Engouement pour les agro-carburants, ou l’enfer pavé de bonnes intentions…

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Un constat : les politiques progressent là où il y a le moins de résistance. La preuve par les choix en matière d’energie/mobilité : les agro-carburants font consensus parmi les acteurs économiques et, aveuglément, le politique embraye. Il s’ensuit un engouement irraisonné pour ces énergies dites propres, chaque pays avançant des objectifs plus ambitieux que les autres. Mais, si l’on prend le temps d’analyser les enjeux , l’engouement pourrait rapidement virer au cauchemar… Aujourd’hui les objectifs sont encore sur le papier mais demain, si on les atteint, nécessairement à coup de subventions publiques, les usines d’agro-carburants transformeront « durablement » et en tous cas irrémédiablement les marchés agricoles en les liant au cours du brut. Quid de la sécurité alimentaire dans ce débat ? Absente…

Des objectifs ambitieux

Ainsi, les grands pays exportateurs de produits agricoles se sont tous donnés des ambitions démesurées en matière d’agro-carburants. Ils en arrivent parfois à organiser leur dépendance alimentaire pour s’émanciper un peu de leur insatiable appétit énergétique ! Demain, ni l’Europe ni les Etats-unis n’alimenteront plus le marché mondial avec leurs excédents structurels. Ils deviendront des importateurs net de produits agricoles. Et ce ne sont bien sûr pas les seuls : le Brésil amplifie ses objectifs, l’Argentine, l’Inde et la Chine se lancent aussi dans les agro-carburants. Si Le Brésil et l’Argentine peuvent devenir exportateurs d’agro-carburants l’Inde et la Chine ne veulent être en reste alors même que leur taux d’autosuffisance alimentaire reste inférieur à 1, que la croissance de la productivité suit à peine leur croissance démographique et que respectivement, 20 et 12 %, de leur population souffre de malnutrition…

Une flambée de l’or vert…

Depuis quelques années, on observe que les marchés de l’éthanol (donc du sucre) et du pétrole sont quasiment joints. Dans la foulée, c’est l’Opep et notre soif de brut qui déterminent la valeur de cette production agricole. Mais le sucre n’est qu’un exemple parmi d’autres : au fur à mesure que la transformation de produits agricoles en agro-carburants se développe d’autres marchés agricoles se lient au brut. C’est le cas de l’huile de palme et du colza dont le cours fluctue au rythme du cours du baril… Les usines de diester font le lien entre ces deux marchés. Plus inquiétant : le cours des céréales, dont par exemple le maïs, à la base de l’agroéthanol américain, évolue dans le même sens. Leur prix est clairement à la hausse et cette tendance ne peut que se confirmer.

Vers une pénurie alimentaire…

En Belgique, on produira bientôt presqu’autant d’agro-carburants à partir de céréales que ce que ne peut en produire notre agriculture. Et les nouveaux objectifs Européens en la matière dépassent déjà les volumes des exportations Européennes. Pourtant, les stocks de céréales au niveau mondial sont en baisse depuis plusieurs années consécutives. En cause, les aléas climatiques de ces dernières années, aléas qui, changements climatiques obligent, pourraient devenir récurrent. Le marché mondial des céréales, ce sont quelques grands pays agro-exportateurs (UE, USA, Canada, Brésil, Argentine et Australie) qui le font. Et aujourd’hui, la somme des échanges sur le marché mondial, correspond à plus ou moins 2/3 des objectifs de production d’agro-carburants des seuls USA. Notre soif d’énergie risque donc de s’étancher sur fond de… faim pour beaucoup.

Une absence totale de prospective

L’agriculture, ce n’est pas l’industrie. Il ne suffit pas de doubler la cadence de production ou de démultiplier les usines pour produire davantage. L’agriculture a besoin du sol et est donc limitée par celui-ci : si l’on produit plus de céréales, on produira moins de sucre et inversement. Une évidence qui risque bien de sauter aux yeux, un peu trop tard. C’est évident, demain le prix de notre alimentation se calquera sur les marchés énergétiques. Une liaison dangereuse pour les plus démunis, déjà à l’origine de manifestations au Mexique: la hausse de 30 % en trois ans du prix de la tortilla, aliment de base du pays, et l’augmentation des importations américaines sont à l’origine de manifestations.
Alors que les changements climatiques risquent de perturber fortement la production agricole à travers le monde et que la population mondiale n’en finit de croître, nos gouvernements mettent en place des politiques sans reflexions et sans aucune prospective. En France, une des premières décisions du nouveau président de la république, N. Sarkozy ne fut-elle pas de sacrifier l’équivalent de notre bureau du plan… Confiante, l’Europe n’évalue même pas l’évolution de son autosuffisance alimentaire.

Illustration: site « auboisementcorrect »

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité