Le plan Habitat Permanent jette le bébé avec l’eau du bain

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La saga « Tire ton plan [de secteur]! » est inscrite chaque année au programme d’activités de la Fédération Inter-Environnement Wallonie en aménagement du territoire. Elle fera à nouveau partie de nos projets en 2012. Cette année, ce sont les paysages et le plan Habitat Permanent qui concentreront notre énergie et nos réflexions collectives sur le bien-fondé de la planologie wallonne.

Pour les paysages, une récente nIEWs de Virginie Hess LIEN A ACTUALISER a annoncé la couleur; les citoyens-sentinelles de l’Observatoire Citoyen du Paysage seront appelés en 2012 à travailler ensemble afin de formuler des recommandations au monde politique, recommandations qui devraient aboutir, en 2013, à un positionnement politique de la Fédération. Dans un autre registre, que nous considérons comme singulièrement proche, il devient urgent de se pencher sur le plan HP coordonné par la Ministre Eliane Tillieux, qui a pour principal objectif « d’accompagner les personnes en détresse sociale qui habitent de manière permanente en zone de loisirs, en l’occurrence dans un camping ou un parc résidentiel voire sur un terrain qui n’est pas prévu pour accueillir des résidents ». A l’origine de notre motivation pour explorer cette matière, c’est moins le plan HP et son nombre variable de mesures qui ont capté notre attention, que des citoyens très inquiets du devenir de leur lieu de vie.

baraquemoyen.jpg Ces personnes, qui sentent au-dessus de leur tête l’ombre de l’enclume, et sous leurs pieds la terre se dérober, ont besoin de comprendre les ressorts de décisions qui les concernent. Ils ont entendu, depuis plusieurs années, qu’ils posaient un problème d’aménagement du territoire, sans savoir ce que cela voulait dire. Ils ne savent pas aujourd’hui si leur avenir immédiat est compromis, s’ils doivent chercher un autre toit, ni à qui adresser leurs questions. Mais s’agit-il d’un problème d’aménagement du territoire, ou d’une solution d’aménagement du territoire ?

Même si ce sont les hasards de la vie qui ont amené la plupart des habitants en « zone orange » (la couleur de la zone de loisirs) au plan de secteur, ces lieux de vie ont été choisis et investis. Ceux qui y ont élu domicile ont construit des liens extrêmement forts avec le milieu naturel qui les héberge, ainsi qu’avec leurs voisins. Peut-on en dire autant de ce qui se passe dans les cités sociales, dans les homes, les séniories, les quartiers résidentiels, les immeubles à appartements ? N’habite-t-on pas parfois mieux dans un lieu qui n’avait pas été prévu pour ? La résidence dans une zone qui a priori n’est pas faite pour ça, voilà de quoi nous motiver à réunir nos associations et les habitants des domaines ainsi que ceux qui les accompagnent, dans une rencontre en plusieurs étapes, tout au long de cette année 2012. Il faut bien y consacrer un peu de temps, plutôt que de se précipiter sur quelques formules toutes faites. Pour nous, chargés de mission en aménagement du territoire, l’habitat permanent tire le plan de secteur vers une dimension nouvelle. Le problème social décrié par la plupart de nos gouvernants régionaux et locaux ne pourra pas se régler en expulsant manu militari ou en intimant doucement à autrui la résolution de plier bagage.

Les domaines de vacances, campings et zones de loisirs de Wallonie, souvent sur le déclin quant à leur potentiel touristique, animent les débats parlementaires par le fait qu’ils servent de lieu permanent de résidence. Plusieurs de nos élus – le député Willy Borsus en tête – appellent à une prise de position qui permette aux personnes domiciliées de rester sur place, en améliorant leurs conditions de vie. Cependant, la version « en dur » des chalets et des caravanes a pour inconvénient de détruire le rapport étroit entre occupation et milieu occupé. Elle éveille par ailleurs de forts appétits de nature immobilière. Pour nombre d’habitants des domaines, sauter le pas vers une maison de briques est financièrement inaccessible, ou foncièrement contraire à leurs principes.

Auditionnée et plébiscitée

« Se priver de ces logements parce qu’ils ne seraient pas dans les bonnes zones, ne pas prendre en compte les solutions mises en place par les habitants permanents, ne pas prendre en considération les solutions inventées par les populations en action face à leur logement, serait une erreur fondamentale« 

En prologue au travail de réflexion pour construire ensemble une position citoyenne mûre et responsable, je vous propose quelques strophes bien senties, extraites de l‘audition de Christine Mahy par le Parlement Wallon, dans le cadre de l’évaluation du CWATUPE. Cela se passait le 14 juillet 2011[Le compte-rendu intégral de cette séance publique est disponible en ligne, vous le trouverez également [ci-joint.]].

Qui est Christine Mahy? Officiellement, elle est administratrice déléguée de l’asbl « le Miroir vagabond ». Elle est aussi secrétaire générale du réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) et, excusez du peu, présidente du réseau belge de lutte contre la pauvreté. Officieusement, c’est exactement la même chose ; comprenez par là que Christine Mahy vit ce qu’elle dit et qu’elle consacre toutes ses heures à faire bouger la société. Se faire auditionner par le Parlement Wallon à propos du CWATUPE et de l’habitat permanent, elle l’a pris comme une occasion unique de parler des gens, sans entrer dans l’architecture des règles, mais en mettant le points sur les i de « territoire ».

Sur les inégalités écologiques

« (…) la non-évocation de la pauvreté dans la manière de mener la note sur le CWATUPE et de l’appauvrissement des catégories de population comme un élément à prendre en compte à part entière est problématique. En effet, quelles que soient les évolutions du CWATUPE, les populations aisées pourront trouver et trouvent déjà aujourd’hui les pistes d’adaptation considérées nobles pour être des citoyens en phase avec les évolutions climatiques. »

Sur la précarité

« Comment faire évoluer le CWATUPE en permettant à toute la population de Wallonie d’être en capacité d’accéder à ces évolutions et non de les subir ? Nous pensons aux 17 % de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté. Mais nous pensons aussi à celles qui vivent un peu au-dessus du seuil de pauvreté et qui, pour autant, ne sont pas dans des conditions de vie aisée qui leur permettent d’avoir un accès facile au logement, notamment, et à tous les défis de l’énergie. On pense aux travailleurs pauvres, aux chômeurs et autres catégories de population. Ces populations sont, pour une partie très importante, peu consommatrices par elles-mêmes de villas quatre façades, de voitures, et donc d’énergie à travers leur consommation directe puisqu’elles connaissent la privation obligatoire, pour la plupart par manque de moyens. Il ne s’agit pas de simplicité volontaire, mais de privations obligatoires. Le plan habitat permanent s’inscrit à l’intérieur de cela. »

Sur la densification

« (…) je pense qu’on est déjà en expérience de densification depuis un certain temps dans ce cadre-là. Si c’est souvent les faibles moyens d’existence qui les y conduisent et parfois le choix délibéré d’y vivre, ces personnes ont trouvé là un logement, mais souvent aussi un espace qu’ils peuvent maîtriser avec autonomie, qu’ils apprécient et qui est économiquement gérable (…). À condition que les personnes ne vivent pas dans des logements réellement dangereux ou sur des territoires qui deviendraient des chancres, ce qui est parfois le cas, il serait important de faire une réelle analyse du coût du déplacement de ces populations vers d’autres zones de logements, et de la réalité de leur empreinte énergétique avant de décréter que leurs logements dans l’habitat permanent ne sont certainement pas adaptés. »

Sur l’autonomie, le savoir-faire et la nécessité d’adapter les règles

« Les personnes à faibles revenus sont de très petits consommateurs énergétiques au regard des néo-ruraux aisés et même d’habitants de logements sociaux ou privés. Il serait souhaitable que certaines de ces densifications spontanées adaptées aux ressources des gens soient vues comme des perspectives de stabilisation et d’innovation. En effet, les personnes ont en général auto-construit le logement social par déficience de celui-ci dans le logement public. Ils disposent donc de savoir-faire dans ce cadre. Pourquoi ne pas imaginer la création d’une nouvelle zone reconnue comme « zone d’habitat différent » ? Y faire évoluer les conditions de vie, de logement, les équipements collectifs ? Dans la note de révision du CWATUPE, aucun exemple de ce type n’est cité alors qu’il en existe en milieu urbain en Angleterre, par exemple, qui ont démarré à partir de caravanes et de chalets, et plus près de nous en Flandre ou dans le Brabant Flamand. Ce projet en Brabant Flamand consiste en la création d’un nouveau type de zone appelée «zone d’habitat extérieur» qui repose sur la réhabilitation d’un camping en gardant les populations en place et en améliorant avec elles les lieux de vie, au travers d’une association. Cela mérite d’être exploré et pas évincé a priori. »

Sur les sites wallons consacrés au tourisme

« En termes purement touristique, il serait important d’analyser les réels besoins et demandes, ainsi que la réalité du terrain. Les Wallons vont-ils réellement vers le tourisme et ce type de tourisme-là en zones rurales, encore aujourd’hui ? Les Wallons à faibles revenus le peuvent de moins en moins compte tenu des coûts plus élevés et du démantèlement des campings et parcs résidentiels. Il faut se questionner sur le fait que les grands centres de tourisme social, par exemple en province de Luxembourg, sont de plus en plus reconvertis en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Il faut se demander comment 10 000 à 12 000 personnes trouvent à se loger de façon durable dans des campings et parcs résidentiels. C’est bien que l’évolution touristique est évidente. Il faut se questionner pour savoir si le Wallon aisé ne dispose pas d’une seconde résidence en région rurale ou d’une maison parentale qui finira par devenir la seconde résidence, ce qui induit une empreinte écologique accrue. Il faut s’interroger pour savoir si le bâti acheté/rénové n’est pas majoritairement le fait des populations de la Flandre et de Hollande,notamment. Il faut aussi se questionner sur l’engouement pour le tourisme urbain aujourd’hui qui n’est pas négligeable. Donc, pourquoi serait-ce la zone rurale qui aurait à absorber à elle seule la responsabilité d’être le lieu du repos. Donc la conclusion tirée, ruralité/espace de repos pour les Wallons, est à étudier sérieusement. »

Sur la spéculation

 » (…) parler de revitalisation/rénovation urbaine et de densification sans aborder cela de façon sérieuse en termes de régulation des loyers ou de logements sociaux à proximité, c’est oublier une part importante qui crée aujourd’hui de la discrimination et de l’appauvrissement de catégories de population. La densification près des gares et des centres provoque inévitablement une augmentation des prix des terrains, des logements, tant en terme de loyers que d’acquisition. C’est donc une politique qui, sans filet de protection, va aggraver l’appauvrissement de populations et le déplacement involontaire de celles-ci vers les périphéries jusque, à un moment donné, dans les campings ou dans les bois. Ce sont des réalités qu’on connaît aujourd’hui, des gens dans les bois ou dans leurs voitures. Il faudrait donc tirer les conclusions des grands exemples qui existent aujourd’hui en termes de réaménagement et de spéculation dans les villes comme sur Charleroi, Liège, des projets en cours, des projets encore à venir. Les conséquences sont désastreuses pour les populations. »

Sur le vieillissement

« (…)le vieillissement de la population ne peut pas non plus être envisagé seulement de façon mécanique, mais il doit l’être en abordant la question à partir des ressources des personnes en lien avec leur bassin de vie. Des études montrent – il y en a une qui vient d’être faite pour l’UCL – que la localisation des populations vieillissantes, mais surtout que la question majeure en terme de vieillissement, est l’appauvrissement financier de la population. Donc, la première question clé du vieillissement, c’est l’appauvrissement. Cela explique toute une série de raisons pour lesquelles les populations sont localisées à certains endroits plutôt qu’à d’autres. Il faut tenir compte de cette donnée pour réfléchir le CWATUPE en lien avec le logement et les services. La mixité sociale et générationnelle est aussi vitale aux milieux ruraux qu’aux milieux péri-urbains ou qu’urbains. Il nous semble donc que la question doit être abordée dans une beaucoup plus grande complexité que telle qu’abordée dans le document [préparé par le Parlement Wallon]. »

Sur les gens du voyage

« Il y a également des sujets qui sont tus dans cette note sur le CWATUPE qui pourtant font partie des politiques publiques et pour lesquelles le CWATUPE doit jouer un rôle. Il s’agit des gens du voyage qui, depuis longtemps, subissent une discrimination majeure en Wallonie par le fait qu’il n’existe pas de dispositif permettant sereinement qu’ils puissent vivre sur des terrains adéquats. Au contraire de la Flandre et de pays voisins qui ont avancé sur ce plan de façon concrète, en termes d’aménagement du territoire, avec des lieux qui sont identifiés comme tels. Cette question ne peut être tue. Des interlocuteurs existent en Wallonie et pourraient être heureusement associés à la prise en compte de celle-ci. »

Voilà en substance ce que l’oratrice a dit de son propre chef aux parlementaires. Et lorsque ceux-ci l’interpellent lors de l’échange de vues, le propos est tout aussi revigorant. Je vous laisse le soin de le découvrir à votre aise en parcourant le compte-rendu intégral de la séance du Parlement. Une impression étrange se dégage à la lecture de l’ensemble de cette audition : Christine Mahy, tout comme Florence Momin qui est auditionnée dans la même session et sur le même thème, développe des points de réflexions qui répondent du tac au tac aux Lignes de force du Ministre Henry. Aucune des deux n’a pourtant rédigé d’avis libre à destination du site des Ateliers du territoire. C’eût été une belle occasion, mais nous en créerons d’autres en 2012!

Christine Mahy sera des nôtres en septembre pour une conférence dans le cadre des Mardis de l’Aménagement du territoire, à Mundo-Namur.

Sors de cette zone orange, que je puisse y mettre mes villas!

L’avenue Louise sous un nouveau jour… Un court-métrage composé de photos prises au camping La Cala de Glabais, commune de Genappes, début 2011, par Jorge Rojas Castro, photographe, avec en voix-off plusieurs habitants qui décrivent leur lieu de vie. Grâce à ce film, la vie à La Cala, endroit public méconnu de la plupart des Genappiens, a été montrée de façon dépouillée et poétique lors d’une exposition au centre culturel communal en 2011.

http://vimeo.com/23199466 LIEN VIDEO A AFFICHER COMME CADRE VIDEO

Habiter – Camping La Cala – Version 14:36 min from Jorge Rojas on Vimeo.

Un CRIC à lire et relire…

Nos parlementaires avaient très bien conçu l’ordre du jour de ce 14 juillet 2011, puisque les quatre sujets exposés dans le cadre de l’évaluation du CWATUPE s’éclairaient les uns les autres. Monsieur Dewil, directeur du Centre régional de crise de Wallonie, rattaché au Secrétariat général du Service Public de Wallonie, a pu fournir des données de première main en matière d’inondations (pages 16 à 27). Ensuite, c’est Monsieur Calozet et Madame Van Den Bulcke, hauts responsables dans le secteur carrier, qui ont pu montrer les limites du plan de secteur comme outil de projection dans l’avenir (pages 27 à 35). Enfin, Madame Hennequin et Monsieur Cox, de la Chambre des urbanistes, qui ont mis en avant les risques liés à une réglementation générale trop détaillée, partant limitative, et en corollaire le besoin de redéfinir les outils selon les échelles d’action (pages 35 à 43). Madame Momin, du BEP, était auditionnée conjointement à Christine Mahy, pour expliquer la situation en province de Namur – qui est une des deux provinces les plus « orange » avec le Luxembourg.

A travers les discours des sept personnes auditionnées, la franchise dans la communication et la rigueur ont été prônées comme valeurs incontournables.

Demandez le programme !

Les autres activités inscrites au programme 2012 en aménagement du territoire sont :

 L’Observatoire Citoyen du Paysage

 La participation à la révision du SDER

 Un positionnement politique « centres commerciaux » de la Fédération IEW

 La Lettre des CCATM, avec 6 numéros annuels

 Une toute nouvelle formation à l’aménagement du territoire !

-* à Charleroi
Les jeudi 19 et vendredi 20 avril

-* à Tournai
Les jeudi 10 et vendredi 11 mai

-* à Liège
Les jeudi 21 et vendredi 22 juin

-* à Braine-le-Comte
Les mercredi 4 et jeudi 5 juillet

Inscriptions auprès de notre secrétariat (s.rouard@iewonline.be ou 081 / 390 750)

Crédit photographique : Françoise Racquez