Olen Suomalainen !

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Il y avait jusqu’ici le fameux « Je suis une boule de Berlin ! » – traduction littérale de « Ich bin ein Berliner ! »[[La formulation grammaticalement correcte du « Je suis Berlinois » ou « Je suis un Berlinois » que souhaitait exprimer JFK est « Ich bin Berliner » ; « Ich bin ein Berliner » signifie par contre « Je suis un Berliner » c’est-à-dire une boule de Berlin.]] – lancé par John Fitzgerald Kennedy devant le mur de la honte. S’y ajoutera désormais le vibrant « Olen Suomalainen ! » que je désire vous partager dans cette chronique. Car oui, je le sens et le proclame : « Je suis un Finlandais ! ».

Les motifs de cette identification solidaire ne manquent pas. Comment, par exemple, ne pas avoir envie de s’approprier la démarche d’un pays qui choisit d’envoyer à l’Eurovision des trisomiques authentiques plutôt que des ersatz customisés ? L’Ardennais pur jus que je suis ne peut par ailleurs que se sentir en osmose avec un territoire sur lequel la densité des forêts est inversement proportionnelle à celle de la population. Et qui ne souhaiterait pas se fondre dans cette « exception finlandaise » marquée par une occurrence exceptionnellement faible du cancer des testicules et une qualité tout aussi exceptionnellement préservée du sperme ?[[http://fr.wikipedia.org/wiki/Finlande]]

C’est pourtant tout autre chose qui motive aujourd’hui mon ralliement à la bannière finnoise, une information qui fit buzz et me convertit instantanément au finnish spirit : pris en délit d’excès de vitesse, le dénommé KUISLA Reima, a été pénalisé d’une amende de 54.024 euros. Un montant plus que conséquent qui s’explique doublement : d’une part, l’excès enregistré (103 au lieu des 80 autorisés) dépasse la barre fatidique des 20km/h sous laquelle l’infraction n’aurait coûté que quelque 400 euros ; d’autres part, la Finlande applique un régime de proportionnalité en vertu duquel le montant réclamé est lié aux revenus du contrevenant. Le sieur KUISLA, actif dans le secteur de l’immobilier, ayant déclaré très précisément 6.559.742 euros de revenus pour l’année 2013, l’ardoise présentée ne pouvait qu’être lourde…[[Le système de calcul, relativement complexe, remonte aux années 20 et visait à désengorger les prisons des condamnés pour faits de petite délinquance en substituant à l’incarcération des amendes que les contrevenants étaient à même de payer. Le montant prend en compte la moitié du salaire quotidien de l’individu concerné, est pondéré en fonction des personnes à sa charge puis multiplié par le nombre de jours d’emprisonnement que la gravité de l’infraction mériterait.
Dans le cas de l’excès reproché à Reima Kuisla, une personne sans enfant gagnant 50.000 euros par an aurait reçu une amende d’environ 350 euros ; avec un revenu de 300.000 euros, l’addition se serait montée à 1.480 euros Source : http://www.nytimes.com/2015/04/26/world/europe/speeding-in-finland-can-cost-a-fortune-if-you-already-have-one.html?_r=2]] Notez toutefois qu’il ne s’agit pas du record du genre puisqu’en 2002, un dirigeant de Nokia flashé au guidon de sa Harley Davidson 25km/h au-delà de la vitesse maximale s’est vu présenter une addition de 94.000 et quelques euros « justifiée » par un revenu supérieur à 11 millions d’euros.

Par-delà sa dimension anecdotique et sensationnaliste, cette information contient pour moi un motif de réjouissance à savoir le caractère sans compromis de la mesure, la volonté de frapper fort pour que cela fasse mal. Fut-ce politiquement incorrect et dussé-je être taxé de sadique voire d’autocrate, j’aime ça !

Pour tout dire, j’en ai ma claque de la mansuétude consensuelle vis-à-vis des infractions de roulage et, plus globalement, de la dictature de la bagnole. Mare que, sous prétexte que « on ne peut pas gouverner contre le peuple » ou que, comme me le disait un élu local Ecolo, (Jean-Marie, si tu me lis…) « un vélo, c’est une voix, alors qu’une automobile, c’est deux ou trois voix. Et si on n’a pas ces voix pour être dans la majorité, les autres feront encore moins que nous… », on accorde à cet engin et à son conducteur une place et une tolérance inacceptables.

Alors que le fumeur sera bientôt poursuivi jusqu’au fond de son salon pour « mise en danger de la vie d’autrui », l’automobiliste empoisonne impunément des populations entières à coups de particules fines, dioxyde de soufre, dioxyde d’azote, ozone, monoxyde de carbone, hydrocarbures aromatiques polycycliques, dioxines, arsenic, cadmium, chrome, mercure, nickel et plomb. Normal ? Pire : ceux qui ont fait le choix de renoncer à ce moyen de transport polluant, bruyant, gourmand en énergie et en espace public se trouvent dans une situation ubuesque où, non seulement, ils ne bénéficient pas des fruits de leur renoncement mais, pire, doivent endurer sans recours possible une atteinte aussi grave que manifeste à leur intégrité physique !

Alors qu’un petit délinquant auteur de vol(s) sera condamné à de la prison ferme, un chauffard ayant causé un accident mortel avec circonstances aggravantes d’excès de vitesse et d’alcoolémie a toute les chances de s’en sortir avec des travaux d’intérêt général et une suspension de permis. Normal ?

Qui circule en ville assiste quotidiennement à des dizaines d’infractions dont beaucoup relèvent de la faute grave (feu rouge brûlé ; franchissement de ligne blanche continue ; dépassement non autorisé ; non respect des priorités ; manœuvres sans clignotant ; etc.) et/ou mettent clairement en danger les autres usagers. Et qui emprunte les autoroutes peut dresser un bilan tout aussi négatif, seule la nature des comportements différant parfois: excès de vitesse ; slalom dans le trafic ; intimidations diverses (queue de poisson, harcèlement du pare-chocs du véhicule qui précède ; etc.) Seule la police semble ne pas voir ce qui s’étale devant les yeux de tous… Normal ?
Et que dire du spectacle de ces combis passant à côtés de véhicules parqués en double-file ou sur une piste cyclables et de conducteurs avec un GSM collé à l’oreille voire appuyé sur le volant pour composer un SMS sans que les agents à bord jugent utiles de réagir ? Normal ?

Tout se passe comme si l’automobile et son possesseur constituaient une divinité intouchable, un objet sinon banni à tout le moins immunisé de l’action des pouvoirs publics… Il est vrai qu’avec 5.555.499 voitures privées et un parc global de 6.619.726 véhicules recensés en Belgique (chiffres de 2014[[http://statbel.fgov.be/fr/modules/publications/statistiques/circulation_et_transport/evolution_du_parc_de_vehicules_2014.jsp]]), ce sont beaucoup de voix qui sont en jeu et donc d’électeurs-conducteurs auxquels il faut éviter de déplaire. Surtout, surtout, ne pas appuyer là où ça peut faire mal ! Jamais. En aucune façon.

« Olen Suomalainen ! » car, en Finlande, on se donne les moyens de faire évoluer les comportements, tandis que, chez nous, on mise sur la bonne volonté, le sens civique de l’automobiliste que l’on va sen-si-bi-li-ser. Quand, là-bas, on se dote de radars permettant non seulement de mesurer les excès de vitesse mais aussi de vérifier le respect des distances de sécurité, le paiement de la taxe de circulation, l’assurance du véhicule et le port des ceintures de sécurité[[http://www.tf1.fr/tf1/auto-moto/news/finlande-radars-verifient-meme-ceinture-de-securite-0578408.html]], ici, on prend grand soin d’avertir de la présence de radars revendiqués préventifs et non répressifs. Comme si réprimer était une tare, un vice inavouable, une faute impardonnable… Surtout, surtout, ne pas déplaire ; ne pas appuyer là où ça peut faire mal, jamais, en aucune façon. En vertu de quoi, si certains pays mettent en place une fiscalité amenant à interroger l’acquisition (taxe de mise en circulation) ou l’utilisation d’un véhicule (péage, taxe au kilomètre, etc.), chez nous, l’inaction reste la règle.

Il ne s’agit évidemment pas d’interdire la voiture mais de ne pas s’interdire de réfléchir au moyen d’en limiter voire – attention, gros mot ! – d’en interdire l’utilisation en certains lieux, certaines circonstances et même – osons ! – pour certains (non)usages.

Tant qu’à développer une image de plouc réactionnaire et dictatorial, autant ne pas me priver de questions taboues : est-il légitime de laisser des véhicules sillonner la ville sans but ni autre motif que de meubler l’oisiveté et/ou satisfaire le besoin d’affirmation de soi de leurs conducteurs ? Si la voiture a une légitimité comme outil de mobilité, peut-on tolérer qu’elle devienne un jouet avec lequel certain(e)s se caressent l’ego et/ou affirment leur virilité par une conduite niant les autres ? Plus globalement, hormis dans une minorité de cas, la voiture a-t-elle un sens et une place en ville ?

On se trouve ici à l’intersection de deux enjeux majeurs, la mobilité et la sécurité routière. On n’améliorera ni l’une ni l’autre par la passivité qui prévaut aujourd’hui pas plus que par la pensée magique qui prétend impulser le changement en « montrant ce qu’il y a à gagner » dans les alternatives, en « donnant envie » de faire autrement. Seule une action proactive et volontariste peut faire évoluer les choses significativement et dans des délais raisonnables. En matière de mobilité, l’architecture décisionnelle et les contingences matérielles limitent la rapidité d’action… mais ne l’empêchent pas. Pour rester sur l’exemple finlandais, la capitale Helsinki développe depuis plusieurs années un programme qui ambitionne d’y rendre la voiture individuelle inutile d’ici 2025. L’idée est d’instaurer un système de mobilité à la demande, performant, bon marché et flexible qui rendra désuet l’utilisation de véhicules privés. Les autorités misent sur une application pour smartphone simple d’utilisation (il suffirait d’entrer un point de départ et une destination), combinant tous les moyens de locomotion (vélos et voitures partagés, ferries, taxis et transports en commun) et qui permettra aux gens d’acheter leur moyen de déplacement en temps réel[[.http://www.theguardian.com/cities/2014/jul/10/helsinki-shared-public-transport-plan-car-ownership-pointless]]. Face à cette alternative de qualité, les accros à la bagnole n’auront plus de pseudo-excuses à faire valoir pour emmerder le monde impunément et l’interdiction puis la répression de leur comportement se justifiera pleinement.

Pour ce qui est de la sécurité routière, par contre, pas besoin de donner du temps au temps: tout n’est question que de volonté et de priorité. En offrant à une politique de tolérance « zéro » les moyens de sa réussite, on peut non seulement faire baisser les statistiques d’accidents, encaisser – dans un premier temps – des recettes autofinançant cette stratégie et développer un sentiment de sécurité favorable à l’émergence d’alternatives. Mais cela demande d’appuyer là où ça fait mal, d’assumer l’impopularité, d’accepter d’éventuellement sacrifier une réélection au bénéfice d’un projet politique fort.

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