Biomasse : faut-il vraiment 1,3 milliard pour subsidier des importations ?

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La Wallonie s’apprête à voter un décret qui permettra l’implantation et le soutien à une nouvelle unité centralisé de biomasse solide – vraisemblablement des pellets importés des États-Unis ou du Canada – pour produire de l’électricité. Nous estimons que ce projet devrait être revu et redimensionné à la baisse, tant pour des raisons économiques que environnementales. Les énergies éolienne et solaire, ainsi que la petite biomasse, présentent de meilleurs atouts pour la Wallonie.

Ce texte est la version longue d’une carte blanche parue dans La Libre, ce mercredi 9 mars 2016.

Il y a quelques années, la Flandre s’était lancée dans le soutient aux grandes centrales à la biomasse. Mais l’actuel gouvernement flamand tente de panser les plaies financières générées par ces décisions. Et les incertitudes quant à la viabilité économique du projet de centrale à Langerlo suscitent un débat important sur la pertinence des 2 milliards d’euros de subsides qui pourraient lui être attribués.

En Wallonie aussi, la biomasse est trop chère : la centrale des Awirs n’était plus rentable et n’a pu maintenir son activité que par une perfusion accrue de certificats verts depuis 2015.

Des subsides qui partent à l’étranger, avec un impact négatif pour l’environnement et le climat

Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 1.028.160 de certificats verts, équivalant à 66,8 millions d’euros, que le gouvernement wallon s’apprête à octroyer chaque année pendant 20 ans pour la nouvelle centrale biomasse. Plus de 1,33 milliard d’euros au total, dont la majeure partie partira à l’étranger pour financer l’importation du combustible.

Selon les projections du Gouvernement, ce projet pourrait mener à une multiplication par 8 des importations de biomasse pour notre production d’électricité d’ici 2030. Or la Belgique est déjà l’un des plus gros importateurs mondiaux de pellets, avec le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark. Cette utilisation à large échelle de biomasse, qui ne tient pas compte des facteurs limitants des territoires à produire de la biomasse de manière durable, a des conséquences néfastes : compétition entre usages, surexploitation forestière, perte de biodiversité, impacts sur le sol et l’eau, changements d’affectation des sols et accaparements de terres…

A cela s’ajoute le fait que la comptabilité CO2 officielle de la biomasse est dramatiquement lacunaire : seul le CO2 nécessaire pour la production, le transport et le traitement de la biomasse est pris en compte. En se basant sur l’hypothèse erronée de neutralité carbone, la comptabilité officielle suppose par contre que le CO2 émis lors de la combustion de biomasse peut être ignoré : la fumée sort de la cheminée, le CO2 se retrouve dans l’atmosphère mais n’est pas comptabilisé… L’idée est que ce CO2 sera à nouveau capté par la croissance de nouveaux végétaux, et que comme il s’agit d’un cycle, le bilan est nul. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’il faut du temps – souvent plusieurs décennies – pour que les nouveaux arbres re-stockent le CO2 émis lors de la combustion. Et que dans de nombreux cas de biomasse importée, l’exploitation forestière n’est pas durable et ne garantit pas que cette captation future aura réellement lieu un jour.

Cette erreur de comptabilité n’est pas anodine. Au niveau belge, les émissions liées à la combustion de biomasse représentaient en 2013 pas moins de 12,8 millions de tonnes de CO2eq, ce qui correspond à 13 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la Belgique ! Et à l’heure actuelle, ces émissions réelles restent ignorées du bilan de nos centrales biomasse[[Nous utilisons ici les chiffres de l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre transmis par la Belgique à l’ONU. Les émissions de la biomasse y sont mentionnées à titre informatif (« Memo Items »), mais ne figurent pas dans le total belge. L’erreur de comptabilité carbone de la biomasse-énergie est analysée en plus grand détail ici : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3617913/]].

Les préoccupations sur le bilan CO2 de la biomasse, mais aussi sur la durabilité des importations, notamment nord-américaines, ont poussé la Commission européenne à mener plusieurs études, actuellement en cours, et qui devront informer la législation européenne sur la biomasse-énergie après 2020 qui est attendue d’ici quelques mois. Un argument de plus pour attendre…

Une utilisation raisonnée et plus locale sera plus durable, meilleure pour l’économie et l’emploi

Par ailleurs, le cluster Tweed a mis en évidence le fait que la filière biomasse électrique est peu créatrice d’emplois wallons comparativement à la filière du photovoltaïque notamment, avec un rapport de 1 à 10[ [Impacts micro et macroéconomique des énergies renouvelables en Wallonie, Avril 2014.]]. S’il est par contre un secteur dynamique et qui peut contribuer à développer des projets de biomasse de taille plus raisonnable, avec un approvisionnement local et de la création d’emplois non-délocalisables, c’est bien celui du Bois-énergie en Wallonie qui développe des projets de cogénération sur des territoires plus petits tels que les communes, dans des infrastructures hospitalières, sportives, etc. D’une part leur rendement est meilleur mais ces projets se basent aussi sur des ressources locales et durables à l’échelle de la Wallonie voire d’un territoire plus grand mais qui ne dépasse pas les frontières de la Belgique. Bref, une utilisation raisonnée de nos ressources.

La transition vers un système énergétique basé sur les énergies renouvelables est indispensable. Des études[ [Our Energy Future, publié en 2014 par Greenpeace, WWF et BBL.]] ont montré qu’il est possible que la Belgique soit un territoire fourni à 100 % en énergies renouvelables à l’horizon 2050 avec un recours raisonnable et limité à la biomasse. Pour y arriver, il faudra s’appuyer sur le solaire et l’éolien, qui sont non seulement plus durables et moins chers[ [Les limites de la biomasse en Belgique, publié en décembre 2015 par IEW, Greenpeace, WWF et BBL.]], mais nous garantissent aussi une plus grande autonomie énergétique et de bien meilleures retombées pour l’économie wallonne. Pesons bien nos choix…

Signataires :
Juliette Boulet (Greenpeace), Noé Lecocq (Inter-Environnement-Wallonie), Brigitte Gloire (OxfamSolidarité), Sara Van Dyck (Bond Beter Leefmilieu), Manuel Eggen (FIAN) Olivier Beys (WWF), Stéphane Desgain (CNCD11.11.11)