se retrouver pour créer du lien, mais uniquement si cela peut avoir un impact positif sur les ventes.

Entre autres dérives, citons par exemple, ces initiatives de cibler les groupes de randonneurs en les incitant à pratiquer leur activité sportive de détente dans… les malls et life-style centers !!! Durant leurs « randonnées », les gens passent plusieurs fois devant des vitrines, ce qui ne peut que susciter chez eux des idées d’achats à accomplir par la suite. En outre, pour faire du shopping, n’est-ce pas nécessaire d’avoir une certaine forme physique ? Du parking à la caisse en passant par les km de rayon, il peut y avoir de la distance !!
Depuis l’an 2000 les life-style centers représentent 40% des nouveaux m² commerciaux développés aux Etats-Unis.

Une situation américaine à méditer

Etats-Unis, Belgique, même combat. Si l’affirmation est provocatrice, elle n’en reflète pas moins une réalité profonde, en tout cas en matière de choix urbanistiques. Le modèle urbanistique qui prévaut depuis les années 1950 en Belgique est clairement d’inspiration américaine. Une situation qui a précipité les villes du pays dans une crise grave à laquelle les autorités peinent à mettre fin.

Dans ce contexte, l’ouest du Brabant-Wallon ou les environs de Liège n’ont par exemple plus grand chose urbanistiquement à « envier » aux suburbs de la ville américaine moyenne (Pittsburgh, Cleveland, Detroit) : des villes de suburbs s’étendant à l’infini autour de trois gratte-ciels qui font office de centre-ville… Dilution par lotissement de la ville jusqu’au grotesque, industries et bureaux installés dans d’improbables « boîtes à chaussures » posées au milieu de nulle part, ouverture de routes et d’autoroutes au milieu des champs, voilà quelques-unes des manifestations les moins heureuses de l’américanisation de notre territoire ces dernières décennies.

La situation actuelle de l’offre commerciale aux Etats-Unis devrait davantage nous faire réfléchir en Belgique, et plus spécifiquement donc en Wallonie, sur la question des implantations commerciales. D’une part, sans même évoquer ses effets pervers urbanistiques, le concept classique de mall ne fonctionne plus outre-Atlantique, les greyfields se multipliant. D’autre part, ce vers quoi s’y réoriente l’offre commerciale, les life-style centers, présentent toute une série d’aspects bien peu engageants…

Autant d’éléments qui justifieraient des positionnements politiques ambitieux de la part de nos édiles. On ne peut plus continuer à gérer les dossiers de malls, en Wallonie comme on gère n’importe quel autre dossier urbanistique. Les risques liés à leur implantation sont trop grands : succès commercial incertain, difficultés a posteriori de gestion des greyfields.