Déchets : l’homme est par nature un cochon !

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Au cours des siècles et jusqu’à nos jours, ce n’est ni la qualité de l’environnement, ni la salubrité, ni les réglementations qui nous ont invité à revoir nos comportements en matière de déchets. Ce sont les contrôles et sanctions, les conditions socio-économiques et l’inventivité. L’homme est par nature un cochon. Mais, ne dit-on pas : dans le cochon, tout est bon ?

Source principale : Histoire des hommes et de leurs ordures. Du moyen âge à nos jours. Catherine de Silguy. Le cherche midi ; 2009[[Livre très intéressant pour qui veut avoir une vue générale mais néanmoins précise des déchets: collecte et traitement]].

Les hommes préhistoriques jetaient leurs restes de nourriture à l’endroit même où ils mangeaient. Ces détritus (restes de matières organiques) se décomposaient naturellement ou étaient mangés par d’autres espèces. Et quand les abris étaient trop encombrés (y compris de résidus minéraux de la taille de pierres), les hommes-nomades déménageaient.

Dans l’Antiquité, les grecs inventent les toilettes publiques. A Rome, des fosses sont creusées en dehors de la ville où les habitants déposent leurs ordures et les restes d’animaux sacrifiés.

1000 ans de villes sales

Vers l’an 1000, les hommes commencent à se regrouper dans des villes. Il y a de plus en plus de monde ; les ordures[[Ordure : mot dérivé de l’ancien français « ord »= sale, XII siècle, du latin horridus]] s’accumulent. Les habitants jettent leurs restes, excréments, carcasses d’animaux dans la rue ou les rivières. Les rues sont boueuses, sales et malodorantes. En 1185, ne pouvant plus supporter ces effluves putrides, Philippe Auguste ordonne de paver les rues principales de Paris. Il crée des canaux et fossés centraux pour nettoyer certains quartiers en permettant l’écoulement des gadoues.

Au XIIIème siècle, il existe des règlements pour remédier au manque d’hygiène : paver les rues, nettoyer une fois par semaine devant sa maison et ne pas laisser traîner les ordures. Mais ils sont peu respectés. De nombreuses maisons ont des lieux d’aisance placés au grenier ; l’évacuation se faisant par des gargouilles directement dans le ruisseau au milieu de la rue.

En 1343, Charles V construit des fossés d’évacuation couverts pour éviter les odeurs (les « égouts »). Mais malgré cela les gens ne respectent pas les règlements. Ils refusent de porter les immondices aux endroits prévus et continuent à polluer la Seine ce qui entraîne des épidémies de peste (la Peste Noire de 1347 fit des millions de morts en Europe). A cette époque, les gens pensent que c’est l’odeur des déchets qui les rend malades (médecine aériste).

A la Renaissance ( XV et XVIème), les excréments sont toujours jetés dans les rues qui ne sont pas toutes pavées. Les rues sont toujours couvertes de boue puante récoltée par les boueurs. Les agriculteurs utilisent ces boues pour fertiliser leurs champs. Les déchets parisiens sont toujours déversés dans la Seine qui devient un véritable égout. La population ne respecte pas les initiatives de Louis XII et François 1er qui font nettoyer les rues, prescrivent des paniers pour éviter le tas en vrac de déchets[[Déchet : mot apparu au XVI siècle ; provient du verbe « déchoir » = perdre de sa valeur]] dans les rues. Il y a de nouvelles épidémies entre 1500 et 1530 (Peste de 1522). Une taxe « des boues et des lanternes » est même instaurée pour « purger les rues des indésirables qui profitent de la nuit pour perpétrer leurs crimes » et pour payer un service d’enlèvement des boues. Mais face au tollé général, cette ordonnance royale tombe vite dans l’oubli.

Incurie tenace des urbains

En 1531, une nouvelle ordonnance impose que toutes les maisons soient dotées de fosses et on interdit l’élevage de cochons, oiseaux, lapins, pigeons dans Paris. Vers 1550, Henri II tente de faire établir un relevé des égouts pour les nettoyer mais il est impossible de les repérer. Il impose le nettoyage fréquent des rues et la construction d’une fosse dans chaque maison. Mais ces fosses sont souvent poreuses ou fissurées et laissent échapper les matières dans les puits voisins.
Cette série de décrets impressionne peu les habitants et en 1553, le Parlement doit encore leur défendre de jeter les immondices par les fenêtres et fait condamner toute personne pour avoir jeté ses déchets dans la rivière.

Au XVIIème, les petites gens récupèrent les vieux vêtements, les chiffons, les os d’animaux, les cheveux, les métaux… On les appelle les chiffonniers. Ce sont les premiers réutilisateurs-recycleurs. Ils survivront en force dans nos contrées jusqu’à l’aube de la deuxième guerre mondiale.
Sous Louis XIV, enfin, la situation commence à s’améliorer parce que la police taxe lourdement les gens qui ne respectent pas la loi !

