Nitrates : le lessivage continue !

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Rétroactes

Condamnée en 2005 par la Cour Européenne de Justice pour insuffisance de transposition de la directive nitrate, la Région wallonne revoit son Programme de Gestion Durable de l’Azote en Agriculture (PGDA). Ce nouveau PGDA quoique parfaitement conforme à la directive constituait une régression de la protection des eaux souterraines wallonnes, et ce, principalement dans la nouvelle zone vulnérable étendue au nord du sillon Sambre et Meuse.
Ce second PGDA (entré en vigueur en 2007), fut en effet l’occasion de revoir les normes de fertilisation organique à la hausse : jusqu’à plus de 20 % en zone vulnérable ! Certes, pour pallier au relâchement des normes d’épandages, de nouvelles obligations se sont imposées avec, en mesure principale, l’obligation d’implanter des couvertures intercalaires piège à nitrate (CIPAN) pour un minimum de 75 % des surfaces avant une culture de printemps. Mais ce qui a probablement permis à la Région de faire accepter ce second PGDA par les services de la commission européenne, c’est probablement la mise en place d’un contrôle en champs des résidus d’azote potentiellement lessivable (APL), ces excédents automnaux qui sont « lessivés » par les pluies hivernale et qui contaminent nos nappes.

PGDA : une enquête publique pour la forme

En février 2008, ce volet « contrôle » a été adopté par arrêté ministériel sans base légale. Pour rappel, le PGDA version 2007 n’avai pas fait l’objet d’une évaluation stratégique environnementale lors de son adoption. Ces manquements (qui sont en voie d’être corrigés) le rendaient caduc suite à un recours au Conseil d’État. Ces textes seront par ailleurs transposés dans le code de l’eau.
L’enquête publique qui s’est terminée ce 19 février était donc une enquête pour la forme, puisque sur le fond rien n’a changé.

Sur le fond

Le « Survey Surfaces Agricoles » organise la mesure des reliquats azotés dans les parcelles de 35 exploitations agricoles de référence. Ces exploitations appliquent une fertilisation raisonnée, conseillée par les scientifiques encadrant la mise en ½uvre du PGDA, et respectent l’ensemble des dispositions du PGDA. La valeur médiane des reliquats observés dans ces fermes sert de base à la définition des APL de référence. Ces APL médians, qui ne garantissent en rien une recharge des nappes en eau conforme aux objectifs de la directive, indiquent annuellement, sur base des caractéristiques climatiques et des normes du PGDA, le niveau de résidus «normaux » attendus. Ils servent de référence pour le contrôle annuel dans 3 % des exploitations de la zone vulnérable, sur base d’un seuil d’intervention spécifiques. Certes, cette mesure est positive mais reste très insuffisante pour les raisons suivantes :

 rien ne permet d’établir que cette méthodologie basée sur une fertilisation « raisonnée » et de bonnes pratiques agricoles permet d’éviter la pollution des nappes. A titre d’exemple, et contrairement à la Région wallonne, le Land du Bade-Wurttemberg s’est basé sur un objectif quantitatif à atteindre dans les APL, fixé à 45 kg N/ha, quelque soit la culture. Pour l’atteindre, il a fallu réduire le conseil de fertilisation « raisonnée » de 20 % et restaurer des prairies en lieu et place des cultures dans les zones les plus à risque. En quelques années, la qualité des eaux souterraines s’est nettement améliorée dans cette région.

 les APL devraient être utilisé pour atteindre non pas des normes par culture mais bien un objectif en terme de pression de l’agriculture à l’échelle des différents aquifères. Aujourd’hui, « l’APL moyen » varie fortement dans les parcelles agricoles des zones de recharge d’un aquifère à l’autre selon les spécificités de l’agriculture. Ainsi, l’APL médian après une culture de céréale avec interculture ou une betterave avoisine les 20 kg d’azote par hectare cette année mais approche 50 – 60 kg en céréales ou en maïs, voire près de 80 kg en pomme de terre. Ces chiffres doivent donc être pondérés par les surfaces concernées pour objectiver la situation en termes de pression sur une nappe. Les caractéristiques locales, induites tant par le type de culture que par les spécificités des nappes concernées amèneront des résultats variables d’une nappe à l’autre.

 le contrôle ne devient sanction qu’au terme de 4 années de suivi avec deux dépassements sur 3 du seuil d’intervention. Avec un taux de contrôle de 3 % par an (soit en moyenne un contrôle sur la carrière d’un exploitant), ce n’est pas demain que l’on verra une amélioration de la qualité des eaux souterraines !

Qualvados – un outil d’évaluation des politiques

La Région wallonne dispose avec le projet « Qualvados[[Dautrebande S., Sohier C., Degré A., 2008. Évaluation des mesures prises pour réduire les incidences de la pollution diffuse d’origine agricole et domestique sur la qualité des masses d’eau de surface et souterraines de la Région wallonne à l’aide du modèle EPICgrid « Projet Qualvados » Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux. 146 p.]] » d’un outil de modélisation réellement intéressant qui présente de nombreux avantages notamment pour tester l’impact des politiques mises en place ou pour tester l’incidence des mesures à mettre en ½uvre pour atteindre les objectifs de la directive nitrate. Sur base de ce modèle, les deux PGDA ont été évalués. Les premiers résultats furent assez décevants puisqu’il en résulte que le premier PGDA n’a eu pour ainsi dire aucun impact sur la qualité des eaux souterraines et que le second devrait avoir un impact limité à une réduction de 1 à 5 mg par litre d’azote dans les eaux lessivées. Mais ces chiffres malheureusement risquent bien de ne refléter que les hypothèses qui ont été intégrées au modèle.

Un modèle qui s’avère critique

Une des hypothèses du modèle est de considérer que l’agriculteur réduit de 30 kg/ha sa fertilisation minérale après une interculture. Cette hypothèse n’est pas corroborée par les écrits de Nitrawal qui suggère aux agriculteurs de réduire de 20 kg la fertilisation minérale après une interculture de moutarde, la CIPAN la plus courante. Plus encore, il est peu probable que cette hypothèse soit vérifiée sur le terrain ; il importera en tout cas de pouvoir la tester. D’un simple point de vue des ordres de grandeur, ces 30 kg supplémentaires devraient, par simulation, rendre ce PGDA tout aussi inefficaces que son prédécesseur. Ainsi, pour la masse d’eau du pays de Herve, une région où la seule culture est le maïs, le modèle ne prévoit aucun impact du PGDA… car il n’y a pas dans cette région d’interculture et donc pas de biais lié à cette hypothèse.

A dans deux ans

Le PDGA sera revu dans deux ans et devra être sérieusement renforcé, au vu de la dégradation continue des nappes ainsi que des résultats de la modélisation. Souhaitons d’ici là que l’outil « Qualvados » soit amélioré et permette de donner au politique les moyens d’objectiver les mesures optimales à mettre en ½uvre pour restaurer la qualité de nos eaux et rendre par la même l’agriculture wallonne un peu plus durable.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité