Directive cadre eau : selon la Cour des comptes, des mesures agricoles trop peu ciblées et aux impacts limités (2/2)

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Les mesures des PGDH pèchent par leur manque d’ambition, particulièrement en matière agricole. La Cour des comptes confirme non seulement la faible pertinence des mesures adoptées par le Gouvernement pour cibler les pollutions d’origine agricoles, mais encore un manque de volonté politique à mobiliser les moyens pour agir efficacement.

Dans un [premier article, nous commentions certains constats de la Cour des comptes relatifs à la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau (DCE) en Wallonie. Nous développons ici un deuxième aspect critiqué dans le rapport de la Cour, à savoir l’inadéquation des mesures proposées par les Plans de gestion par districts hydrographiques (PGDH) au regard des pollutions engendrées par le secteur agricole, ce qu’IEW avait également critiqué dans sa réponse à l’enquête publique sur ces mêmes plans.]

Si les 1ers PGDH ne présentaient malheureusement pas le calcul de « l’effort » que chaque secteur d’activité devait fournir pour réduire les pressions qu’il exerce sur les masses d’eau, divers scénarios proposaient des mesures plus ou moins ambitieuses au regard des impacts générés par ces différents secteurs. Cependant, au final, les mesures ciblant les pollutions agricoles ont été adoptées en version « light », c’est à dire dépendant de démarches volontaires et plus axées sur la sensibilisation que l’obligation alors que des mesures plus efficaces telle l’installation de bandes enherbées le long des cours d’eau avaient été proposées par l’administration. Dans son évaluation des premiers plans de gestion[Rapport relatif à la mise en œuvre des plans de gestion de bassins hydrographiques prévus par la directive-cadre sur l’eau Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil [http://ec.europa.eu/environment/water/water-framework/pdf/4th_report/MS%20Annex%20-%20Belgium_fr.pdf ]], la Commission européenne n’a d’ailleurs pas manqué de souligner le manque d’initiative de la Wallonie face à ce problème, jugeant que la seule mise en œuvre des mesures relatives à la directive « nitrates » était insuffisante pour lutter contre les pressions d’origine agricole et permettre l’établissement de conditions plus strictes afin de concourir aux objectifs de la DCE. La Commission pointait la nécessité non seulement de veiller à ce que les mesures de base tel le Programme de Gestion Durable de l’Azote (PGDA) soient renforcées et mieux contrôlées, mais encore de « définir clairement des mesures supplémentaires nécessaires pour combler l’écart avec le bon état et indiquer leur source de financement ».

Mais la Wallonie fait la sourde oreille. Dans les 2èmes PGDH, il faut encore déplorer le caractère insuffisant des mesures agricoles pour répondre aux problèmes de pollutions diffuses détectés au niveau de nombreuses masses d’eau de surface et souterraine, l’absence d’approche ciblée qui permettrait une allocation optimale des moyens…

Dans son analyse, la Cour des comptes pointe du doigt une méthodologie critiquable pour évaluer l’impact financier des mesures pour le secteur agricole et une volonté d’épargner celui-ci. Premièrement, le seuil de disproportion des coûts pour le secteur est plus vite atteint vu le choix méthodologique de ne pas rapporter les coûts des mesures à l’ensemble des agriculteurs.

Deuxièmement, quand bien même on admet le choix de fixer à 2% le seuil de disproportion, sans marge d’appréciation, on s’étonne de ne pas voir imposer au secteur ne fut ce qu’une contribution qui correspondrait au plafond qu’il peut supporter annuellement. Pourquoi en outre, la Région ne choisit-elle pas d’étaler la mise en œuvre (et les coûts qui y sont liés) de mesures plus ambitieuses sur plusieurs cycles de PGDH puisqu’il est avéré que le bon état ne sera pas atteinte en 2021 ?

En outre, la Cour des comptes réaffirme le manque de pertinence et de cohérence dans l’application de certaines mesures. Ainsi si certaines mesures agro-environnementales (MAE) peuvent être efficaces pour lutter contre les pollutions agricoles (cultures pièges à nitrates, tournières enherbées, …) et étaient présentées comme mesures phares pour protéger les eaux dans les PGDH1, elles n’ont pas vu leur budget augmenter, ni leur attractivité renforcée. De plus, le moratoire sur certaines mesures en 2013 et 2014 a entrainé une chute du nombre d’agriculteurs introduisant une demande de subsides MAE. Par ailleurs, en complément des dispositions prévues par le plan wallon de développement rural (PWDR), rien n’a été mis en place via les PGDH pour promouvoir les MAE de manière ciblée dans les zones où l’activité agricole est responsable de la mauvaise qualité des eaux[[En 2013, sur les 33 masses d’eau souterraine que compte la Wallonie, 13 d’entre-elles sont classées en mauvais état chimique: 6 dans le district de l’Escaut et 7 dans le district de la Meuse. Les nitrates et/ou les pesticides sont les paramètres déclassants pour 11 masses d’eau souterraine (5 dans le district de l’Escaut , 6 dans le district de la Meuse).]]. La Hesbaye limoneuse et le bassin de l’Escaut ne représentant qu’un faible pourcentage des surfaces MAE en Wallonie alors que c’est dans ces régions que la qualité de l’eau est principalement dégradée par les nitrates et/ou les pesticides.

Dans les PGDH2, même situation, où les mesures ne sont pas davantage ciblées sur les masses d’eau à risque. Ainsi, le scénario « bon état » des PGDH2 proposait une obligation d’installer des bandes enherbées de 6m le long des cours d’eau bordés par des cultures, en ciblant les zones vulnérables et masses d’eau dégradées par l’activité agricole. Le coût de cette mesure a été évalué à 1 298 000€/an avec la possibilité d’un co-financement européen ..Mais la Wallonie a fait le choix de ne pas activer cette aide et s’est contentée d’un « business as usual » par une mesure volontaire d’installation de bande enherbée soumises en 2013 et 2014 à moratoire… , sans objectif spécifique ni budget déterminé. Le risque est bel et bien d’aboutir à de plus faibles longueurs de berges enherbées dans les zones critiques, sans aucune garantie de pérennisation de la mesure qui continuera de dépendre des budget du PwDR alors que le verdissement offrait la possibilité de justifier une telle mesure.
De même, tant les premiers que les seconds PGDH veulent booster l’agriculture bio afin d’éviter les pollutions par les substances chimiques. Encore une fois la mesure adoptée par le Gouvernement ne vise pas une application différenciée selon les masses d’eau alors que le scénario « bon état » détaillait différentes options, notamment une conversion au bio plus ciblée dans les zones où la responsabilité du secteur agricole est engagée dans la non-atteinte du bon état.
D’autres mesures figurant dans le scénario « bon état » ont été profondément modifiées ou sont tout simplement passées à la trappe, notamment :

  • 3 scénarios d’extension de l’interdiction de l’accès du bétail aux cours d’eau, avec l’option 1, la plus light, qui permettait de tout de même de passer de 39% à 53% des berges protégées et qui permettaient de réduire la pression dans les masses d’eau à risque. Au final, le scénario retenu propose de suivre l’interdiction actuelle d’accès et de contrôler cette interdiction.

Même si certaines mesures agricoles sont intéressantes, notamment la conclusion de contrats de captage qui se concentrent sur des zones à risque, il est regrettable que la région se prive de mesures efficaces en voulant épargner un secteur et en adoptant une vision budgétaire court-termiste. Et quand bien même ce rapport de la Cour des comptes arrive alors que les PGDH2 ont été adoptés par le Gouvernement wallon, la région a bel et bien manqué une opportunité. En effet, pour relever le niveau d’ambition en matière agricole, plusieurs éléments étaient sur la table, à savoir dans le scénario « bon état » dont on aurait pu développer des variantes selon la capacité contributive des secteurs. Vraisemblablement il faudra mettre en œuvre des mesures contraignantes pour espérer atteindre le bon état des masses d’eau en 2027 et concentrer les moyens sur un cycle alors qu’ils auraient pu être étalés sur une plus longue période si des mesures plus efficaces avaient été appliquées dès les premiers plans ! La Wallonie a maintenant 5 ans devant elle pour corriger le tir dans le cadre de l’élaboration des PGDH3 et peut néanmoins agir sans tarder notamment via le plan wallon de réduction des pesticides pour appliquer certaines mesures.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire