Les coulées de boue, la faute au Bon Dieu

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Quarante-six litres d’eau en ¾ d’heure sur Bruxelles, 10 cm de grelons à La Louvière,… C’était hier. Et comme chaque année au printemps, quand ces phénomènes de plus en plus fréquents surviennent, on n’en revient pas ! Suivent, relayés abondamment par la presse, les pleurs de riverains ou la colère des élus face aux patates répandues sur les routes ou aux boues envahissant les habitations. Le tout est ponctué d’explications hâtives stigmatisant à la fois la météo de moins en moins prévisible, la malchance ou… le monde agricole dans son ensemble.

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Ces coulées de boue ont un coût exorbitant pour la collectivité ! Mise en ½uvre des pompiers et de la protection civile, frais de nettoyage, réfection d’ouvrages, réparation des dégâts, etc. En Belgique, selon une étude menée en 2008, le coût des dégâts aux infrastructures publiques et privée s’élèverait à 140 millions ¤/an[[Evrard, 2008 In Vermang J. Actes du colloque transfrontalier: « Vers une meilleure protection de nos sols agricoles? » du 27 mars 2012.]].

Pourtant, à bien observer nos campagnes, ce ne sont pas les signes annonciateurs qui manquent et qui s’aggravent d’année en année : l’érosion diffuse y est importante et nombre de ravines sillonnent nos terres de culture.

Plusieurs facteurs sont à l’origine des coulées boueuses :

la force de la pluie et le type de sol sur lequel elle tombe,
la topographie des lieux et l’évolution météorologique (liée à l’évolution climatique),
l’état du sol (nu ou enherbé) au moment de la pluie et son utilisation passée (le sol a-t-il été compacté par de trop lourdes machines agricoles ? Contient-il suffisamment de matière organique ?, etc.) et finalement
l’historique de la parcelle ainsi que du bassin versant.
Focus sur ce dernier point : la taille des parcelles cultivées, facteur multipliant les risques d’érosion, n’a cessé d’augmenter conjointement à la celle des exploitations, aux remembrements agricoles et aux échanges de terre entre exploitants. L’agriculture intensive et hyper spécialisée a ainsi eu sur nos campagnes de multiples impacts dont certains favorisent les coulées de boues :

abandon de l’élevage qui a entrainé le labour de prairies, souvent en pente, qui formaient une ceinture verte autour des villages ruraux, les protégeant de ces coulées boueuses ;
la qualité des sols cultivés s’est fortement dégradée avec une réduction importante du taux de matière organique, ce qui joue tant sur la capacité d’infiltration de l’eau que sur la cohésion du sol. L’Etat de l’environnement wallon[[Tableau de bord 2010 de l’état de l’environnement wallon.]] fait d’ailleurs état d’un taux alarmant de (manque de) matière organique dans nos sols.

A qui la faute ?

Le premier émoi passé, on en vient au règlement de compte : à qui la faute !? Et, invariablement, le monde agricole dans son ensemble est pointé du doigt. Tout aussi invariablement, la Fédération wallonne de l’Agriculture (un des syndicats agricoles wallons) riposte : les agriculteurs ne sont pas responsables. N’y aurait-il qu’un seul type de pratiques agricoles ? Tous les agriculteurs cultivent-ils de gigantesques parcelles de pommes de terre ?!
Et cette stigmatisation du monde agricole ne doit pas occulter que d’autres acteurs ont leur part de responsabilité : riverains aux comportements problématiques et autorités publiques qui ont notamment autorisé une urbanisation peu et mal réfléchie et qui sont peu enclin à se saisir de la question. La peur d’affronter les erreurs du passé ?

Du capital jeté par les fenêtres

Une perte de sol supérieur à 1 T/ha/an est considérée comme irréversible dans un laps de temps de 50 à 100 ans vu la lenteur de la formation du sol[[Huber et al., 2008 In Vermang J. Actes du colloque transfrontalier: « Vers une meilleure protection de nos sols agricoles? » du 27 mars 2012.]]. Or en Belgique, selon l’Etat de l’environnement wallon, les pertes sont supérieures à 5T/ha/an pour 50% de la surface agricole. Quand on sait que ce qui passe ainsi aux égouts est précisément ce qui garantit le maintien de surfaces de production de bonne qualité, on ne peut que s’offusquer de voir toute cette richesse jetée par les fenêtres ! Va-t-on laisser se transformer nos terres en simples substrats appauvris et non rentables ?
Outre la perte du capital sol wallon, les dégâts et les pollutions (notamment des résidus de pesticides !) que l’érosion des sols entraînent sont, à eux seuls, suffisants pour qu’on se préoccupe de la question.

Que faire ?

Il est plus qu’urgent de tirer les leçons des événements qui se répètent et s’aggravent d’années en années. Le Gouvernement wallon (GW) au moment de sa constitution, s’était décidé à prendre le problème en compte. Dans sa Déclaration de Politique Régionale, on retrouve son engagement à : « Amplifier la préservation des sols en développant une politique globale pour […] faire face à l’ensemble des enjeux liés à l’appauvrissement en matières organiques, à l’érosion, à la perte de biodiversité, à la contamination ou encore à l’imperméabilisation et à la compaction des sols ». Le GW souhaitait mettre sur pied « une politique ambitieuse » à ce sujet. Depuis, rien. Et si l’intention est d’attendre la fameuse Directive « sol », on ne risque pas de voir les choses s’améliorer rapidement : les discussions sont bloquées au niveau européen. Mais va-t-on continuer à attendre l’Europe pour mettre en ½uvre une réelle politique – entendez volontariste – de préservation des sols ?

Si on suit les recommandations pratiques de la cellule GISER[[GISER est un pôle de recherche et d’information technique sur l’érosion des terres agricoles en Région wallonne qui a pour mission d’améliorer les connaissances sur les phénomènes érosifs, d’émettre des recommandations techniques, de stimuler les partages d’expériences, et d’informer sur les méthodes de Gestion intégrée Sol Erosion Ruissellement.]], il faut permettre plus d’infiltration de l’eau dans le sol (travail du sol adapté, couverture du sol efficace), mieux conduire l’eau de l’amont vers l’aval, ralentir les flux d’eau (en diminuant la vitesse par des aménagements de types doux) et mieux recevoir l’eau en aval (des zones humides et des cours d’eau naturels). Il y a donc manifestement des aménagements à prévoir mais également des erreurs du passé à réparer : zones imperméabilisées, cours d’eau bétonnés, etc.

Pour mettre en ½uvre ces solutions techniques, des décisions politiques sont nécessaires. Les solutions politiques actuelles, exceptionnellement préventives, sont essentiellement de l’ordre de l’urgence. On ne peut que regretter le manque d’anticipation qui oblige les élus communaux à prendre des arrêtés d’urgence pour la création de zone d’inondations temporaires, etc.

Financer un pôle de recherche et d’information, c’est bien. Mais mettre en ½uvre leurs recommandations serait mieux ! Par exemple prévoir des aménagements volontaristes dans le cadre des remembrements agricoles – et s’il le faut de revoir les remembrements anciennes générations pour réparer les bourdes du passé – en prévoyant un assolement en damier, en réduisant les longueurs de pente par exemple mélangeant les types de cultures avec des occupations du sol qui infiltrent beaucoup plus (principalement des prairies et certaines céréales).

Régler le problème est d’une telle importance pour la subsistance de notre agriculture – et donc de notre société ! – qu’il est incompréhensible que l’on tergiverse encore, d’autant que les solutions sont connues et réalisables.

Canopea