A la fin du XVIIIème siècle, les excréments humains doivent être retenus dans des fosses situées sous les maisons. Les fosses, une fois pleines, sont vidangées et leur contenu est transporté hors de la ville par les agriculteurs. La rue ne cesse d’être un dépotoir public, et certains vident encore tous les matins leur pot de chambre par la fenêtre ! Un ruisseau coule constamment au milieu de la chaussée, parfois si grossi par les pluies qu’il faut le traverser à l’aide d’une passerelle volante. « Adieu ville de boue » déclare Rousseau en abandonnant Paris, trop puante.

Au XIXème ; les réseaux d’eau potable et de tout-à-l’égout font alors, peu à peu, leur apparition. Les égoutiers enlèvent les boues. On aménage les voies pour qu’elles soient nettoyées facilement et le ruisseau central est rejeté sur les côtés de la chaussée (caniveaux). Mais l’incurie des habitants est tenace et la saleté reste omniprésente dans les agglomérations.

En 1870 Louis Pasteur mis en évidence le lien entre l’hygiène et la santé.

En 1883, Eugène Poubelle ordonne le dépôt des déchets dans des récipients spéciaux munis d’un couvercle pour que les ordures ménagères soient déposées devant les portes, sans être éparpillées dans la rue avant leur ramassage. Trois récipients étaient obligatoires : un pour les matières putrescibles, un pour les papiers et chiffons et un pour les débris de vaisselles et coquilles d’huîtres. Les chiffonniers récupèrent toujours les papiers, chiffons, os, boîtes de conserve et autres ferrailles. La gadoue retriée manuellement est ensuite broyée et transformée en engrais.
Des restaurants, cantines, casernes, nourrissent des cochons de leurs restes (« eaux grasses »). Cette connivence avec les cochons existe depuis des millénaires, depuis la Chine ancienne, les égyptiens et jusqu’en Europe médiévale: homme et cochons ont été soumis aux même lois. Dans les villes d’Amérique du Nord, les cochons se sont d’ailleurs multipliés avec l’arrivée massive des irlandais qui perpétuaient leurs traditions européennes. Leur élevage constituait un bon business (viande et os). La « guerres des porcs » à New York mis cependant fin à cette connivence et ce partage de l’espace public porc-homme.

De la révolution industrielle aux crises : tout s’accélère !

Même si la collecte municipale des déchets ménagers s’est peu à peu développée dès la fin du XIXe siècle dans les grands centres urbains, elle est restée pratiquement inexistante dans les communes rurales qui maintiennent un lien plus naturel avec les éléments. De façon générale, le cycle de production-consommation-élimination s’accélère. La masse des déchets croit de façon exponentielle tant au niveau des ménages que des industries florissantes. La pensée dominante s’exprime par le mécanisme « produire pour consommer – consommer pour produire » qui favorise le progrès technologique et le dynamisme industriel.
Lorsque les villes se dilatent pour faire face à la poussée démographique, elles annexent les territoires alentours avec les tas d’ordures des générations précédentes. De nouveaux quartiers, aéroports, zones de loisir sont construits sur des volumes historiques d’ordures de toute sorte accumulées aux cours des temps (New York, Tokyo, Singapour, Toronto…).

Mais la valeur accordée aux déchets varie fortement avec le contexte économique et social. En temps de pénurie, on les dorlote, recycle, valorise… on en vient à parler de « matières premières secondaires ou sources d’énergie renouvelable » tandis que dans les périodes d’opulence on les enfouit loin de notre vue et on les élimine.

Des « déchéticiens » et « ordurocrates » ont permis de trouver des filières de traitement, de recyclage et de valorisation de plus en plus performantes au vu des flux croissants de déchets de plus en plus variés et complexes. Le secteur s’est développé au niveau professionnel et technique. La gestion des déchets qui jusqu’aux années 70 ne faisait pas l’objet d’une réglementation nationale et rigoureuse s’est dotée d’un cadre réglementaire (très !) complexe.

Malgré lui, ce professionnalisme a abouti à un « âge d’or » des ordures et de la consommation de masse en mettant à disposition des solutions « propres » camouflant les gaspillages et la surconsommation. De façon paradoxale, le développement de ces filières d’évacuation des déchets, encourage leur prolifération. La déresponsabilisation du citoyen, favorise sa tendance à se débarrasser sans scrupule de ses restes. Cependant, une pénurie d’exutoires se profile avec l’urbanisation croissante et le refus de la population de voir des installations de traitement/élimination s’installer près de chez eux.

Alors, quoi ? La débrouille, l’ingéniosité, l’imagination sont-elles suffisantes ? Ou faut-il serrer la visse, sanctionner, oser remettre en question nos modes de production et de consommation. L’histoire est claire : cochons nous sommes et nous resterons. Mais comme disait Sartre : « l’important n’est pas ce que l’histoire a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que l’histoire a fait de nous ».

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Extrait de nIEWs (n°70, du 25/2 au 11/3)

la Lettre d’information de la Fédération.

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