Bruit routier : une bien discrète consultation des riverains…

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La Wallonie a mis en ligne une consultation publique relative à son plan d’action de lutte contre le bruit routier. Cette consultation, qui se clôture le 05 novembre 2018, entend répondre à l’une des obligations de la directive européenne qui balise la manière dont les Etats-membres doivent évaluer et gérer le bruit dans l’environnement. Petite analyse et suggestions à celles et ceux qui voudraient et pourraient y répondre.

La directive européenne 2002/49/CE « relative à l’évaluation et à la gestion du bruit dans l’environnement » définit les obligations des Etat-membres en matière de lutte contre le bruit dans l’environnement, avec un focus sur les bruits émis par les moyens de transport. Les Etats doivent notamment :

  • établir des cartes de bruit pour les grandes agglomérations, les grands aéroports et les grands axes routiers et ferroviaires (définis dans la directive) ;
  • établir les plans d’action visant à gérer les problèmes de bruit et ses effets (les aéroports ne sont pas visés par les plans d’action) ;
  • consulter le public sur les propositions relatives aux plans d’action ;
  • informer le public (les informations devant être « claires, compréhensibles et accessibles »).

Est-ce parce que le bruit est une nuisance largement tolérée voire valorisée dans nos sociétés (certains amateurs éclairés ont les larmes aux yeux lorsqu’ils évoquent certains « beaux » bruits de moteur dont l’audition répétée leur a pourtant endommagé l’ouie) ? Toujours est-il que la mise en œuvre de cette directive est particulièrement laborieuse, beaucoup d’Etats-membres ne respectant pas les délais imposés. La Wallonie fait partie du peloton. Pour se limiter au bruit routier :

  • la cartographie pour les axes routiers totalisant plus de 3 millions de passages de véhicules par an aurait dû être terminée pour le 30 juin 2012 – la cartographie wallonne a été publiée en 2016 ;
  • les plans d’action correspondants auraient dû être établis pour le 18 juillet 2013 – c’est au projet de plan wallon qu’est relative la consultation dont il est question ici.

La consultation riveraine : un nouveau concept ?

Le titre de la consultation mise en place par la Wallonie est pour le moins surprenant : « Consultation publique auprès de la population riveraine du réseau routier dans le cadre des cartographies acoustiques réalisées en Région wallonne et du plan d’actions de lutte contre le bruit routier en Wallonie ». Le concept de « population riveraine » interpelle tout qui est familier des enquêtes publiques relatives aux études d’incidences, permis d’urbanisme et autres permis d’environnement qui, si elles ciblent en priorité les populations riveraines des projets ou activités visés, sont ouvertes à tout qui veut émettre un avis. Rien de tel ici. Celles/ceux qui n’auraient pas compris ce que le titre de la présente consultation laisse nettement entendre seront vite remis dans le droit chemin par ces trois mises en garde :
-* « vous êtes concerné(e) par cette enquête publique si vous habitez/vivez sur ou à proximité de ces axes [ceux sur lesquels on comptabilise plus de 3 millions de passages de véhicules par an] » ;


  • « si votre commune n’est pas dans la liste des communes concernées, c’est que vous n’êtes pas concerné par la consultation » ;
  • « votre participation à cette enquête est motivée par la présence d’un (ou plusieurs) axe(s) routier(s) régiona(l)(aux) situé(s) à proximité de l’immeuble dont l’adresse [que les répondants doivent fournir] est mentionnée ci-dessus ».

Le phénomène NIMBY (not in my backyard : pas dans mon jardin) est régulièrement évoqué par des porteurs de projet controversés pour discréditer les mobilisations citoyennes. Dans le cas présent, on pourrait au contraire presque dire que le NIMBY est encouragé : sont exclues de la consultation toutes les personnes qui, n’habitant pas à proximité des grands axes routiers, ne pourraient pas être taxés de « nimbyiste ».

La présente consultation s’inscrit conformément au Code de l’environnement. Or, l’article D.6 17° définit la notion de public de la manière suivante : « public : une ou plusieurs personnes physiques ou morales, ainsi que les associations, organisations et groupes rassemblant ces personnes ». La limitation de la consultation aux seuls riverains, qui n’est nullement évoquée dans la directive européenne, est donc pour le moins surprenante.

Sur quoi consulte-t-on ?

Il convient avant toute chose de souligner que le site de la consultation fournit les informations nécessaires pour acquérir les connaissances de base permettant de bien appréhender le problème. Le résumé non technique comprend même six pages fort didactiques d’informations générales sur l’acoustique.

Ceci étant, on peut se demander dans quelle mesure ces informations sont réellement nécessaires pour répondre à la consultation, laquelle comprend 4 parties :

  1. la caractérisation de l’immeuble concerné ;
  2. la perception du bruit par la personne qui répond à l’enquête ;
  3. son avis sur les cartographies du bruit et le plan d’action, avis recueilli à travers deux questions spécifiques : l’une relative au degré d’accord (ou non) avec neuf affirmations assez généralistes, l’autre relative au niveau d’efficacité de trois types de solutions ;
  4. l’impact du plan d’action sur sa situation personnelle.

C’est donc peut-être plus à une enquête de terrain visant à recueillir des expériences de vie que s’apparente cette consultation qu’à une enquête publique au sens classique du terme.

La Wallonie peut-elle résoudre le problème du bruit routier ?

La consultation n’aborde guère la délicate question de l’adéquation entre les moyens budgétaires dont dispose la Wallonie et ceux qui seraient nécessaires pour s’assurer que nul n’est plus soumis à des niveaux de bruit routier supérieurs aux seuils définis au niveau régional[Seuils définis dans l’arrêté du gouvernement wallon du 22 décembre 2016]], soit 70 dB(A) pour l’indicateur « jour-soir-nuit » Lden et 60 dB(A) pour l’indicateur « nuit » Lnight[[Pour la définition de ces indicateurs et quantité d’autres renseignements précieux, nous renvoyons à : Xhonneux V. 2010. Sources et impacts sanitaires du bruit lié aux transports. Namur : Inter-Environnement Wallonie – document téléchargeable ici : [https://www.canopea.be/le-bruit-des-transports-un-probleme]].

Cette question est pourtant centrale et mérite une petite mise en perspective. Un document est particulièrement éclairant à ce propos : les Notes stratégiques publiées en juin 2015 par la DGO1 du SPW. Dans un souci de concision, nous en reproduirons juste ici un extrait : « Il ressort également de l’analyse budgétaire réalisée qu’un minimum de 30 millions d’euros par an pendant vingt ans est nécessaire afin de mettre en place une gestion du problème des nuisances sonores. Ce montant pourrait éventuellement être obtenu sous la forme d’un emprunt avec des conséquences négatives sur la dette de la Région wallonne. Cependant, d’autres modes de financement pourraient être envisagés par les autorités compétentes afin de doter enfin la Wallonie d’une vraie politique de gestion du bruit dans l’environnement. »

Cet extrait acquiert toute sa signification lorsqu’on le compare à celui-ci, issu du tout petit paragraphe consacré au cadre budgétaire dans le Plan d’actions de lutte contre le bruit routier (p. 19) : « Dans le cadre du Plan « Infrastructures » 2016-2019, un montant de 10 millions d’euros a été alloué à la gestion du bruit routier. » 10 millions sur 4 ans alors que l’analyse réalisée par la DGO1 dans ses Notes stratégiques établit qu’il en faudrait 30 par an (soit 120 sur les 4 premières années de la période de 20 ans évoquée par la DGO1).

Le budget disponible est donc 12 fois plus faible que le budget nécessaire. Dans ces conditions, l’administration wallonne a réalisé un travail d’objectivation et de priorisation des besoins de grande qualité. Cela ne peut hélas empêcher le plan d’actions d’avoir un petit air désespérément dérisoire.

Démission et impuissance

Réduire le bruit auquel sont exposées les personnes est toujours plus efficace lorsqu’on s’attaque directement à la source de ce bruit. Et la source, en l’occurrence, ce sont les véhicules routiers. Lorsque l’on connaît l’historique d’adoption des normes de bruit des véhicules[Résumé succinctement dans [ce document qui présente la proposition initiale faite par la Commission européenne en 2011 et la législation finalement adoptée en 2014]], on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec le problème des oxydes d’azote (NOX). Les Etats-membres européens éprouvent de grandes difficultés à respecter les plafonds d’émissions nationaux de NOX fixés par la législation européenne notamment du fait que les constructeurs automobiles ne respectent pas les normes d’émissions qui s’appliquent aux véhicules qu’ils commercialisent (cfr dieselgate).

Dans un cas comme dans l’autre, les Etats participent au processus législatif européen dans lequel le Conseil, où ils siègent, joue un rôle central (c’est la raison pour laquelle les constructeurs concentrent généralement leurs forces sur les pays particulièrement sensibles à leur plaidoyer et influents au sein du Conseil, dont le principal est l’Allemagne). Ainsi donc, dans le cas du bruit comme dans le cas des oxydes d’azote, les Etats se retrouvent prisonniers des constructeurs automobiles qui ont réussi à affaiblir la portée de la législation grâce à la complicité … des Etats ! Bref, une démission au moment de légiférer se traduit en souffrances pour la population et en impossibilité matérielle de gérer la situation comme il se devrait.

Que conclure de tout ceci ?

  • Que l’administration wallonne a réalisé (directement ou en sous-traitance) un travail de cartographie et d’objectivation des besoins de grande qualité en matière de lutte contre le bruit routier.
  • Que « une vraie politique de gestion du bruit dans l’environnement » pour reprendre les termes des notes stratégiques de la DGO1 est impossible à mettre en place dans le contexte budgétaire actuel.
  • Que dès lors le travail de l’administration n’aura pas beaucoup de retombées concrètes…
  • Que sur ce plan comme sur celui de la pollution atmosphérique et des émissions de CO2 le plaidoyer nuisible de l’industrie automobile contraint les Etats membres à l’impuissance.
  • Et que, dans ces conditions, un travail de priorisation budgétaire est indispensable : il n’est pas raisonnable d’encore entreprendre de coûteux travaux d’accroissement des capacités du réseau (auto)routier – qui, par ailleurs, sont à l’exact opposé de ce qu’il conviendrait de faire pour décarboner d’urgence nos sociétés comme nous y encourage le GIEC.

C’est peut-être dans le rappel de ce dernier point que réside la plus-value de la participation des riverains à la consultation en cours : « pour nous donner de la tranquillité, donnez-vous les moyens – et arrêtez de les consacrer à des projets d’un autre âge. »