Ni ON, ni OFF, “just turn it down”!

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La campagne OFF/ON destinée à réduire les risques de pénuries d’électricité cet hiver et à éviter le délestage a été lancée par les quatre ministres de l’Energie ce 3 novembre. Une communication qui se veut positive, simple et rassurante. Une initiative difficilement critiquable mais qui, si on la resitue dans un contexte plus large, ne manquera pas de placer nos différents gouvernements face à leurs incohérences.

Inutile de rappeler que notre pays se trouve dans une situation délicate en faisant face à un risque de pénurie d’électricité cet hiver. L’équilibre du réseau entre offre et demande peut être considéré comme précaire étant donné que la capacité de production électrique est fortement affaiblie. En cause, la mise à l’arrêt de 3 unités nucléaires (Doel 3 et Tihange 2 pour cause de micro fissures, Doel 4 pour cause de sabotage), un marché de l’électricité en pleine dépression qui n’encourage pas les opérateurs à maintenir leurs outils, ni à investir et une incertitude politique et juridique qui rend frileux tous les acteurs (du nucléaire au renouvelable).

Si les actions qui peuvent être entreprises sur l’offre présentent une marge très étroite, c’est en jouant sur la demande que l’équilibre pourra être atteint. Si des solutions de demand side management (DSM – gestion active de la demande) existent depuis longtemps au niveau de consommateurs industriels, agir sur la consommation des ménages reste plus difficile, bien que des technologies dites intelligentes proposent déjà des solutions pour une meilleure adéquation entre production et consommation électrique.

La campagne OFF/ON pilotée par le SPF Economie, en collaboration avec le gestionnaire de réseau Elia et le Centre de crise du SPF Intérieur s’adresse au citoyen, qu’il soit à la maison, au travail, à la salle de sport… L’objectif est d’éviter l’activation du plan de délestage grâce à un effort collectif de réduction des consommations. Des conseils simples, des gestes faciles, un visuel sympa et des slogans engageants[[Ce qui ne veut pas dire « engagés »]]. Une campagne de communication qui a le mérite d’exister mais dont l’impact et le degré d’implication du « public cible » sont difficilement mesurables. Exercice périlleux en effet de s’adresser à l’ensemble de la population puisque toutes les théories relatives à la modification de comportement et aux communications nous enseignent que, plus le public sera « ciblé », plus adéquate et plus efficace sera la communication.

Un autre point d’attention est l’indicateur de la situation du réseau électrique. Il est bien sûr fondamental de faire preuve de transparence et d’informer le citoyen des prévisions et de la situation du réseau en temps réel. On peut cependant s’interroger sur la perception du signal vert (situation normale) par le citoyen lambda si l’invitation à réduire ses consommations s’inscrit uniquement dans le cadre de ce contexte de pénurie potentielle. Le vert serait-il un message subliminal pour soulager nos consciences de laisser tout allumé ?

Dans leur communication, les différents ministres ont pointé l’opportunité d’inscrire cette campagne dans une tendance plus pérenne de réduction des consommations. C’est à saluer et à retenir pour inviter nos gouvernements à mettre en œuvre, avec une vision long terme, des politiques de réductions des consommations et d’efficacité énergétique cohérentes.

Les gouvernements fédéraux qui se succèdent peuvent être pourtant pointés du doigt pour leurs inconséquences. Certes, le gouvernement actuel est devant une situation sans précédent et mis au pied du mur par une saison hivernale que même Luc Trullemans ne pourrait affirmer clémente ou sibérienne. A situation inédite et urgente, mesures exceptionnelles…Sauf que depuis 2007, la CREG[CREG, 2007, [Etude relative à la sous-capacité de production d’électricité en Belgique ]] interpelle les gouvernements alertant sur un problème de sécurité d’approvisionnement. Si des mesures ont été prises sous le précédent gouvernement pour maintenir les capacités de production[Plan Wathelet du 5 juillet 2013 en vue d’assurer la sécurité d’approvisionnement électrique qui proposait entre autres, la constitution d’une réserve stratégique, le développement de nouvelles capacités (centrales gaz), le renforcement d’interconnexions avec les pays voisins, l’introduction d’un tarif de déséquilibre]], l’efficacité énergétique est toujours le parent pauvre des politiques passées et actuelles. Rappelons que [sous la législature précédente, le gouvernement fédéral avait, du jour au lendemain, supprimé les déductions fiscales pour les investissements économiseurs d’énergie, privant ainsi des milliers de ménages d’un levier intéressant pour procéder à des travaux de rénovation énergétique.

Dans le récent accord de gouvernement fédéral, signalons l’absence de soutien d’objectif d’efficacité énergétique dans le paquet européen 2030[[Accord de gouvernement- 10 octobre 2014, p101 « …le gouvernement proposera de fixer un seul objectif de l’UE par Etat membre : celui des émissions de gaz à effet de serre. Les objectifs en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique doivent être considérés comme des moyens. »]] et que le chapitre énergie de l’accord ne transpire aucune volonté de réduire les consommations.

Au niveau des régions, il y a quelques jours à peine, le Ministre wallon Paul Furlan a annoncé un moratoire de 3 mois sur les primes énergie. Si une remise à plat du système de primes et écopack est tout à fait justifiée, le passage par un moratoire constitue un mauvais signal qui trouble la lisibilité d’une politique volontariste d’économie d’énergie.

Si nos gouvernements espèrent reporter l’adhésion des citoyens au défi que constitue la diminution de notre empreinte énergétique, ils devraient faire de la réduction des consommations d’énergie (et pas uniquement de l’électricité) et de l’efficacité énergétique des politiques prioritaires qui s’inscrivent dans tous les agendas.

Car une fois passé l’hiver, avec ou sans délestage, que restera-t-il du message de cette campagne ? La réduction de nos consommation ne doit pas être un « effort de guerre » dans l’attente de nouvelles capacités d’importation d’électricité, du redémarrage de nos centrales nucléaires fissurées ou de la mise en fonction de nouvelles centrales comme stratégie libératrice d’un consommation redevenue sans entrave ! Pour que les comportements changent de façon pérenne et consentie, le message doit s’inscrire dans la durée (au moins plus longue qu’une législature) et à tous les niveaux de pouvoirs de notre état fédéral (voire à l’avenir confédéré).

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire