Routes wallonnes : l’équation impossible

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Le réseau routier wallon est dégradé. Ceci ne constitue pas un scoop, nous en sommes conscients. Par contre, les amateurs de surprises et d’émotions fortes trouveront sans aucun doute satisfaction à la lecture attentive du rapport « L’entretien des routes et autoroutes en Wallonie » publié en décembre 2012 par la Cour des comptes (). Ledit rapport « pesant » 120 pages, les amateurs susmentionnés n’auront sans doute pas tous le temps d’en prendre connaissance en détail. Toujours prévenants à l’égard du lectorat de nIEWs, nous vous en présentons quelques extraits choisis[[Les numéros de page indiqués entre parenthèses renvoient au rapport de la Cour des Comptes]] assortis d’une petite analyse de notre cru.

Des p’tits trous… et des poids (très) lourds

Le constat de mauvais état des routes wallonnes que font, intuitivement, de nombreux utilisateurs est partagé par les acteurs principaux : « Se basant sur une évaluation de l’aspect visuel et sur différentes campagnes d’auscultations, l’administration wallonne considère que son réseau routier et autoroutier[[Il est utile de préciser ici que le réseau routier et autoroutier en Wallonie compte actuellement 869 kilomètres d’autoroutes, 6.869 kilomètres de routes régionales, 714 kilomètres de routes provinciales et 49.189 kilomètres de voiries communales revêtues]] est dégradé » (page 27). Les raisons en sont multiples : la forte densité du réseau, le sous-investissement dans son entretien pendant les années 1980, les hivers rigoureux, … mais aussi l’évolution du trafic.
« Une des raisons majeures de l’accélération de la dégradation du réseau est l’amplification du caractère « agressif » du trafic routier, qui résulte, d’une part, de l’augmentation du nombre de véhicules et, d’autre part, de la charge des poids lourds […] Au cours de la période 1990-2006, le transport de marchandises par la route a progressé de 60 % en termes de véhicules-km (8,9 milliards de véhicules-km en 2006) et de 90 % en termes de tonnes-km (63,5 milliards de tonnes-km en 2006) » (page 29).

« La (sur)charge des poids lourds constitue également un facteur de détérioration du réseau. La législation belge actuelle limite la masse maximale autorisée par essieu à 10 tonnes. […] La Cour constate que ces normes ne sont pas souvent respectées. En effet, lors d’une campagne de pesage de véhicules réalisée par la police de la route entre le 1er janvier 2010 et le 31 mars 2011 dans les six centres de pesée autoroutiers wallons, 426 véhicules, parmi 815 pesées effectuées, étaient en surcharge, soit 52,3 %. La pesée maximale enregistrée pour un essieu fut de 16,83 tonnes et la masse maximale enregistrée s’éleva à 62,64 tonnes » (page 30). Pour apprécier ce dernier chiffre, il faut savoir que la législation européenne actuelle limite à 44 tonnes la masse maximale en charge des poids lourds. Lors d’un voyage d’étude en Suisse en 2003, le cas d’un camion pesé à 64 tonnes nous avait été rapporté. Le problème n’est donc ni récent ni limité à la Wallonie.

Plan d’urgence en temps de disette

Sur base du constat de mauvais état, le Gouvernement a, en 2008, demandé à l’administration de réaliser un diagnostic complet du réseau et d’établir un programme de réhabilitation, de rénovation et de sécurisation. En janvier 2009, le gouvernement wallon adoptait le plan de remise à niveau routier et autoroutier, à financer et à exécuter en partenariat avec la Sofico[[Société de financement complémentaire des infrastructures, créée en 1994 afin de débudgétiser le financement de certains « grands travaux » via un mécanisme basé sur la notion de partenariat public-privé.]]. Précisons que cette dernière limite son action au réseau dit « structurant », soit 1.523 km de voiries. « Pour remettre en état l’ensemble du réseau structurant, 575 chantiers furent alors [en 2010] identifiés. A ce stade, l’estimation budgétaire de leur réalisation s’élevait à 885 millions d’euros TVA comprise » (page 31).

En raison de différents impératifs (réglementaires, budgétaires et financiers), la Sofico a re-hiérarchisé et sélectionné les chantiers du plan routes, lequel est devenu un « master plan » de 322 chantiers et d’un montant total de 500 millions d’euros. La Sofico dispose notamment d’une ligne de crédit de 250 millions d’euros auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI). Il faut souligner que le prêt de la BEI est assorti de trois conditions principales : (1) le crédit est limité dans le temps, (2) la Sofico doit respecter certains engagements, dont celui d’effectuer un entretien régulier et (3) il faut intensifier les contrôles de la charge des poids lourds.

La concrétisation des plans (plan route et master plan) dans les délais annoncés ne semble toutefois pas entièrement acquise, si l’on en croit l’analyse de la Cour des comptes : « hormis les fonds propres de la Sofico et le premier contrat de financement conclu avec la BEI, la Cour constate que les modalités de financement du master plan, dans un premier temps, et de l’ensemble du plan routes, dans un second temps, demeurent imprécises. Cette situation comporte un risque important de non-concrétisation des objectifs de réhabilitation du réseau structurant poursuivi par le plan routes » (page 50). « La période de mise en œuvre du plan 2010-2014 est, en réalité, de 56 mois. Il reste donc 34 mois, soit 60,7% de la période considérée, pour attribuer 82,4% du nombre total des chantiers (575) et réaliser 88,04% des dépenses prévues » (page 51).

