L’idéologie fiscale de la FEBIAC

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Le 22 octobre, la FEBIAC (Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle) rendait publics les résultats d’une étude intitulée « Une fiscalité intelligente pour une meilleure mobilité » réalisée en collaboration avec PwC. Dans le communiqué de presse diffusé à cette occasion, la FEBIAC présente, sous le terme de « sainte trinité de la fiscalité routière », ses trois crédos ou « tax shifts » :

 taxer (intelligemment) l’utilisation et non la possession ;

 assigner (partiellement) les revenus fiscaux ;

 subsidier la demande de mobilité, et non l’offre.

Le premier crédo est incarné par le projet de taxation au kilomètre parcouru, présenté par la FEBIAC comme une sorte de couteau suisse permettant de répondre à (presque) tous les problèmes du système de mobilité actuel. Sans entrer dans l’analyse détaillée des chiffres avancés par la FEBIAC pour légitimer son outil, il est intéressant de se pencher sur l’étude réalisée avec PwC afin de mieux cerner le système de valeurs qui sous-tend le message de l’industrie automobile. C’est à ce petit exercice d’analyse que nous vous convions.

Une fiscalité simplifiée…

La FEBIAC (page 4[[Les numéros de pages entre parenthèses sont ceux de l’étude de la Febiac]]) estime que « L’actuelle fiscalité de la mobilité est beaucoup trop complexe pour cela – créer un cadre politique et des incitants pour soutenir des comportements de « meilleures mobilité – et doit donc être simplifiée, clarifiée et rendue plus cohérente. »
La « beaucoup trop complexe
» fiscalité actuelle comporte trois outils : une taxe à l’achat – la taxe de mise en circulation (TMC), une taxe à la possession – la taxe de circulation annuelle (TC) et un outil fiscal à l’utilisation – les accises sur le carburant. Chaque outil vise donc (ou pourrait viser, s’il était optimisé dans ce but) le contrôle d’un aspect spécifique du système automobile : l’achat de véhicules neufs (TMC), la composition du parc automobile (TC) et le nombre de kilomètres roulés (accises).

Sans se départir de son sérieux, la FEBIAC propose de simplifier ce système clair en le remplaçant par une taxation au kilomètre parcouru qui coexisterait avec les accises sur le carburant (ramenées aux minima européens) ainsi que d’autres dispositions telles que la diminution du taux de TVA sur les véhicules dits « propres » (mesure à négocier avec les instances européennes). La taxation au kilomètre intégrerait de nombreux paramètres qui rendraient le système totalement illisible pour la plupart des citoyens. Citons l’heure (de pointe – creuse), le réseau routier (principal – secondaire – urbain), la région (bruxelloise – flamande – wallonne), la norme euro du véhicule, ses émissions de CO2 et une correction sociale en fonction des revenus du ménage l’année antérieure (correction à demander par l’automobiliste concerné).

… ou une vente de voitures débridée ?

Sans y mettre de la mauvaise volonté, nous peinons à identifier en quoi le système FEBIAC simplifierait les choses. Il est par contre assez aisé d’identifier l’intérêt à agir de la fédération automobile[Voir par exemple Febiac Info janvier 2007 page 21, Febiac Info mai 2008 pages 8 et 11, Febiac Info mai 2009, page 3, Febiac Info novembre 2010, page 20, …]] : la suppression de la taxe à l’achat, constante dans la communication de l’industrie automobile . Qui s’en étonnera, sachant que [la TMC demeure l’outil le plus efficace (du moins potentiellement) dont disposent les pouvoirs publics pour orienter les achats des citoyens – et donc contrer les commerciaux de l’industrie automobile…

