Histoire d’un imbroglio juridique

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Société
  • Temps de lecture :6 min de lecture

Récemment, la presse(1) s’est faite l’écho des conséquences liées au vide juridique causé par l’annulation des dispositions qui organisent l’évaluation des incidences sur l’environnement par la Cour d’arbitrage(2) : un permis d’urbanisme relatif à une antenne GSM a été annulé par le Conseil d’Etat, compte tenu de l’absence de dispositions appelées à remplacer celles qui ont été annulées par la Cour.

Que s’est-il passé ?

IEW a introduit un premier recours contre le décret du 15 mai 2003 qui modifiait le décret wallon du 11 septembre 1985 et mettait en en place un triptyque comme base du système de l’évaluation des incidences sur l’environnement. Il y avait trois possibilités d’évaluer les éventuelles incidences d’un projet, mais cela de trois manières différentes :

* une étude d’incidences était requise pour les projets qui sont repris dans la liste fermée et qui sont présumés avoir des incidences notables sur l’environnement ;
* une notice d’incidences accompagnée de formalités procédurales étaitrequise pour les projets non repris dans la liste fermée mais qui sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ;
* une notice d’incidences était requise pour tous les autres projets.

Ce que nous reprochions c’était donc bien de traiter différemment des projets qui appartenaient à une même catégorie, c’est-à-dire la catégorie des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Selon nous, ces projets devaient suivre le même cheminement et être soumis à la même procédure, à savoir : consultation préalable du public, étude d’incidences réalisée par un auteur agréé, etc. Par un arrêt n°11/2005 du 19 janvier 2005(3), la Cour d’arbitrage donne raison à Inter-Environnement Wallonie. Toutefois, la Cour a maintenu les effets des dispositions annulées jusqu’au 31 décembre 2005 et ce « Pour éviter l’insécurité juridique qui naîtrait du caractère rétroactif de l’annulation, notamment à l’égard des personnes qui ont introduit une demande de permis en se fiant à la réglementation critiquée, et afin de permettre au législateur décrétal d’adopter une nouvelle réglementation »(4).

Les dispositions que nous contestions ayant été reprises à l’identique dans le livre Ier du Code de l’environnement, IEW a introduit un deuxième recours en annulation, totalement identique au premier. Sans surprise, la Cour d’arbitrage a prononcé, en date du 27 avril 2005, ce que l’on appelle dans le jargon un arrêt de réponse immédiate(5), dans lequel elle a reproduit mot pour mot l’arrêt du 19 janvier 2005(6). Seulement, cette fois, la Cour d’arbitrage n’a plus aucune raison de maintenir les effets des dispositions attaquées : le Code wallon de l’environnement n’étant lui-même pas encore entré en vigueur, elles ne produisent aucun effet juridique !

Mais voilà qu’entre les deux arrêts de la Cour d’arbitrage, le Gouvernement wallon fait entrer en vigueur le Code de l’environnement, avec prise d’effet au 4 mai 2005.

Le résultat ?

Les dispositions du décret du 15 mai 2003, annulées par le premier arrêt de la cour d’arbitrage, mais dont les effets étaient maintenus jusqu’au 31 décembre 2005, sont abrogées par l’entrée en vigueur du Code de l’environnementà partir du 4 mai 2005(7). Or, les nouvelles dispositions du Livre Ier du Code de l’environnement que cet arrêté met en vigueur n’existent déjà plus ! Elles sont déjà annulées par le deuxième arrêt de la Cour d’arbitrage.

D’où le « vide juridique », mis en évidence très concrètement par le Conseil d’Etat dans un arrêt n°163.214 du 5 octobre 2006(8) à propos d’un permis d’urbanisme relatif à un pylône qui supporte des antennes GSM : « en vertu de la directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, il incombe au législateur régional de prendre les dispositions requises pour assurer la transposition de cette directive dans le respect des enseignements des arrêts de la Cour d’arbitrage ; que le simple fait qu’une notice d’évaluation des incidences du projet sur l’environnement ait été déposée à l’appui de la demande, en l’absence de base légale et réglementaire, ne peut être pris en considération, en raison notamment de la motivation de l’arrêt de la Cour d’arbitrage no 11/2005 du 19 janvier 2005, reproduite dans l’arrêt no 83/2005 du 27 avril 2005 ; que le moyen est manifestement fondé ».

Partant, toutes les demandes de permis assujetties à la notice d’évaluation et introduites après le 4 mai 2005, présentent une faille. Comme l’explique Mr. Damien Jans(9), soit le permis est déjà délivré et, s’il fait l’objet d’une recours sur le défaut de base légale, risque bien d’être annulé, soit le permis bien que délivré n’a pas été attaqué et est donc tiré d’affaire, soit le permis est encore en cours d’instruction et le plus sage pour l’autorité compétente sera de motiver adéquatement sa décision d’octroi en se référant aux arrêts de la cour d’arbitrage et en se basant directement sur la directive européenne qui impose la réalisation d’une étude d’incidences.

Notes
(1) Voyez notamment les articles parus dans La Libre Belgique du 15 novembre 2006 et dans l’Echo du 17 novembre 2006.
(2) Sur le nouveau décret du 8 novembre 2006, voir l’article d’Annick Vanderpoorten dans cette même nIews.
(3) Consultable sur http://www.arbitrage.be
(4) Voir considérant B.8 de l’arrêt n°11/2005, à propos de l’application de l’article 8, alinéa 2 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage
(5) En application de l’article 72 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 précitée.
(6) Voyez l’arrêt n° 83/2005, consultable sur http://www.arbitrage.be
(7) Date de sa publication au Moniteur belge.
(8) Que l’on peut consulter sur http://www.raadvst-consetat.be
(9) Dans l’article publié dans L’Echo précité.

En savoir plus :
La liste de Lutgen