HUMEUR : F*UCK THE LAW ! (Glyphosate Remix par Emmanuel Macron)

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« Inscrire dans la loi les choses, c’est formidable, mais ce n’est pas la garantie que ça arrive. » C’est par cette formule pleine d’un bon sens lapalissien que Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement français, a tenté d’expliquer (1) le rejet des amendements visant à faire figurer dans la loi « Agriculture et alimentation » en discussion à l’Assemblée nationale l’interdiction du glyphosate à dater de 2021.
Comme on dit dans ma campagne natale, « il n’a pas tort dans ce qu’il dit… ». Il apparaît en effet difficile de contester la pertinence du propos tant les exemples qui le confirment abondent. Je ne citerai que le cas ô combien édifiant de la sortie du nucléaire dont les échéances inscrites dans la loi belge depuis 2003 ont été allègrement ignorées puis modifiées au fil des ans.
Il n’empêche qu’il faut un sacré culot pour oser faire de ce constat un argument censé légitimer le vote négatif des députés. Car si inscrire une mesure dans la loi ne garantit pas qu’elle se concrétisera, il est difficile d’imaginer que ne pas l’inscrire puisse servir davantage sa cause ! C’est pourtant ce que le sieur Griveaux cherche à faire accroire. Pour lui, pas de doute : « l’engagement du Président de la République sur la sortie du glyphosate dans les 3 ans est un engagement clair » et « ce sera fait » (2).

Une reculade assumée sur ce point entacherait, il est vrai, la crédibilité et l’image volontariste du Président jupitérien. En novembre 2017, Emmanuel Macron s’était en effet démarqué du compromis des Etats européens autorisant pour cinq années supplémentaires l’herbicide le plus controversé de la planète. Son tweet matamoresque sous hashtag MakeOurPlanetGreatAgain exprimait haut et fort sa volonté de ne pas se soumettre au calendrier collégial.

Une volonté assumée, réaffirmée et justifiée quelques mois plus tard lors d’une visite au Salon de l’agriculture. A ceux qui lui reprochaient alors cette position, il avait rétorqué : « Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est innocent. Il y en a qui disent que c’est très dangereux et d’autres moyennement dangereux. Moi, j’aurai à répondre de ce que je fais, demain, après-demain. Dans le passé, on a dit l’amiante, ce n’est pas dangereux. Puis les dirigeants qui ont laissé passer ont eu à en répondre. Les ouvriers agricoles, les consommateurs qui demain diront « vous aviez le Glyphosate, vous le saviez et vous n’avez rien fait », ils me regarderont les yeux dans les yeux, ils n’iront pas vous chercher vous. »[[Visite du Président Macron au Salon de l’agriculture de Paris le samedi 24 février 2018. Echange visible notamment ici : https://www.ladepeche.fr/article/2018/02/24/2748625-echange-muscle-entre-emmanuel-macron-agriculteur-glyphosate-salon-agriculture.html]]

Dans ce contexte, deux hypothèses peuvent expliquer le rejet de l’amendement par les députés et, conséquemment, la sortie quelque peu surréaliste du porte-parole gouvernemental.

La première réside dans la volonté macronienne d’en finir avec le « vieux monde » et la manière traditionnelle de faire de la politique. L’homme se considère à ce point différent, au-dessus du marigot institutionnel et en rupture avec une société étouffée par le trop plein de lois qu’il pense sincèrement pouvoir faire sans. Les propos du soldat Griveaux affirmant que « Ce sera fait. Ce sera fait en partenariat avec les industriels. (…) Faisons un peu confiance. Arrêtons en permanence de penser que la contrainte, la sanction, sont les seuls moyens de conduire des politiques publiques efficaces. »[[Interview dans l’émission « 8h30 Toussaint/Apathie » du 29 mai 2018 sur France Info]] pourraient accréditer cette version.

Le problème, c’est que si cette hypothèse est la bonne, le « partenariat avec les industriels » et, par-delà, le succès de l’opération « Interdiction du glyphosate en 2021 au plus tard » sont sacrément mal engagés. Franck Garnier, PDG de Bayer France – dont le groupe s’apprête à fusionner avec Monsanto, l’autre mastodonte de l’industrie phytosanitaire – ne fait en effet pas mystère d’une vision des choses pour le moins divergente de celle défendue par le Président et son grognard : « Il y a des attentes sociétales qui sont très fortes et probablement que le glyphosate est devenu un totem des produits phytosanitaires que l’on veut éliminer. Mais dans le même temps, ce que l’on méconnaît, c’est que les agences d’évaluation, notamment l’ANSES en ce qui concerne la France, qui est sans doute l’agence la plus rigoureuse au monde, considèrent que ce produit ne devrait pas être interdit. Maintenant, il y a des injonctions qui sont beaucoup plus au niveau du politique…
Aujourd’hui, en biologie, les temps de recherche, c’est à 8 ou 10 ans. Le temps du politique dans le cas du glyphosate, c’est 3 ans. Ça veut dire que même en mettant des moyens colossaux en termes de recherche et développement, il faudra 10 ans pour trouver des solutions alternatives valables. Et c’est donc incompatible avec le délai que nous octroie le politique.
» (3)

Autre « partenaire » incontournable, la FNSEA (Fédération nationale des exploitants agricoles) estime quant à elle que « si on supprime le glyphosate, c’est simple, il faudra ressortir la charrue » et dégaine l’arme suprême, l’argument financier : « Une étude de l’institut Ipsos chiffre le coût du retrait de ce désherbant du marché français à plus de 2 milliards d’euros pour les agriculteurs, notamment les céréaliers et les viticulteurs. » (4)

A ce stade, l’hypothèse d’un « F*uck the law ! » macronien devient pour le moins caduque. Tout donne à penser et à craindre que l’épisode des amendements rejetés entérine plutôt une reculade non assumée. Perplexe, sceptique voire incrédule quant à la possibilité de concrétiser sa promesse, le Président ne souhaiterait pas la voir gravée dans la loi. Ce qui donnerait tout son sel et tout son sens à ce qui semblait être une maladresse rhétorique de Griveaux : « Nul n’est besoin, parfois, d’inscrire dans la loi des choses qui finissent par ne pas arriver… » (5) C’est sublime, simplement sublime.

L’événement pourrait n’être qu’anecdotique mais s’avère malheureusement révélateur du jeu de dupes dans lequel sont plongés les citoyens français et européens. Les déclarations d’intention qui font écho à leurs revendications ne résistent pas bien longtemps aux manœuvres des lobbies. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : de la pression et des menaces économiques brandies à la fois par les firmes phytosanitaires et des syndicats agricoles dominants incapables – ou plus exactement non désireux – de remettre en cause leur modèle de production.
Il est en effet possible de se passer sans délai du glyphosate et de toute alternative chimique… pour autant que l’on accepte de rompre avec les pratiques et logiques actuelles qui conjuguent réduction de main d’œuvre et minimalisation des coûts avec augmentation des surfaces d’exploitation et maximalisation des rendements. Ce qui a pour conséquence une fuite en avant dans la multiplication des traitements : 3 sur les choux-fleurs, 9 sur les cerises, 10 sur les melons, 12 sur les tomates, 19 dans la viticulture, 35 sur les pommes… (6)

N’en déplaise toutefois à Monsieur Griveaux et ses collègues de l’exécutif En Marche, la fin de cette dérive devra inévitablement passer par la loi. Car « la contrainte et la sanction » sont bel et bien « les seuls moyens de conduire des politiques publiques efficaces » en ce domaine. J’en veux pour preuve le « Plan Ecophyto » adopté en 2008 dans la foulée du Grenelle de l’Environnement. Ledit plan ambitionnait ni plus ni moins de réduire de 50% l’utilisation des biocides dans l’agriculture française à l’échéance 2018 (prorogée à 2025 par un Plan Phyto 2). Pour ce faire, il misait essentiellement sur une approche pédagogique.(7) Le résultat est sans équivoque : selon les derniers chiffres disponibles (8), loin de diminuer – ne serait-ce que symboliquement – l’utilisation de pesticides à usages agricoles dans l’Hexagone a enregistré une augmentation de 25% entre 2009 et 2015 ! (9)

Comme quoi, si on compte sur la bonne volonté des uns et des autres, on n’est pas près d’arrêter d’en bouffer, du glyphosate (et autres saloperies).

(1) Interview dans l’émission « 8h30 Toussaint/Apathie » du 29 mai 2018 sur France Info

(2) Interview dans l’émission « 8h30 Toussaint/Apathie » du 29 mai 2018 sur France Info

(3)Dans « Europe Soir », Europe 1, le 29 mai 2018.

(4)Eric Thirouin, secrétaire général adjoint de la FNSEA et président de sa commission « Environnement » dans « Le Parisien » du 26 septembre 2017.

(5) Interview dans l’émission « 8h30 Toussaint/Apathie » du 29 mai 2018 sur France Info.

(6) « Des pesticides en doses toujours plus massives dans les campagnes », in « Le Monde », 9 mars 2016.

(7) Que le Plan Phyto 2 doubla, à partir de 2012, d’un accompagnement des exploitations désireuses de s’engager dans la démarche.]]

(8) « Ecophyto, réduire et améliorer l’utilisation des phytos – Note de suivi 2016 », Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

(9) A contrario, les quelques 1.900 fermes volontaires (sur les quelques 450.000 exploitations que compte la France) pour expérimenter des modèles de productions inspirés de l’agro-écologie affichaient au bout de deux ans des résultats encourageants avec une réduction de 10% pour les grandes cultures, 12% pour l’arboriculture et la viticulture, 15% pour les légumes, 22% pour la canne à sucre et 38% pour l’horticulture.

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