Innovation et agriculture wallonne en débats

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Quid de l’agriculture wallonne de demain ? Que faire pour sortir d’un système agricole intensif et peu résilient qui nécessite de plus en plus de contraintes règlementaires pour en limiter les effets sur l’environnement ? C’est la question que la Fédération a mis en débat avec toute une série d’acteurs directement concernés. La porte d’entrée choisie pour l’aborder est l’innovation et la méthode, le partage des expériences et l’intelligence collective au service de l’action.

Le modèle agricole wallon est caractérisé par une forte spécialisation et une approche techniciste très poussée. Ce modèle industriel est fort dépendant des aides et des intrants et, selon une évaluation financée par les Nations-Unies, la Banque mondiale, l’UNESCO et la FAO, il n’est pas durable tel qu’il est pratiqué à l’heure actuelle. (IAASTD, 2008)

Face à cette perspective, il convient de faciliter l’émergence de pratiques agricoles durables, menant à plus d’autonomie. Comment faire en sorte que les fermes wallonnes soient plus autonomes et plus résilientes ? Comment faire en sorte que les agriculteurs regagnent en autonomie décisionnelle (de choix de gestion de ferme) et technique ?

C’est pour mettre en débat ces questions que la fédération a démarché divers acteurs. Au programme, un groupe de travail et des rencontres bilatérales. L’idée était de partager des constats, d’identifier des obstacles et de réfléchir ensemble leviers susceptibles de faire émerger de l’innovation en agriculture durable. Dans le cadre de ce projet, innovation signifie toute pratique de nature technique ou organisationnelle qui est neuve dans son propre contexte et qui est adoptée dans une perspective d’autonomie accrue des fermes (ex : autonomie fourragère des élevages, mise en place d’un comptoir fermier).

Quels enjeux?

Les enjeux sous jaçent au projet sont multiples. Parmi ceux-ci :

 accompagner la transition des agriculteurs vers des systèmes de production agricole autonomes et résilients ;

 préserver et restaurer les agro-écosystèmes,

 co-développer nos connaissances en vue de renforcer nos capacités collectives d’adaptation ;

 reconstruire la solidarité entre fermiers…

Résultats du processus ?

Si au départ certaines réticences se sont fait sentir, petit à petit, la confiance s’est installée et les acteurs se sont exprimés. Au fil des rencontres, une vision commune des obstacles à l’émergence de l’innovation en agriculture durable s’est dégagée. Le manque de conseillers neutres ou économiquement désintéressés a notamment été unanimement partagé par les acteurs. Ainsi que le manque de visibilité des initiatives d’innovations à visée d’autonomie (tel que le réseau des fermes novatrices). Un autre élément relevé est la multiplicité des acteurs et des activités cloisonnées (monothématiques ou limitées à une région), avec comme possible conséquence une sur-sollicitation des agriculteurs qui petit à petit se retirent d’une démarche de progrès. Comment faire pour les remobiliser afin qu’ils sortent de leurs fermes ? Comment faire en sorte de les toucher et de les informer de choses qui les concernent directement ? La question est posée.

Du point de vue des agriculteurs, innover revient à prendre un risque et s’ils n’ont pas de latitude financière suffisante, ils ne seront pas enclins à modifier leurs pratiques. Au delà du frein économique, il y a également un frein cognitif : des agriculteurs nous ont exprimé s’être senti démunis face à la perspective de modifier leurs pratiques car « ils ne savaient pas comment s’y prendre ». Ce manque de connaissance implique d’avancer par essai-erreur. Or les pertes liées aux ajustements ont un coût. D’autant que, souvent, il y a une période de transition. La mise en réseau des agriculteurs entre eux, avec les scientifiques et des accompagnateurs neutres est une des réponses à cet obstacle.

Des verrouillages ont également été évoqués. Ils résultent de l’accumulation de freins et de l’interaction de ces freins entre eux. Citons à titre d’exemple le verrou socio-culturel lié au manque de coopération entre agriculteurs ou à leur difficulté de remise en question de leurs pratiques, ou encore le verrou socio-politique lié à l’absence de politiques de soutien aux pratiques novatrices durables à visée d’autonomie. Ces verrouillages corroborent ceux classiquement décrits dans la littérature pour notre système agricole.

Un dernier élément interpellant est celui de la posture du scientifique. La co-construction des savoirs implique une posture d’humilité de la part des scientifiques, non prescriptive et fondée sur l’a priori que « mon interlocuteur en connaît autant que moi ». Ce constat a été fait par les scientifiques eux-mêmes conscients de la nécessité de sortir de la figure d’expert pour échanger des savoirs.

A ce sujet, l’exemple des CIVAM en France est éloquent : ces Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural constituent un réseau neutre qui a pour mission de rassembler des acteurs (agriculteurs et société civile) pour échanger et débattre de l’avenir de l’agriculture et de la ruralité. Ils travaillent en partenariat avec l’INRA (Institut National pour la Recherche Agronomique). Leur fonctionnement repose sur la culture de la coopération, de l’apprentissage mutuel, et de la remise en question permanente. Dans cette perspective, les coordinateurs de CIVAM qui sont avant tout des animateurs, mettent en présence des partisans et opposants d’une même pratique afin d’enrichir et de faire avancer les réflexions. C’est que « entre convaincus, on apprend moins.. » Confiance aux acteurs donc et humilité de la part des coordinateurs qui se positionnent comme étant au service du processus. L’un d’entre eux nous confiait : « Je n’ai pas de conseils à donner, mais des choses à partager ».

Suites du projet ?

L’ensemble des éléments récoltés lors des concertations a fait l’objet d’une synthèse qui a constitué une base commune pour élaborer des recommandations pour les acteurs. Ces recommandations sont autant de pistes d’action dégagées par les acteurs eux mêmes, en réponse aux grands obstacles identifiés. La construction des recommandations se voulait elle aussi participative ; elle a donc fait l’objet d’un atelier collectif en date du 11 mars. La formulation des recommandations est en cours de finalisation. Restera alors à la Fédération de faire vivre ces recommandations pour porter la voie collective des acteurs et inciter qui de droit à soutenir des solutions.

A noter que ce projet semble concomitant à une prise de conscience de l’importance d’accompagner les agriculteurs dans leurs démarches novatrices et de renforcer l’interface entre agriculteurs et scientifiques car plusieurs initiatives se mettent en place ou se développent dans cette perspective. C’est le cas de la Boutique des Sciences ou, plus institutionnel, du Collège des Producteurs, pour ne citer qu’eux. Dès lors que des structures existent, et qu’il y a, semble-t-il, une volonté commune de favoriser l’émergence des innovations agricoles à visée d’autonomie, il est de la responsabilité de chacun de s’engager pour mettre en place des solutions.

Les solutions à inventer pour faciliter les choix d’autonomies sont multiples et reposent probablement sur une évolution de nos cadres de références et sur un renforcement des échanges entres les acteurs. Au travers de la présente démarche, l’objectif de la fédération est de défendre des recommandations pertinentes et partagées par un ensemble d’acteurs de la sphère agricole. Ceci étant, la fédération invite également les acteurs désireux de s’emparer de certains aspects de la synthèse des rencontres à soutenir des solutions car si la convergence des visions est importante, celle des stratégies et des actions l’est plus encore.