L’énergie chère ? Il faudra s’y faire !

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Les prix de l’énergie s’envolent à nouveau. Record de juillet 2008 battu pour le prix de l’essence 95 : 1,624 euros ce mercredi 9 mars.

Les causes ? Elles sont multiples.

Il y a en premier lieu la reprise de la croissance économique mondiale qui accroît la demande: le baril avait déjà dépassé 90$ fin de l’année passée alors qu’au plus fort de la crise il était repassé sous la barre des 35$. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la consommation s’est accrue de 2,7 millions de barils par jour en 2010 et il est prévu qu’elle croisse encore de 1,5 millions cette année et du même ordre de grandeur pour l’année prochaine. Or, en comparaison, les possibilités productives supplémentaires sont limitées à 6 millions de barils par jour. Moins encore si on enlève la Libye et l’Algérie, où les mouvements populaires pourraient influencer la production. Dans ces conditions : « quand le marché pétrolier opère à la limite de ses capacités d’offre, même la plus petite perturbation peut avoir des effets disproportionnés »[[The Economist, 3 mars 2011.]] .

A cela s’ajoute la crainte provoquée par les remous au Maghreb. Alors que la Libye ne produit que 2,1% du pétrole mondial et que l’Egypte, la Tunisie, le Yémen et Bahreïn n’ont qu’un apport marginal, les traders craignent -ou spéculent sur- la possibilité que la révolte qui a renversé le régime en Tunisie et en Égypte et qui est aux prises avec Kadhafi se propage à un pays producteur majeur. L’hypothèse initiale selon laquelle il y aurait un pare-feu entre les pays fortement peuplés et sans pétrole comme l’Égypte et les riches producteurs de pétroles du Golfe s’invalide de jour en jour.

La spéculation déjà évoquée plus haut joue aussi son rôle dans l’affaire. Ainsi, un gérant de Goldman Sachs[Des sociétés financières se sont accaparées les marchés énergétiques. Elles tentent d’en tirer le maximum de bénéfices. La première d’entre elles est Goldman Sachs. Elle intervient comme trader, c’est-à-dire intermédiaire pour des opérations d’achat et de vente, depuis 1981, lorsqu’elle rachète le courtier en matières premières J. Aron. C’est quasiment la seule grande banque qui intervient sur ces marchés.Seulement, elle opère à la fois comme intervenant, comme conseiller et comme intermédiaire. Dans ses deux dernières fonctions, elle fournit des analyses et des avis pour ses clients investisseurs pour placer l’argent de ceux-ci avantageusement. Mais elle-même dépense ses fonds sur ces marchés qui peuvent être juteux. Elle gagne deux fois : une première fois en tant que conseiller et courtier (elle touche des commissions) et une seconde fois, comme opérateur (elle prélève les gains de sa propre spéculation).Son poids est tel qu’elle peut orienter les intervenants. Par exemple, en mars 2008, au moment où les cours commencent à s’emballer, Arjun Murti annonce que le prix du baril brut va bientôt atteindre les 200 dollars. Cela ne sera jamais le cas. Mais Murti est expert pétrolier pour Goldman Sachs et la firme peut avoir acheté préalablement des stocks d’or noir, qu’il va voir valoriser grâce à cette annonce. Ce qui permettra de mettre du beurre dans les épinards, la banque terminant l’année avec un profit net de 2,3 milliards de dollars, l’année où d’autres font faillite (comme Lehman Brothers ou Fortis) ou des pertes abyssales (comme Citigroup). (source : [Henri Houben)]] avance il y a peu « que les cours élevés du pétrole pourraient flamber hors de tout contrôle en cas de nouveau choc similaire à celui enregistré en Libye »[[Le Monde, 2 mars 2011.]]. En annonçant que les prix pourraient fortement augmenter, il incite les autres spéculateurs à acheter au profit de la banque, mais au détriment de la communauté internationale. En effet, s’il y a bien une menace de pénurie à long terme, il n’en va pas de même dans l’immédiat. Si les marchés étaient raisonnables, ils calmeraient le jeu…

Enfin, la faiblesse de l’euro par rapport au dollar, ne permet plus d’atténuer comme en 2008 l’augmentation du prix du baril.

Dans ce contexte, la remise au goût du jour du mécanisme dit du « cliquet inversé » est étudiée par le gouvernement. Ce mécanisme, instauré en 2004 et supprimé en 2009, permet à partir d’un certain seuil de diminuer les accises du supplément de recettes TVA engendré par l’augmentation. Au delà de ce seuil, les recettes de l’Etat restent donc stables.

Si, à le court terme, une telle mesure permet de soulager un peu le portefeuille des ménages il n’en est rien au-delà. Il faut regarder la réalité en face : le prix de l’énergie va continuer à augmenter. Il va falloir à terme vivre avec une énergie nettement plus chère qu’aujourd’hui. Constat indiscutable mais difficile à traduire en projet politique pour un gouvernement. Pourtant autant s’y préparer dès aujourd’hui. La clé ? Les économies d’énergie et l’efficacité énergétique. C’est bien connu, l’énergie la moins chère est celle que nous ne consommons pas! En plus de rendre la consommation d’énergie plus abordable pour le consommateur, c’est le moyen le plus rentable de réduire les émissions, de garantir notre sécurité énergétique et de créer des emplois.

Et dans ce domaine, la Belgique figure malheureusement parmi les mauvais élèves de la classe européenne.

En Wallonie, l’intensité énergétique est supérieure de 40% à la moyenne européenne (284 tep/M¤[Tonne équivalent pétrole par million d’euros du PIB]] contre 202,5 tep/M¤, UE-27, 2006[[ [Tableau de Bord de l’environnement Wallon 2010, p. 35.]] ). Cette situation reflète notamment le poids de l’industrie lourde
(métallurgie, minéraux non métalliques) dans l’économie wallonne, ainsi que les consommations élevées d’énergie pour le transport de personnes et de marchandises. Le rapport de l’AIE sur la Belgique[ [Belgium 2009 Review, AIE, 2011, p. 56]], qui a fait grand bruit cette semaine pour ses recommandations de prolonger les centrales nucléaires (voir cet article), présente également un graphique éloquent:

graphique-energie.jpg

Alors qu’au cours des années 70 et 80 la Belgique se trouvait dans la même fourchette que les pays voisins, l’intensité énergétique a, par la suite, décru moins rapidement laissant la Belgique loin derrière.
La bonne nouvelle par contre c’est que le potentiel pour s’améliorer est énorme! Une étude de 2009[ [Vers une efficacité énergétique de niveau mondial en Belgique”, McKinsey & Company, 2009]] chiffre le potentiel théorique d’économie d’énergie en 2030 à 29% de la consommation totale
attendue dans le scénario de référence. La réalisation de ce potentiel permettrait d’économiser 5,2 milliards d’euros sur notre facture énergétique annuelle d’ici 2030 et de créer 30 000 à 40 000 emplois dans les secteurs de la construction et des transports d’ici 2030.

La Belgique devra remettre en juin à la Commission son Plan d’Action sur l’Efficacité Energétique. Espérons qu’elle saisisse cette opportunité pour mettre en place la politique énergétique et climatique solide, ambitieuse et bien coordonnée qui nous fait encore défaut.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie