Le quincailler et la SNCB

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Il était une fois, dans une petite ville de province, un couple de vieux quincaillers. Ils aimaient leur métier qui leur assurait, outre la subsistance, la satisfaction de côtoyer leurs concitoyens et de leur rendre de nombreux services. La quincaillerie ouvrait ses portes à huit heures et les fermait à 18h00’. Si l’on y trouvait encore des clous vendus au poids et des vis à la pièce (ce qui permettait aux clients de satisfaire leurs besoins exacts), on y trouvait également de très nombreux ustensiles et outils, du simple marteau à la perceuse électrique. Sûrs d’être bien servis à toute heure avec le sourire, les clients aimaient « leur » quincaillerie, même si le service n’était pas toujours très rapide.

Un triste jour, il fallut passer la main : le fils aîné des quincaillers reprit les activités. Pragmatique, formé aux techniques de management modernes, celui-ci entreprit d’analyser les activités de la boutique. Il se rendit compte que, durant le premier dixième du temps d’ouverture (soit entre 08h00’ et 09h00’), il ne réalisait que un vingt-cinquième de son chiffre d’affaires. Durant le dernier dixième de la journée (soit entre 17h00’ et 18h00’), il ne réalisait qu’un vingtième du chiffre d’affaires. Ces tranches horaires étaient manifestement peu rentables : les ventes réalisées durant la première heure ne couvraient même pas les frais de fonctionnement. Il décida donc de ne plus ouvrir qu’entre neuf heures et dix-sept heures.

Obsédé par ses chiffres, il n’avait pas compris que ses clients n’étaient pas « segmentés » en fonction de l’heure, et que nombre de celles et ceux fréquentant la quincaillerie en début ou en fin de journée y venaient également à d’autres heures. Il n’avait pas compris non plus que l’assurance de trouver toujours porte ouverte comptait pour beaucoup dans leur fidélité. De plus, nombre de clients fréquentant la boutique entre 16h00’ et 17h00’ ne le faisaient que grâce à l’assurance de pouvoir, en cas de contretemps, être tout de même être servis. Bref, ayant réduit son offre, le quincailler vit également baisser la demande.

Manager plein de ressources, il entreprit alors de requalifier son offre. Il se rendit compte que c’était sur l’outillage électrique – et particulièrement le gros – que les marges bénéficiaires étaient les plus confortables. Il résolut donc de, petit à petit, se recentrer sur la vente de ce type de produits. Il parvint, grâce à une politique de pénurie savamment orchestrée, à dégoûter les petits clients qui ne lui achetaient que peu de choses : une tenaille, un tournevis, une paire de charnières… Dans le même temps, il parvint à promouvoir son nouveau core business : publicités ciblées, aménagement d’un espace d’accueil des clients avec machine à café, … et réussit ! La quincaillerie devint un magasin d’outillage électrique fort renommé. On venait de loin pour y acheter une défonceuse, une scie circulaire ou une débrousailleuse. A contrario, il fallait maintenant aller fort loin pour acheter quelques clous. Celles et ceux qui possédaient une voiture se débrouillaient ; les autres…

Grâce à son approche rationnelle, le quincailler finit par rattraper puis dépasser le chiffre d’affaires – et surtout les bénéfices – que réalisaient ses parents avant lui, et ceci tout en travaillant deux heures de moins qu’eux par jour. Sa nouvelle approche lui fut donc favorable sur le plan financier. Ses ex-clients, par contre, y perdirent fortement en qualité de vie. Avec la quincaillerie des parents disparut un service à la communauté de la petite ville, un élément de convivialité.

L’histoire du quincailler, c’est l’histoire récente de la SNCB. L’histoire d’une rationalité financière. L’histoire d’un recentrage sur le « lourd » (liaisons de masse rapides entre grands pôles). L’histoire d’une perte de service, de convivialité, l’histoire d’une augmentation de l’utilisation de la voiture pour les déplacements ne rentrant pas dans la définition de la nouvelle offre, l’histoire d’un mépris des attentes des usagers.

Il y a cependant une différence notable. Le quincailler n’a, a priori, pas pour vocation d’exécuter des missions de service public. La SNCB, si.