Pour justifier son analyse, la FEBIAC utilise une argumentation parfois surprenante. En parlant de la TMC et de la TC, elle avance (page 6) que« Ces coûts fixes ne sont pas de nature à encourager l’automobiliste à rouler moins, au contraire. Plus un automobiliste roule avec son véhicule, plus le coût au kilomètre de taxes telles que la TMC et la TCA diminue. » Effectivement, ces taxes n’encouragent pas l’automobiliste à rouler moins, et c’est normal : ce n’est pas leur vocation ! Elles ont (ou peuvent avoir) comme objet le contrôle du type de voitures achetées et de la composition du parc. Par ailleurs, un outil existe déjà pour inciter l’automobiliste à rouler moins : les accises sur le carburant. Et le prix des carburants a prouvé toute son efficacité ces dernières années (bien qu’il ait évolué sous l’effet du marché et non des pouvoirs publics) : entre 2004 et 2006, le prix moyen des carburants augmentait d’environ 21 cents par litre, entraînant une diminution de 888 km du kilométrage moyen des voitures belges. La Fédération automobile se garde bien de le relever, toute occupée qu’elle est à jeter le discrédit sur la TMC et la TC.

L’assignation des revenus fiscaux

« Si nous voulons baser (davantage) la fiscalité de la mobilité sur l’utilisation et que nous voulons trouver une base pour ce faire, il est essentiel d’offrir à l’usager des garanties que les recettes de l’Etat seront affectées à la réfection et à l’entretien du réseau routier » nous dit la fédération automobile (page 4).
On reste ici dans une logique de système fermé. Or, si l’on veut panser les plaies de la mobilité, il est urgent d’ouvrir ce système, en agissant en amont sur les causes du trafic ou en orientant les déplacements vers d’autres modes de transport. En évitant des trajets en voiture, on limite l’usure du réseau routier – et donc on en limite les besoins d’entretien.

Pour faire passer son message, la FEBIAC est prête à revisiter quelque peu l’histoire. Ainsi, page 5 : « Ces vingt dernières années, les recettes générées par la fiscalité de la mobilité ont été affectées en grande partie à l’offre de transports en commun plutôt qu’à des investissements dans l’infrastructure routière, à tel point que la qualité du réseau routier s’est fortement détériorée. »

Ce diagnostic est simplificateur à outrance, et donc faux – du moins pour ce qui concerne la Wallonie. En fait, dans les années 1990 et au début des années 2000, on a beaucoup investi dans l’extension du réseau routier, et ce au détriment de son entretien. Dans son rapport d’activités 2001, la Direction générale des autoroutes et des routes (DG1) du Ministère wallon de l’équipement et des transports (MET) relevait que « les différentes organisations internationales traitant de la route préconisent pour le maintien en bon état d’un réseau routier et autoroutier un budget d’entretien équivalent à 1,5%, voire 2% de sa valeur patrimoniale. ». Le rapport déplorait que le ratio entretien/patrimoine soit resté compris entre 0,55% et 0,72% durant la période 1993-2001. Depuis, l’administration wallonne a progressivement réorienté les budgets vers l’entretien.

Offre de routes et demande de transports en commun

La FEBIAC (page 5) prône « d’une part, une augmentation des investissements dans des routes de meilleure qualité et dans une infrastructure co-modale et, d’autre part, une stimulation de la demande de moyens de transport alternatifs (plutôt que d’agir au niveau de l’offre) et l’octroi d’avantages de mobilité en cas d’utilisation de ces moyens de transport alternatifs. »

Pour le transport routier, il conviendrait donc d’agir au niveau de l’offre (investissements dans les routes) – et au niveau de la demande pour les « moyens alternatifs » (principalement les transports en commun). Outre que l’on comprend mal (ou plutôt trop bien…) les fondements de cette approche différentiée, il est inquiétant de voir une telle méconnaissance des transports en commun dans le chef de la FEBIAC. En effet, tant les bus que les trains connaissent déjà des problèmes de manque de capacité aux heures de pointe. On voit dès lors mal en quoi susciter un accroissement de la demande pourrait améliorer les choses, d’autant qu’elle a beaucoup plus augmenté que l’offre ces dernières années : entre 2000 et 2011, le nombre de voyageurs transportés par les TEC a doublé tandis que la SNCB augmentait de 58% le nombre de voyageurs en trafic intérieur.

