Schizophrénie ? Of course !

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Le dossier Francorchamps, tabou politique absolu, est révélateur d’une dangereuse schizophrénie. Il devient en effet évident que changements climatiques et pic pétrolier doivent nous amener à revoir en profondeur –et de manière urgente – le fonctionnement de nos sociétés en passant à la sobriété énergétique, particulièrement en matière de transport. Mais, et c’est là le hic, le pouvoir public n’intègre pas – au-delà des discours – ces enjeux globaux dans ses politiques sectorielles. Démonstration par le « plus beau circuit du monde ».

La F1 constituait un formidable outil de promotion… de la cigarette jusqu’à un passé récent. Ceci ne doit pas faire oublier qu’elle est surtout et avant tout la meilleure vitrine de l’industrie automobile. Les budgets qu’y consacrent les constructeurs sont colossaux : entre 350 et 380 millions d’euros par an pour l’écurie Renault, dont environ 60% sur fonds propres et 40% issus du sponsoring (http://eurosport.fr/formule1). La F1 glorifie l’automobile dans ses excès les plus néfastes : éloge de la vitesse, éloge du gaspillage énergétique. Les pilotes, chevaliers des temps modernes, incarnent un idéal pour beaucoup de jeunes. Combien n’ont-ils pas payé de leur vie l’identification à ce modèle ? Combien n’ont-ils pas durablement intégré l’idée qu’il est valorisant de brûler du carburant sans autre but que de « s’amuser » ? Certes, les choses évoluent positivement. Les merveilleux bolides qui font vibrer les foules étaient jusqu’à présent équipés de moteurs V10 qui développaient 900 chevaux (consommation : 90 litres/100 km). Dorénavant, la « sobriété » est de mise : les nouveaux V8 de 700 chevaux ne consommeront plus « que » environ 60 l/100 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Formule_1, http://www.go-f1.com/). Soit seulement 20 fois plus que les modèles de voiture les plus sobres mises sur le marché…

Nous sommes là face à une situation de schizophrénie politique totale. Côté face, un exécutif promeut (timidement) la sobriété énergétique et le développement d’une mobilité durable. Côté pile, le même exécutif, avec le soutien quasi unanime de la classe politique, œuvre avec acharnement à mettre en place les conditions favorables à l’organisation du GP de F1 de Francorchamps. En y consacrant des budgets colossaux, représentant au bas mots 100 fois le budget d’un événement tel que la semaine de la mobilité durable… Face à cette disproportion dans les moyens, face à ces messages contradictoires, comment exiger du citoyen qu’il se comporte en « consommateur responsable » de mobilité ?

Le problème de Francorchamps, c’est que ce dossier est devenu un tabou politique absolu. Lors du choc pétrolier de 1973, de nombreux pays avaient supprimé les courses automobiles. Or, ce que nous vivons depuis deux ans est plus grave que la crise de 1973 ou celle de 1979 : c’est une évolution structurelle. C’est l’avènement du pic pétrolier. Suivra bientôt sa déplétion. Plus grave encore : les changements climatiques en cours mettent en grand péril l’avenir même de la planète (voir à ce propos l’article de la rubrique « Energie-Climat » dans la présente Lettre d’information). Au Royaume-Uni, le Tyndall Center (centre d’études qui, en matière de climat, fait référence dans le Monde) vient de sortir une nouvelle étude : il faut réduire de 90% nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 si l’on veut éviter le chaos… En Belgique, les émissions de gaz à effet de serre des transports ont augmenté de plus de 30% sur les quinze dernières années. En cause principalement, l’automobile… Alors, vive Francorchamps, vitrine de la Wallonie ? Vitrine d’une Wallonie qui refuse d’affronter le défi climatique assurément…

Il est grand temps de dire enfin que la sur-consommation d’automobilité ne peut plus durer. Oui, il y aura des dommages. Comme il y en a eu lors du déclin des industries lourdes. Faut-il, pour cela, se fermer les yeux et attendre le chaos ? Le courage, c’est d’accepter de regarder lucidement la réalité, aussi dérangeante soit-elle. Et de mener les actions nécessaires pour amortir le choc. En l’occurrence, par exemple, de développer les filières qui recèlent d’énormes gisements d’emplois telles que la sobriété énergétique ou les énergies renouvelables. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et… le sourire de Schumacher.

Ne manquez pas de lire le communiqué de presse envoyé par IEW le jour de la signature du contrat entre le Région wallonne et la société Formula One Association.