Action gouvernementale et information: risques de dérive…

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En famille ou entre amis, il n’est pas rare d’entendre l’un ou l’autre, ponctuer une conversation politique, par un « ils sont tous pareils ! » ou un « comment veux-tu les départager ? Ils disent tous la même chose ! ». Les récentes élections fédérales ont ressuscité ces petites phrases qui tuent le débat.
Je n’ai pas la prétention, dans les lignes qui suivent de vous livrer une analyse détaillée des raisons qui nous amènent à nous détacher de la « chose politique », mais plutôt de vous faire partager quelques observations ou réflexions qui m’ont marquée, sur les parlementaires, les journalistes et bien sûr nos Ministres . Exercice emprunt d’une forte subjectivité, j’en conviens, qui n’est somme toute rien d’autre que le reflet d’un certain vécu du « poto-poto wallo-wallon »…

Complexification des matières versus simplisme de l’info

L’une des caractéristiques de notre Etat « moderne » est que l’ensemble des législations est d’initiative gouvernementale. Les raisons de cette tendance sont multiples et à mettre notamment sur le compte de la complexité croissante des matières et de l’importance du cadre européen. Au final, force est de constater que beaucoup de parlementaires censés contrôler l’action des Gouvernements semblent totalement perdus dans le labyrinthe toujours plus foisonnant des règlementations. Les travaux parlementaires sont à cet égard édifiants, mêlant fréquemment dialogues de sourds et interpellations simplistes…

Et les journalistes, comment s’en sortent-ils face à cette complexification ? Force est de constater que beaucoup d’entre eux ne s’en sortent pas mieux, enfermés dans leur perpétuelle urgence et l’obsédante recherche de l’anecdote piquante qui appâtera le lecteur… A ce propos, je me souviendrai toujours de la manière dont il a été fait écho de l’arrêt de la cour d’arbitrage [[Qui a gagné, depuis peu, ses galons « officiels » de Cour constitutionnelle (voir la révision de la Constitution du 7 mai 2007).]], faisant pour la première fois application du principe de standstill dans le domaine de l’environnement [[Voir les arrêts n° 135/06 et 137/06 des 14 septembre 2006 et le commentaire de B. Jadot, « La Cour d’arbitrage ne cache plus l’obligation de standstill résultant de l’article 23 de la Constitution », Amén-Env., 2007, pp.10 et s.]] : quelques lignes évoquant le « bras de fer » entre le Ministre André Antoine et Inter-Environnement Wallonie, et une place de choix au seul point de vue du Ministre [[« Des zones industrielles en partie bloquées, Le Soir 16-17/09/ 2006; « Wallonie, le décret RESA a revoir », La Libre, 15/09/06.]]. Quant au principe de standstill et sa signification, je crains qu’ils ne conservent vis-à-vis du public/lecteur leur pleine et entière opacité, pour quelques temps encore. Au nord du pays, par contre, l’arrêt de la cour constitutionnelle a été relayé dans des articles de fond [[« Milieugrondrechten doen Marshallplan even haperen », Financieel Economisch tijd, 15/09/06; « Leefmilieu gaat boven alles, zegt rechtbank », De Standaard, 23-24/09/06.]] qui mettaient clairement en face à face l’obligation pour le législateur de maintenir le même niveau de protection de l’environnement et l’impératif affiché par le Gouvernement wallon de redresser -encore et toujours- la Wallonie. Ah, si on m’avait dit un jour que les flamands s’intéresseraient plus à notre bien-être que nous-même…

Pas plus que les parlementaires, les journalistes ne semblent donc armés pour vérifier et analyser les informations qui leur sont servies sur un plateau d’argent dans le cadre de conférences de presse au rythme bien cadencé. Le rendez-vous est pris, la salle est réservée, des fardes comprenant des communiqués de presse rédigés par les attachés des Ministres sont offertes. Les « communiqués de presse » contiennent les informations pré-mâchées, dans lesquels chacun puisera le même paragraphe, la même citation, qui donneront aux lecteurs un point de vue parfaitement unilatéral.

Ce ne serait bien sûr un problèmes que si l’information relatée dans les communiqués « tout faits » n’était pas corroborée par des documents comme les projets de législation ou de règlementation dont les mérites sont si bien vantés et n’était pas croisée par les journalistes avec les points de vue des praticiens de la matière [[En supposant que ces derniers disposent du projet de législation en question, ce qui n’est pas évident, on le verra plus loin…]]. C’est malheureusement trop peu souvent le cas…

Temps de la réflexion versus urgence de l’image

Légiférer par voie de presse est aujourd’hui devenu la règle : tel ou tel Ministre annonce l’adoption de telle ou telle mesure. Généralement, il l’annonce au tout début du processus, lorsque l’arrêté ou le décret a été adopté en 1ère lecture par le Gouvernement. Or, cette 1ère lecture est suivie de deux suivantes, elles-mêmes ponctuées par les avis des instances de consultation comme le conseil économique et social de la région wallonne, le conseil wallon de l’environnement pour le développement durable, le conseil supérieur des villes et des communes (au niveau fédéral, le conseil central de l’économie, le conseil fédéral du développement durable, …). Le Conseil d’Etat rend lui aussi des avis qui amènent régulièrement les auteurs à revoir leurs copies et quand il s’agit d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance, le projet adopté en dernière lecture par le Gouvernement subira un nouveau trajet au Parlement.

Six mois à un an, minimum, peuvent s’écouler entre l’annonce d’une règlementation, tous médias confondus, et sa publication au Moniteur belge.

Outre les incompréhensions que de tels effets d’annonce génèrent – certains se souviendront des « petits permis » que les bâtisseurs wallons pensaient applicables puisque « le Ministre l’a dit sur RTL-TVI » – l’on peut regretter l’absence de débats contradictoires pendant tout le processus de gestation; débats contradictoires qui auraient été alimentés par des documents, à savoir les projets de textes proposés, les avis des instances de consultation – instances qui rassemblent tout de même les différentes tendances ou sensibilités présentes dans la société -, l’analyse juridique de la section de législation du Conseil d’Etat, etc… Bref, tout un ensemble d’informations qui permettrait de se faire une idée plus achevée de ce qui nous est proposé.

Un accès à l’information aléatoire, voire arbitraire

Sous la précédente législature et même avant je crois, chacun, chacune, du citoyen au journaliste en passant par le parlementaire ou le fonctionnaire, pouvait demander à la Chancellerie du Ministère de la Région wallonne, qu’elle lui fournisse les textes des décrets et arrêtés en avant-projet ou en projet, inscrits à l’ordre du jour du Gouvernement. Une fois la séance du Gouvernement passée, une fois le texte adopté, il était donc possible d’en prendre connaissance par soi-même.

Hélas, l’actuelle législature a changé la donne : il appartient, désormais, à chacun des Ministres de donner ou non suite aux demandes formulées par le public. Si certains ne font aucune difficulté à transmettre ces informations, tel n’est pas le cas de tous, avec pour résultat une information à plusieurs vitesses (éventuellement fonction des « demandeurs », ce qui au passage heurte le principe d’égalité), moins de concertation en amont de la décision et, à la toute fin, moins de démocratie. Bien sûr, les « praticiens » qui ont la chance de siéger dans des instances de consultation verront les textes, du moins dans leur version initiale, mais dans l’ensemble, il faut désormais se satisfaire d’un accès passif et aléatoire des projets de réglementations [[Un dernier cas de figure s’est présenté, dans le courant du mois d’avril, avec le plan wallon pour une mobilité durable dont on reçoit le communiqué de presse, mais non le contenu brut.]]. Plus curieux sans doute, les parlementaires sont logés à la même enseigne que n’importe quel quidam…

Une interpellation ignorée à ce jour

Inter-Environnement Wallonie a interpelé le Gouvernement wallon, notamment en la personne de son Ministre-Président, afin de passer d’un accès aléatoire, voire arbitraire, à l’information, à une diffusion active des décisions gouvernementales. En d’autres termes, la Fédération a plaidé en faveur d’une mise en ligne directe des projets de décrets ou d’arrêtés, dès leur adoption par le Gouvernement. L’internaute trouverait non seulement l’ordre du jour des séances hebdomadaires, les communiqués de presse, mais aussi les projets de nouvelles législations ou règlementations ainsi que les avis des instances consultées et ce, au fur et à mesure de leur adoption en 1ère, 2ème, 3ième, voire 4ième lecture.

Evidemment, il est à craindre que le citoyen, parce que précisément il aura été mieux informé, sera, peut-être, aussi plus critique à l’égard des Femmes et Hommes politiques qui initient et édictent les règlementations, mais n’est-ce pas là un bien moindre mal au regard d’une appropriation facilitée des nouveautés législatives, d’une adhésion plus grande du public aux politiques mises en oeuvre et d’un renforcement du processus démocratique notamment de la fonction parlementaire et du rôle des médias ? Ce n’est sans doute pas « LE » remède au désintérêt général de la population vis-à-vis de la politique, mais sans doute un léger correctif propice à donner de la matière à ceux et celles, parlementaires, journalistes, et quidam, qui veulent en savoir plus; et qui sait, par un enchainement sain de petites causes à grands effets, à donner un peu plus d’épaisseur, de teneur -et de tenues – dans les débats devant et derrière l’écran.