La voiture pour les riches – les autres…

La fédération automobile précise, page 19, qu’elle envisage d’attribuer un « budget mobilité » aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté, ce qui représenterait « une dépense annuelle pour l’Etat de 866 Mio EUR. Une partie de ce budget peut venir des recettes supplémentaires générées par le tarif de pointe de la redevance kilométrique (400 Mio EUR), à condition que ce budget ne doive pas servir en priorité à résorber le retard d’entretien de notre réseau routier. Le solde (466 Mio EUR) peut, par ex., venir d’un glissement des dotations de l’Etat aux sociétés de transports en commun. »

Ainsi, pour la FEBIAC, (1) les transports en commun sont principalement destinés à celles et ceux qui n’ont pas de quoi se payer une voiture : il s’agit donc de mobilité « par défaut », (2) la réfection du réseau routier constitue tout de même une priorité par rapport à l’octroi d’un budget mobilité à celles et ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté et (3) il faut allouer moins de moyens au développement de l’offre de transport en commun pour stimuler la demande (qui, ces dix dernières années, croît déjà beaucoup plus vite que l’offre…).

La voiture de société au cœur du marché

La fédération automobile a d’autres idées en réserve. Ainsi, page 9, elle prévoit que « Dans une phase ultérieure, le système de redevance kilométrique pourra tenir compte, voire intégrer, d’autres régimes fiscaux liés à la mobilité. Parmi les pistes de réflexion, nous citerons la taxation de l’avantage de toute nature ou l’intégration dans le tarif de la redevance kilométrique de la cotisation de solidarité CO2 pour les voitures de société. »

Estimant que son couteau suisse pourrait avantageusement être agrémenté d’accessoires supplémentaires, la FEBIAC tente d’y adjoindre des éléments qui n’ont rien à voir avec la fiscalité liée à la mobilité. L’avantage de toute nature (ATN) relève (ou devrait relever…) de la fiscalité sur le travail (impôt sur les personnes physiques) et la cotisation de solidarité CO2 relève des cotisations sociales. La section Fiscalité et parafiscalité du Conseil supérieur des Finances soulignait, dans son document « La politique fiscale et l’environnement » publié en septembre 2009 que « c’est aux cotisations sociales qu’incombe l’objectif de financement de la protection sociale et c’est aux taxes sur les véhicules et à la fiscalité sur leur utilisation que doit incomber la prise en compte de leurs caractéristiques environnementales. La confusion des genres n’est pas acceptable ». Pour la FEBIAC, la confusion est souhaitable. Elle consacre d’ailleurs de longs développements aux voitures de société, dont les ventes représentaient, en 2012, 47% du marché des voitures neuves.

En guise de conclusion

la Febiac nous propose quelques exemples pour nous montrer à quel point le système de redevance au kilomètre parcouru peut influencer les citoyens à modifier leurs comportements. Ainsi, page 38, entre l’heure de pointe et l’heure creuse, le coût du trajet (50 km) de « Koen » passerait de 3,35 € à 1,85 €. Peut-on raisonnablement croire que cette économie de 1,50 euro serait suffisante pour différer son départ d’une ou deux heures ? Peut-être pour un acteur économique, pas pour un citoyen dont les motivations répondent, la plupart du temps, à autre chose qu’un impératif de rentabilité financière. C’est pourquoi la taxation kilométrique a toute sa pertinence pour les poids lourds et pas pour les voitures.
Quand elle parle de mobilité respectueuse de l’environnement (page 6), la FEBIAC est à peu près aussi crédible qu’un environnementaliste qui s’inquiéterait de la hauteur des dividendes des actionnaires principaux de BMW. L’intérêt de la fédération automobile réside dans le maintien de conditions favorables à l’achat de voitures neuves, que ces conditions soient économiques, fiscales ou culturelles. Face à sa dernière offensive, il convient de rappeler deux points importants.

  1. Il existe dans nos sociétés démocratiques un droit de circuler librement. Il existe par ailleurs un besoin d’accéder aux biens, aux services, etc. La mobilité automobile constitue un moyen parmi d’autres d’exercer ce droit, de répondre à ce besoin. Elle ne peut pas être considérée comme un « droit » en soi.
  2. La décision d’achat est à la source du système automobile : lorsqu’on possède une voiture, on s’en sert, sans remise en cause à chaque déplacement, y compris pour les trajets que d’autres modes de transport permettraient d’accomplir de manière plus performante, plus économe.