Politiques climatiques belges : surréalistes, bien sûr

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On connaît les difficultés rencontrées dans les négociations internationales sur le climat pour aboutir enfin à un accord global ambitieux, juste et contraignant. A l’échelle locale, chez nous donc, les discussions ne sont pas plus faciles… Dans l’imbroglio institutionnel belge, les compétences en matière de climat et d’énergie sont réparties entre les Régions et le Fédéral. Il n’est donc pas possible de mener un politique climatique un tant soit peu ambitieuse et cohérente sans une concertation intelligente entre et au sein des différents niveaux de pouvoir. Le mouvement environnemental – et bien d’autres – le prêche depuis des années… dans le désert !

Les dossiers européens posent problème en particulier. La Belgique vient récemment d’être mise en demeure par la Commission européenne pour non transposition de la directive qui étend le système européen d’échanges de quotas d’émission (European Trading System ou ETS) au secteur de l’aviation. Étant donné les pressions exercées sur la Commission par les partenaires commerciaux, notamment par les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, contre l’ETS aviation, le moment est mal choisi pour jouer les potaches de la classe européenne. Sans surprise, le nœud de l’affaire est un problème communautaire[Pour l’historique complexe du dossier voir notamment [http://www.bruairlibre.be/2011/03/planete-a-qui-le-co2-de-zaventem-2/]] : à qui le revenu des quotas de Zaventem ? Les Régions sont en effet compétentes pour la réduction des émissions de CO2 mais Zaventem est sous l’autorité fédérale. On attend toujours un accord de coopération pour régler la question mais en attendant les quotas de Zaventem pourraient être aujourd’hui attribués deux fois, par la Flandre et par le Fédéral…

Un autre dossier, lié au précédent et qui traîne depuis longtemps est la répartition au niveau intra-belge des objectifs du paquet européen 20-20-20. Rappelons que la Belgique s’est engagée au niveau européen à réduire ses émissions de CO2 non couvertes par le système ETS de 15% en 2020 et à produire 13% de sa consommation finale d’énergie par des sources renouvelables, toujours en 2020. Il faut aussi se mettre d’accord sur comment répartir les revenus tirés de la mise aux enchères d’une partie des quotas d’émission du système ETS (estimés à 527 millions d’euros en 2020). Après une longue suspension suite à la chute du gouvernement fédéral, les négociations s’apprêtent enfin à reprendre au sein de la Commission Nationale Climat. Pour le mouvement environnemental, une décision rapide s’impose. L’absence de clarté sur la répartition des efforts et des revenus n’a déjà que trop bloqué les avancées au niveau régional, certains ne voulant pas « dévoiler leur jeu » avant les négociations.

Enfin, les problèmes communautaires semblent aussi miner la politique au niveau fédéral. On ne peut en tout cas que constater un désinvestissent du Fédéral sur les matières climatiques. L’accord de gouvernement restait muet sur une politique climatique fédérale et une des premières décisions du nouveau gouvernement a été la suppression immédiate des déduction fiscales pour les investissements économiseurs d’énergie, avant le transfert effectif aux Régions de cette compétence et des budgets qui y sont liés. On peut aussi s’inquiéter du gel de la part de la cotisation fédérale prélevée sur la facture d’électricité pour financer le Fonds Kyoto le 1er avril et au moins jusqu’à la fin de l’année. Ce fonds est aujourd’hui utilisé essentiellement pour l’achat de crédits carbone par le Fédéral dans le cadre des engagements de la Belgique pour le Protocole de Kyoto[Dans le cadre du Protocole de Kyoto en Belgique, la Belgique s’est engagée à réduire ses émissions de 7.5% en 2012 par rapport à 1990. Un accord de coopération a fixé, le 8 mars 2004, la contribution de chaque Région à l’effort national de réduction des émissions de 7,5 % : – Région wallonne : les émissions de 1990 réduites de 7,5 %; – Région flamande : les émissions de 1990 réduites de 5,2 %; – Région de Bruxelles-Capitale : les émissions de 1990 majorées de 3,475 %. Pour combler le déficit, les autorités fédérales se sont engagées à acquérir des droits d’émission pour un total de 12,3 millions de tonnes d’équivalent CO2 durant la période 2008-2012]] et pour une petite partie pour financer le [Service Changements Climatiques de l’administration fédérale. Or l’objectif premier de ce fonds visait le financement de la politique fédérale de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au sens large et pas uniquement l’achat de crédits carbone. Il est regrettable qu’en cessant de l’alimenter le fédéral se prive ainsi d’une ressource pour mener une vraie politique climatique fédérale qui donnerait tout son sens à ce prélèvement sur la facture des consommateurs. Un prélèvement qui reste très modeste : moins de 4€ par an pour un ménage avec une consommation électrique moyenne de 3 500 kWh/an. On comprend donc mal la justification avancée de réduire la facture d’énergie. Ce faisant le Fédéral met en péril le financement du Service Changements Climatiques composé pourtant d’une équipe d’experts reconnus au niveau européen et international.

Il y a sans doute plusieurs raisons derrière cette frilosité du Fédéral à s’engager dans une vraie politique climatique. Les remises en cause récentes des politiques énergie et climat par le MR et la FEB y sont sans doute pour quelque chose. Mais comme souvent en Belgique, les problèmes communautaires ne sont jamais loin… Il semble que certains partis flamands ne voudraient plus que le fédéral mène de politique climatique pour que cette compétence devienne exclusivement régionale. Le projet de loi climat lancé par Paul Magnette, Ministre du Climat sous la précédente législature, aurait été torpillé semble-t-il pour cette raison. Si on peut comprendre une volonté de rationalisation, la multiplication des instruments à différents niveaux de pouvoir étant contre-productive, il n’y a aujourd’hui guère de sens à vouloir régionaliser entièrement la politique climatique étant donné l’aspect transversal de toute politique climatique et le partage des compétences au niveau belge.

Mais de quoi peut-on encore s’étonner dans ce pays qui a vu fleurir le surréalisme… institutionnel ? On aurait pourtant pu croire que face à la menace que font peser sur nous les changements climatiques en cours, face à l’importance de la transformation à opérer, les forces s’uniraient pour tenter d’éviter le pire… Un doux rêve de bisounours ! Surtout en Belgique… Car in fine, la lutte contre les changements climatiques c’est souvent une histoire de sous, de gros sous, parfois teintée d’un peu d’idéologie qui vient juste réveiller le nerf de la guerre. Ce qui est certain c’est le climat et les générations futures qui en feront les frais !

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Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie