Faites sauter la banque!

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Ce n’est pas vraiment un livre, tout juste un opuscule[[“Insolvables! – Lettre d’espoir au monde que j’ai quitté”, Flammarion, Paris 2011. Les citations sont extraites de cet ouvrage.]] égaré parmi les briques aux paginations centenaires du rayon “Questions de société”. Difficile de dire ce qui m’attira vers lui… Son titre au rouge écarlate? Le portrait noir et blanc rendu anonyme qui orne sa couverture? L’accroche en forme d’explication de texte – “Lettre d’espoir au monde que j’ai quitté”? Je l’ignore mais je sais par contre que la quatrième de couverture généra un mélange d’intérêt et de curiosité à l’origine de mon achat.

“Si je ne peux signer cette lettre de mon nom, comme certains d’entre vous me le reprocheront, c’est pour une simple raison: je l’ai perdu, comme tout ce qui faisait ma vie. Exilé à un bout du monde, loin des consommations de nos existences remboursables par petites mensualités, ruiné par les banques, leurs organismes, les arnaqueurs de la grande distribution et le cannibalisme d’un système qui aiguise les appétits pour mieux nous avaler, il ne me reste que ces mots, que nul ne pourra détourner.
J’avais choisi de garder le silence, de rester en douleur avec mes erreurs du passé, atterré de me retrouver là, sur les bords du Mékong, dans une misère que je ne pouvais imaginer. Mais en voyant ces enfants mourir, ces femmes agoniser au labeur, ces vieillards se saouler pour leurs quarante ans, j’ai compris que je ne pouvais plus me taire.
Le capitalisme anonyme, de partout, signe ses infamies: il tue des millions d’humains, il fait de la planète un vivier de clients sans joie, décortiqués par des truands cupides et des élus d’affaires. Si nous ne faisons rien, si nous nous taisons tous, honteux dans nos solitudes complices, l’humanité, asservie et surendettée, ne survivra pas à ce siècle.”

La lecture des 62 pages bien aérées de ce coup de gueule hésitant entre la virulence de la révolte et le morale de la sagesse, me laissa perplexe. L’exercice me paraissait vain, il n’y avait là rien que je ne connaissais – et partageais – déjà; pourtant, dans le même temps, il me semblait avoir un caractère utile et même salutaire. C’est quelques jours plus tard que l’évidence me sauta aux neurones.

A l’occasion de la clôture du projet EXIT CO2 porté par IEW, j’écoutais Frédéric Chomé, fondateur et directeur de la société Factor X spécialisée dans le calcul et la réduction de l’empreinte carbone, mettre en exergue l’impact des investissements financiers sur ladite empreinte lorsque le déclic s’opéra: le mérite d’“Insolvables!” est d’attirer notre attention sur le rôle moteur du système bancaire dans le monde tel qu’il va, un rôle capital et pas très reluisant auquel nous contribuons tous, fut-ce à l’insu de notre plein gré. Car bien que nous préférions souvent l’occulter voire la nier, la réalité est implacable: l’argent que nous plaçons en banque sert à financer des activités économiques pas toujours – et même pas souvent – vertueuses, tant du point de vue environnemental que social. Et au-delà de notre (éventuelle) épargne, les prêts que nous contractons et les intérêts que nous payons participent à cette mécanique infernale de financement de la production et de la consommation.

Cette reponsabilté et, in fine, cette culpabilité indirectes des “clients des banques” que nous sommes tous méritent d’être rappelées et, s’il peut parfois énerver par son style grandiloquent, l’anonyme auteur sait le faire en interpellant nos contradictions et en grattant là où ça fait mal.

“Nous sommes tous les complices infantilisés de cette pornographie financière, de cette machination, je l’ai dit, de cette hypocrise, car à toutes les étapes de notre existence, dans tous les secteurs de notre vie, nous tombons dans les pièges les plus basiques, ceux qui excitent notre amour-propre, mais qui ne l’est en rien, ceux qui valorisent notre aspiration au bien-être, ce produit phare qui ne s’éteint jamais et nous mène au naufrage, ceux qui nous poussent à acquérir et à posséder toujours plus pour satisfaire des désirs fabriqués et imaginaires – avec l’aide bien sûr, quand c’est encore possible, de crédits bancaires innovants –, ces pièges où l’on emprunte pour rester endormi, prolonger de quelques mois encore, ou de quelques années, un mirage de nous-même et de la réussite, anesthésié par tous les marchands d’artifices qui nous mettent sans tarder, sans compassion pour nos naïvetés et l’issue délétère de leurs ignominies, au caniveau de mort. Nous tombons aveuglés, impatients, dans tous ces pièges énormes et monstrueux qui enflamment nos vieux instincts, nos besoins de sécurité et de consolation, de séduction et de pouvoir, nos rêves de vie que nos salaires bafoués ne nous permettent pas…”

Curieusement, alors que les sommations à poser “un geste pour la Planète” font aujourd’hui partie de notre quotidien, que nous sommes invités à revoir nos habitudes et comportements afin de “préserver l’avenir de la biodiversité et des générations futures”, que l’on nous presse à changer nos ampoules, notre voiture, notre alimentation, notre énergie, etc. pour passer au vert, “on” nous laisse dans l’ignorance de l’arme que constitue le choix de notre banque et, au-delà, l’usage de notre pouvoir financier.

Bien sûr, il y eut le coup médiatique d’Eric Cantona invitant à retirer massivement son épargne un jour J à l’heure H afin de faire s’effondrer le système mais, hormis quelques faiseurs de buzz, personne ne le prit au sérieux. Ce n’était, de fait, qu’une saillie un brin populiste et un tantinet démagogique d’une grande gueule sympathique et sans doute sincère mais sans légitimité sur le sujet.

Un tel appel n’a de sens et de poids qu’accompagné d’explications détaillées sur ses motivations et d’alternatives crédibles permettant de mettre en place un contre-pouvoir capable de s’opposer efficacement à celui que l’on combat. Et cela ne relève pas du fantasme militant.

Une récente étude française[Utopies/Les Amis de la Terre – Pour en savoir plus: [www.epargneclimat.fr ]] s’est intéressée à l’impact en terme de CO2 d’un euro placé dans différentes banques, impact consécutif à l’utilisation qui est faite de cet argent.
Si vous optez pour le Groupe Crédit Agricole, votre argent sera source de 1.070 grammes de CO2; à l’opposé, confié à la NEF (Société coopérative de finances solidaires), il n’en génèrera que 200 grammes. La NEF ne représente malheureusement qu’un dix-millième de la masse financière traitée par BNP-Paribas, établissement n°1 en France (et où un euro placé “vaut” 905 gr de CO2).

Imaginez l’espace d’un instant un déplacement massif des fonds placés chez BNP-Paribas, au Crédit Agricole ou dans n’importe quel grand groupe “de la place” vers la NEF et d’autres établissements animés par la même philosophie d’une “économie plus humaine”… Il y aurait là “le pouvoir de dire non”[[Référence à un célèbre slogan publicitaire du Crédit Lyonnais: “Le pouvoir de dire oui!”]] aux options économiques entretenues par ces puissances financières au mépris des enjeux sociaux, éthiques et environnementaux.

Et ce n’est pas la seule prise que nous ayons sur ce pouvoir de l’argent.

“Retirer son argent des banques pour le placer dans des établissement qui, hormis la NEF, minuscule (60 salariés), n’existent pas encore aujourd’hui – n’en déplaise au Crédit coopératif ou aux Caisses régionales du Crédit agricole –, oui, il faudra en passer par là au plus vite, dès que possible, mais surtout, dès à présent, il faut arrêter d’emprunter à ces forgerons de menottes, ces tisserands de camisoles, à ces vendeurs de vents qui nous les font payer au prix de notre liberté d’action et de pensée. Il faut cesser de pactiser avec l’ennemi, avec les ferrailleurs d’un système qui nous condamne tous, de collaborer avec eux aux pires crimes contre l’humanité.”

Rien n’est perdu, tout reste à gagner.

En 2000, s’exprimant devant les salariés de Michelin protestant contre un “dégraissage” – synonyme politiquement correct et éthiquement nauséabond de licenciement – massif alors même que l’entreprise annonçait un bénéfice record, Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait avoué son impuissance et surtout sa résignation à travers un pathétique “L’Etat ne peut pas tout” qui fut sans doute le déclencheur de son échec à l’élection présidentielle de 2002. A l’opposé de ce fatalisme mortifère, il faut être convaincu que les citoyens peuvent tout. “El pueblo unido jamas sara vencido!

Nous avons le pouvoir de faire changer les choses, de choisir notre destin, de décider de la marche du monde. Aussi puissantes soient-elles, les forces politiques et économiques ne peuvent rien face à la volonté de citoyens unis et solidaires. Ces deux conditions sont toutefois loin d’être remplies à l’heure actuelle. C’est pourquoi toute contribution qui, comme ces “Insolvables!”, peut susciter la réflexion et fissurer le consensus consummériste mérite que l’on s’y arrête.

“Mutation moderne et ultime de l’instinct de survie, le capitalisme, en un cannibalisme effréné, un capibalisme insatiable, a transformé l’Homo Sapiens (appellation discréditée) en Homo Capitalis, lui permettant de sévir plus vite et plus fort sur le destin de l’humanité.
L’Homo Capitalis n’est plus un loup pour l’homme, il est une larve mortelle et nécrophage, un virus absolu, protéiforme, qui finira bientôt, très bientôt si nous ne faisons rien, nous les peuples et citoyens du monde, par éteindre l’espèce toute entière, après l’avoir humiliée, violée, torturée et mise en esclavage. (…) Il hiérarchise les êtres en fonction de ce qu’ils ont, de ce qu’ils peuvent rapporter, de ce qu’on peut leur prendre dans l’instant: leurs ressources, leur travail et leur corps. Le bonheur, pour lui, ce n’est pas de respirer et d’être en paix avec le monde, ni même d’y être heureux – il ne sait pas ce que c’est –, mais de pouvoir s’en payer à tout instant les illusions les plus maccabres comme les vieilllards puants dans les bars de Manille, de Phnom Penh ou d’ailleurs qui rajoutent un billet quand la jeunesse rechigne. »

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, noubliez pas: “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)

Extrait de nIEWs 92, (26 mai au 09 juin 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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