Sondages bidons pour lancer le salon de l’auto

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La fin de l’automne, cette année, semble propice aux enquêtes d’opinion diligentées par les lobbys routiers.

La Belgian Road Federation (Fédération routière de Belgique) réalisait il y a peu un sondage auprès des acteurs économiques, demandant à ceux-ci d’identifier les dix « chaînons manquants » routiers principaux en Wallonie. Le sondage fut notamment relayé par l’Union wallonne des entreprises et le pôle logistique wallon. Afin d’aider les répondants, la Fédération routière proposait une liste de 32 « missing links » ayant une influence sur le transport de marchandises (4 en province de Namur, 5 en province du Luxembourg, 7 en province du Brabant wallon, 7 en province de Liège et 9 en province du Hainaut). Cette liste comprend bien évidemment les grands classiques qui font régulièrement parler d’eux en raison d’un soutien politique plus ou moins affirmé tels le contournement nord de Wavre, la liaison CHB à l’est de Liège, la N54 Anderlues-Erquelinnes, la prolongation de l’A 28 jusque Sterpenich, … On y trouve aussi des projets (tels un tunnel sous la Citadelle de Namur) dont on pouvait penser qu’ils étaient enfin entrés au musée des curiosités au titre de symboles d’une époque où l’on avait à c½ur de couvrir le territoire de liaisons routières sans prise en compte des dommages environnementaux et sans interroger la dynamique générale dans laquelle cela s’inscrivait. Une époque qui nous a légué un réseau d’infrastructure d’une telle densité qu’il est impossible de le maintenir dans un état correspondant aux standards internationaux, sauf à y engloutir des budgets trois fois plus élevés qu’actuellement.

Touring, de son côté, a récemment mis en ligne une « petite enquête sur la mobilité » en 13 questions rapides (réponse par oui ou par non) avec, à la clef, cinq fois deux billets d’entrée au salon de l’auto à gagner (par tirage au sort parmi les répondants, semble-t-il). Cette deuxième enquête mérite que l’on s’y attarde un moment.

L’ambition de Touring est grande : « Aidez-nous à faire avancer la mobilité plus vite… et plus proprement surtout. ». Passons sur le « plus vite », révélateur d’une tendance culturelle lourde de nos sociétés ne se manifestant pas qu’en matière de mobilité (fast food, speed dating, obsolescence programmée, …) pour saluer au passage le « plus proprement », assez inattendu dans la communication de Touring.

Les moyens déployés dans cette enquête pour faire avancer la mobilité plus proprement sont pour le moins surprenants. A l’évidence, les questions ont été conçues et rédigées avec une idée claire des réponses qu’il convenait d’y apporter pour appuyer le lobby de Touring. Ainsi, trois pistes d’actions sont-elles mises en avant : les nouvelles technologies embarquées, l’équipement des routes et, vieux dada de Touring, la synchronisation des feux de signalisation. Par contre, la question 6 invite les répondants à confirmer que, non, il n’est pas utile ni nécessaire de consacrer « de grandes parties des routes publiques » aux voies de bus et de tram. De même, horreur, condamnons vite une réforme de « l’impôt sur la circulation » (une explication claire de ce qui se cache derrière ce nouveau concept un rien poujadiste serait la bienvenue) présentée ici comme une solution envisagée aux problèmes d’embouteillages. Cette manière de poser la question est évidemment très pernicieuse, la raison première d’une réforme de la fiscalité automobile telle, par exemple, que celle proposée par la Fédération, n’ayant évidemment pas pour but premier la résolution des problèmes d’encombrement, mais bien la diminution de l’empreinte écologique des transports. Enfin, le respect des personnes à qui l’on s’adresse devrait, nous semble-t-il, interdire de poser certaines questions. Ainsi « Selon vous, les voitures et les camions sont-ils les principaux responsables de la pollution de l’air ? ». Qu’entend-on par responsable principal et par pollution de l’air ? Veut-on parler du secteur d’activités économiques dont, en absolu, les émissions de polluants locaux sont les plus élevées ? Et, si oui, de quels polluants parle-t-on ? D’oxydes d’azotes ? De particules fines ? De quelle taille de particules s’agit-il ? Parle-t-on, au contraire, des secteurs dont l’évolution est la plus préoccupante ? Foin de ces précisions ! Il s’agit ici de faire dans le simple, le robuste – et de pouvoir conclure que « selon la grande enquête de Touring, les voitures et les camions ne sont pas les principaux responsables de la pollution de l’air ! ». De quoi faire reculer les politiques les plus hardis ayant à c½ur de tenter de juguler la pollution atmosphérique imputable aux transports (rappelons pour la petite histoire que, en Belgique, les particules fines issues du transport tuent deux fois et demi plus que les accidents de la route).

Ces deux sondages nous rappellent celui réalisé en 2009 par IPSOS pour le compte du Service Public de Wallonie (SPW) sur une idée originelle – et originale – du Ministre Daerden. Ce sondage avait pour but de déterminer la « popularité » du projet de liaison autoroutière A 605 dite CHB (Cerexhe-Heuseux-Beaufays) à l’est de Liège. Dans un petit billet d’humeur, nous nous étions amusés à démontrer par l’absurde que la manière de poser les questions n’était bien évidemment pas innocente et pouvait amener des citoyens ne possédant pas les informations de base à valider ou invalider un projet. Nulle possibilité, dans le sondage de la Belgian Road Federation, de manifester son désaccord par rapport à l’accroissement continu du réseau routier. Nulle possibilité, dans l’enquête de Touring, de nuancer ses réponses, de suggérer d’autres pistes de solution, de prioriser les mesures à mettre en place…

L’expérience montre malheureusement que, à l’instar des tonneaux vides, les sondages bidons sont ceux qui font le plus de bruit. Nul doute que le salon de l’auto offrira une merveilleuse tribune à la Belgian Road Federation et à Touring pour dévoiler les conclusions de leurs enquêtes/sondages. Rendez-vous donc au mois de janvier 2012 pour savourer les résultats.