Automobile : parlons des tabous !

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Réduction de la masse, de la surface frontale, du coefficient aérodynamique et du coefficient de roulement (la première réduction et la dernière étant grandement facilitées par la diminution de la vitesse de pointe et de la puissance) : là résident les véritables gisements de réduction de la consommation de carburant et des émissions de CO2 des voitures. Il est urgent que les décideurs politiques s’imprègnent de cette évidence, cessent d’invoquer de manière incantatoire les « améliorations technologiques », refusent d’entériner l’accroissement continu de la masse, de la vitesse de pointe et de la puissance des véhicules et établissent, au niveau européen comme aux niveaux national et régional, une batterie d’outils normatifs et fiscaux sans lesquels les constructeurs automobiles ne s’engageront pas, sauf tsunami sur les marchés pétroliers, sur la vraie voie de la sobriété énergétique.
Démonstration[[Si les équations ne sont pas votre tasse de thé, n’abondonnez pas pour autant la lecture : le raisonnement reste parfaitement appréhendable sans une compréhension “totale” des formules. Et pour les autres (ceux dont c’est la tasse de thé donc), amusez-vous !!]]…

0.Quelques équations en guise de mise en bouche

La puissance[[La puissance de la force exercée sur un corps est définie comme le produit de la force par la vitesse du corps. Elle est également égale à l’énergie fournie au corps par unité de temps.]] utile (Pu) qu’il est nécessaire de développer pour assurer le mouvement d’une voiture roulant sur une surface horizontale est égale à la somme de trois termes :

Pu= Pua+ Pur+ Pug [équation 1]

Avec :

Pua : puissance utile aérodynamique
Pur : puissance utile de roulement
Pug : puissance utile d’accélération
En explicitant les trois termes, l’équation 1 devient :

Pu = (0,5 . ρ . v³ . S. Cx) + (m . g . v . Cr) + (m . v . ɣ) équation 2][[Pour plus de détails sur le calcul, voir la feuille « énergie utile au déplacement d’une voiture » sur [http://www.hkw-aero.fr/energies.html]]

Avec :

ρ: masse volumique de l’air (kg/m³)
v : vitesse du véhicule (m/s)
S : surface frontale du véhicule = largeur x hauteur (m²)
Cx : coefficient d’efficacité aérodynamique
Cr : coefficient de résistance au roulement
m : masse du véhicule (kg)
g : accélération de la pesanteur (m/s²)
ɣ : accélération du véhicule (m/s²)
Pour connaître l’énergie utile au mouvement du véhicule, il faut intégrer l’équation 3 par rapport au temps. En réalisant l’exercice sur le cycle de test normalisé NEDC (new european driving cycle, figure 1) utilisé pour mesurer la consommation de carburant et les émissions de CO2 des voitures en Europe, on établit au terme de quelques calculs non développés ici que l’énergie utile (exprimée en MJ) pour rouler 100 km est égale à :

Eu = 19,2 . S . Cx + 0,82 . m . Cr + 0,011 . m [équation 3]

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L’équation 3 met en relief les paramètres associés à la conception de la voiture qui vont fortement influer sur l’énergie nécessaire à son mouvement quelle que soit sa motorisation (moteur à combustion, électrique, …). Plus ces paramètres seront élevés, plus grande sera l’énergie requise. Il s’agit de :

la masse (m) ; celle des véhicules neufs vendus en Belgique est passée de 1313 kg en 2001 à 1400 kg en 2010 ;
la surface frontale (S), soit sa largeur multipliée par sa hauteur ; celle des véhicules neufs vendus en Belgique est passée de 2,55 m² en 2001 à 2,73 m² en 2010 ;
le coefficient d’efficacité aérodynamique (Cx), sur lequel on a beaucoup travaillé pour le réduire dans la foulée des chocs pétroliers des années septante (avec notamment la Citroën CX), mais a fortement augmenté depuis ;
le coefficient de résistance au roulement (Cr) qui augmente fortement avec la largeur des pneus, largeur qu’il est nécessaire d’augmenter pour assurer une tenue de route correcte lorsque la puissance, la masse et la vitesse de pointe du véhicule augmentent.

1. De la roue au carburant

L’équation 3 nous permet de calculer l’énergie utile au mouvement (celle à appliquer aux roues). En divisant celle-ci par les rendements de la transmission et du moteur, on obtient l’énergie « entrée moteur ». D’où, pour un moteur à combustion, et connaissant le contenu énergétique du carburant, la consommation de carburant et donc les émissions de CO2. Tentons l’aventure pour déterminer si le calcul permet de « retomber » sur les valeurs officielles d’émissions de CO2. Si c’est le cas, la procédure pourra être utilisée pour déterminer dans quelle mesure une action sur les différents paramètres permettra d’abaisser les émissions.

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Pour la surface frontale et la masse, nous adopterons les valeurs moyennes données par l’ICCT[[M. Camprestrrini, P. Mock, European Vehicle Market Statistics, ICCT, 2011]] pour la Belgique pour l’année 2010. La surface frontale est de 2,73 m². En ce qui concerne la masse, l’ICCT donne une valeur unique de 1400 kg en ordre de marche pour la moyenne des véhicules vendus. Considérant un différentiel de 40 kg entre voitures diesel et essence et tenant compte du fait que 76% des voitures neuves sont des diesel, la masse moyenne en ordre de marche d’un véhicule diesel neuf est de 1410 kg et de 1370 kg pour un véhicule essence.

Prenons, pour Cx et Cr, les valeurs moyennes suivantes : Cx = 0,32 et Cr = 0,012.
Le calcul réalisé au tableau 1 donne 138,4 gCO2/km en moyenne pour les véhicules neufs vendus en Belgique en 2010. La valeur réelle (chiffres ICCT) est de 136 g/km. Notre calcul est donc précis à moins de 2% près et nous pouvons l’utiliser pour réaliser quelques simulations.

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Tableau 1 : calcul des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Belgique en 2010 réalisé en utilisant l’équation du mouvement d’un véhicule intégrée sur le cycle de test européen et les caractéristiques constructives moyennes de ces véhicules

2. Un facteur 2 est possible !

Le tableau 2 donne les résultats d’une optimisation parallèle de tous les coefficients sur lesquels une action semble envisageable. Il est possible, dans ces hypothèses (détaillées ci-dessous), et sans mobiliser de dispositifs technologiques particuliers (récupération d’énergie au freinage, stop/start, …), d’abaisser à 65 g/km (soit la moitié de la valeur actuelle) les émissions de CO2. Notons toutefois qu’il est indispensable, pour arriver à ces résultats, de diminuer la vitesse de pointe des véhicules et leur puissance (donc leur potentiel d’accélération), ce qui entraîne une réduction de la masse et rend possible l’utilisation de pneumatiques moins larges. Tout bénéfice également pour la sécurité de tous les usagers de la route.

pierre4.jpg

Tableau 2 : optimisation de tous les paramètres du véhicule, sans adjonction de dispositifs technique particuliers

Les différentes améliorations apportées à la situation de base décrite au tableau 1 sont :

une légère amélioration des rendements de transmission et moteur (sur lesquels n’existe qu’une faible marge de manœuvre) conduit à des émissions de 130,3 gCO2/km ;
une très forte amélioration (la marge de manœuvre est fort importante) des coefficients aérodynamique (Cx = 0,22, -30%) et de roulement (Cr = 0,009, -25%) porte la réduction à 105,7 gCO2/km ;
une réduction moyenne (-18%) de la surface frontale (2,24 m²) permet d’atteindre 99,8 gCO2/km ;
une première réduction de la masse (respectivement 1040 et 1000 kg pour les voitures diesel et essence, environ -25%) nous amène à 80,5 gCO2/km ;
enfin, une diminution plus notable de la masse (740 et 700 kg, environ -50%) nous mène au terme de ce petit exercice : 64,9 gCO2/km.

3. S’attaquer aux tabous ou renoncer à toute ambition

Les « calculs de coin de table » ci-dessus ne tendent qu’à une chose : établir des ordres de grandeur pour illustrer à quel point une réorientation raisonnable et raisonnée de la conception automobile est porteuse d’améliorations en termes de diminution de la facture énergétique et des émissions de CO2. Il y a 40 ans, la Simca 1000, voiture moyenne pour son époque, pesait 790 kg. Ce que nous pouvions réaliser à l’époque, n’en sommes-nous plus capables ? Pour déplacer 75 kg de chair humaine, sommes-nous vraiment obligés d’utiliser des véhicules d’une tonne et demie, concentrés de haute technologie hyper-équipés capables d’atteindre les 200 km/h quand la vitesse maximale est limitée à 120 km/h sur nos autoroutes ?

En matière d’automobile, l’irrationalité la plus complète règne en maître absolu. Refuser de mettre un terme à cette situation, refuser de parler des tabous de l’automobile, c’est renoncer à toute ambition en matière de réduction des émissions de CO2. Qui, enfin, dans la sphère politique, osera le reconnaître et en tirer les conclusions ?