Ceci pour le réseau structurant. Quant au réseau non structurant : « à politique inchangée, le total des moyens réunis sur l’allocation 73.01[[« En ce qui concerne le réseau non structurant, l’allocation la plus importante (hors crédits variables) du programme 13.02 Réseau routier et autoroutier de la Région – construction et entretien du réseau (partie génie civil) du budget des dépenses de la Région wallonne est l’allocation de base 73.01 » (page 53)]] pour la période 2010-2014 serait de 405,8 millions d’euros, soit moins de la moitié du budget estimé initialement pour les 575 chantiers du réseau structurant (885 millions d’euros TVA comprise). Dès lors que le trafic routier régional se répartit à concurrence de 47,7 % sur le réseau non structurant et de 52,3 % sur le réseau structurant, ce crédit estimé de 405,8 millions d’euros ne paraît pas à la mesure des besoins du SPW » (page 54). Bref : « pour les deux réseaux, les moyens financiers alloués risquent d’être insuffisants pour couvrir, à terme, les besoins d’entretien » (page 93).

Contrôle, vous avez dit contrôle ?

Dans une situation aussi tendue, où les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins, on s’attendrait à voir mis en œuvre un système performant de contrôle de la qualité d’exécution des travaux et de suivi des chantiers. Las ! Loin s’en faut.
D’une part, il manque, en amont, un historique correct du réseau : « la Cour constate l’inexistence d’un historique des travaux de construction et de maintenance des voiries wallonnes et l’impossibilité pratique d’en retracer un. La seule connaissance de l’histoire des voiries se base sur la mémoire des membres du personnel, mémoire qui s’étiole inexorablement avec les départs à la retraite des agents concernés » (page 39).

D’autre part, l’état exact de dégradation de la chaussée est rarement mesurée avec toute la précision possible avant les travaux : « la réalisation d’évaluations de la portance résiduelle[[Capacité d’une route à supporter des charges, des poussées]] apparaît donc exceptionnelle. Or, ce type d’analyse vise à définir avec précision l’ampleur des travaux à réaliser et donc à assurer une plus grande durabilité de l’entretien opéré » (page 63).

Enfin, les contrôles en cours de chantier ainsi que les contrôles a posteriori ne sont pas systématiques (à l’exception de la vérification de la composition des enrobés) et, lorsqu’ils révèlent des manquements ou malfaçons, ils débouchent rarement sur des mesures de correction. « Près d’un chantier sur cinq ne fait pas l’objet d’un contrôle des caractéristiques surfaciques du revêtement, ce qui constitue un problème majeur. En effet, les paramètres testés par ces contrôles ont un impact direct sur la sécurité des usagers du réseau routier et autoroutier wallon » (page 84). « Ainsi, dans plus de 90 % de cas, les résultats non conformes mis en évidence par le système de contrôle de la qualité de l’entretien du réseau routier et autoroutier wallon ne donnent lieu à aucune amélioration de la route » (page 94).

Résoudre l’équation ?

La Cour des comptes ne se contente pas, bien sûr, d’analyser la situation. Elle formule également de nombreuses recommandations en matière de démarche stratégique, programmation des travaux d’entretien, financement et contrôle de la qualité. Nous ne soulignerons ici qu’une des recommandations, en raison de son importance tant dans le cadre du prêt de la BEI que pour son impact direct sur le réseau et sur la sécurité routière. La Cour « insiste sur l’importance de procéder à l’installation de systèmes de pesage dynamique des poids lourds, d’octroyer les ressources suffisantes pour en assurer un contrôle effectif et de s’assurer de l’application de sanctions réellement dissuasives aux contrevenants » (page 93).
Au-delà des recommandations de la Cour, il nous semble utile de mener un véritable débat de fond sur le réseau routier wallon. Les budgets actuels ne permettent pas d’assurer un entretien correct du réseau routier : il s’agit là d’une évidence, mais aussi, malheureusement, d’un tabou. Toujours enclins à parler des sujets interdits, nous avons abordé ce problème à de nombreuses reprises par le passé. Dans un article paru dans la lettre des CCATM en 2008, nous soulignions que le problème est également vrai au niveau des voiries communales. Et démontrions, chiffres à l’appui, que, au niveau régional, il conviendrait de multiplier par deux au moins les budgets affectés à l’entretien des (auto)routes pour les maintenir dans un état de qualité satisfaisant. C’est, au demeurant, ce qui apparaît également à la lecture du rapport d’activités 2005 de la Direction générale des Autoroutes et des Routes du Ministère de l’Equipement et des Transports.
Devant l’effort budgétaire que cela représente, vu les tensions budgétaires actuelles, vu, plus spécifiquement, les besoins de financement des transports en commun, et attendu la nécessité, pour répondre aux enjeux énergétique et environnementaux, de maîtriser la demande de mobilité, la véritable question qui nous semble devoir être posée est celle de l’objectif en la matière – et de sa redéfinition éventuelle. La gestion du réseau routier doit-elle viser à permettre d’importantes charges de trafic sur l’entièreté de celui-ci ? Dans l’affirmative, des choix budgétaires douloureux devront être faits, au détriment d’autres politiques – dont, sans doute, celles de mobilité durable. Ce n’est pas la solution que nous préconisons.
Alors quoi ? Dans un document de réflexion publié en 2010, Inter-Environnement Wallonie suggérait d’oser envisager la désaffectation (au moins partielle, en réservant leur utilisation aux véhicules légers par exemple) de parties du réseau afin d’en ralentir la dégradation. C’est là une question essentielle, qui doit être abordée sans dogmatisme d’aucune sorte. Il convient également d’aborder une autre question, centrale en matière de mobilité : l’augmentation du trafic routier constituant une des raisons majeures de l’accélération de la dégradation du réseau, des politiques de maîtrise de la demande de transport apporteraient – outre leurs nombreux avantages tant sociaux qu’environnementaux – un élément de réponse déterminant à la question de l’entretien du réseau.