La densification comme solution au défi démographique : oui, mais pas qu’en ville !

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C’est devenu une rengaine : il faut créer en Wallonie 300.000 nouveaux logements d’ici 2040[[Estimation de mars 2016 de la CPDT basée sur les données du Bureau du Plan et de l’IWEPS.]]. Or, si nous voulons aménager de manière plus durable et responsable notre territoire, nous ne pouvons continuer à artificialiser nos terres indéfiniment. La densification apparaît alors comme la solution miracle pour répondre à cette augmentation de la population. Les articles et études dans ce sens foisonnent. Le secteur de la construction lui-même semble y voir une opportunité plutôt qu’une contrainte. Cependant, les éditoriaux de ces dernières semaines semblent considérer la densification comme l’apanage des villes.

Sauver les villes existantes en les soignant davantage…

Bruyant, insécurisant, stressant, pollué, offrant trop peu d’intimité… les externalités négatives associées au milieu urbain sont nombreuses. Ce sont ces mêmes nuisances qui motivent encore chaque année des centaines de familles à quitter les grandes villes pour s’installer dans des communes rurales. Entre 2012 et 2017, 49 communes wallonnes, dont les plus grandes villes (Mons, Charleroi, Namur et Liège), accusent encore un solde migratoire négatif[[Calculs de l’IWEPS, 2017. Sources : SPF Economie, Direction générale statistiques, Registre national.]]. Malgré un regain d’intérêt d’une partie de la population pour la vie en ville, le phénomène de périurbanisation est donc loin d’être enrayé. Alors, à quoi bon continuer à densifier nos villes si dans le même temps, rien n’est mis en place pour y améliorer le cadre de vie ? Comment espérer attirer, mais aussi maintenir la population en ville à coup de tours ou de barres ?

Rénover et valoriser le bâti existant ou encore reconvertir les friches en logements de qualité, peu importe, du moment qu’on cesse d’urbaniser le moindre coin vert des centres villes ! Alors oui, on peut encore densifier (un peu) les villes, mais cette densification ne peut plus se faire au détriment de la qualité de vie que l’on y trouve.

… et organiser des nouveaux centres de vie dans le péri urbain.

La question de la densité ne doit pas rester l’apanage de la ville. Elle doit aussi concerner le péri urbain et les zones rurales. Elle doit cependant y être envisagée différemment. On parlera en effet plutôt des recentrages autour des noyaux, de compacité. Il n’est en effet pas intéressant de densifier tous les quartiers périphériques. Il faut que ces quartiers soient bien localisés, proches des transports en commun, des services. Cette intensification passe donc également par une mixité de fonctions trop rare dans les lotissements périphériques.

Souvent vu comme la cause de l’étalement urbain, le développement anarchique des lotissements est devenu le symbole de l’individualisme des gens qui fuient la densité et la proximité sociale des villes. L’acceptabilité sociale de la densification du péri urbain n’est donc pas gagnée. La densification renvoie une image négative et reste très floue pour beaucoup de gens qui associent souvent densité et tours à appartements, promiscuité avec les voisins et les désagréments qui vont avec. La volonté d’un habitat individuel, sans vis-à-vis, avec des extérieurs privatifs reste fort prégnante.

Il y a par conséquent une grande incohérence entre les aspirations individuelles et la conscience de l’intérêt collectif. Alors comment concilier les acquis du desserrement et les avantages des centres et noyaux plus compacts, les aspirations individuelles et l’intérêt collectif ?

D’après la littérature sur le sujet la variété des formes et des typologies permet généralement de mieux faire accepter la densité. Il faut sortir de l’idée que le seul choix qui se présente en termes de logement est l’individuel peu dense ou le collectif au sein des tours ou des barres. Il faut de l’habitat intermédiaire qui allie ce que les gens recherchent dans l’habitat individuel (notamment la présence d’un espace extérieur privatif), tout en étant moins consommateur d’espace (avec certains espaces en commun). Ainsi, l’architecture en escaliers, avec la superposition de maisons légèrement décalées, permet d’offrir un jardin privatif à chaque logement tout en étant très économe au niveau de l’emprise au sol.

Quoiqu’il en soit, nous devrons passer par un changement de paradigme et de représentations sociétales liées à la densité. Faut-il aller à l’encontre des libertés individualistes avec des politiques plus volontaristes ? Ou est-ce que des démarches pédagogiques et de sensibilisation suffiront à en changer l’image négative? Peu importe. Que ce soit via une imposition réglementaire ou par la proposition d’une nouvelle architecture de qualité, nous devrons la rendre supportable, voir attractive.

Une étape qui semble en tous cas indispensable est l’analyse et la compréhension des représentations et des perceptions liées à la densification. IEW s’y penchera dans les prochains mois, notamment dans un numéro des Lettres des CCATM consacré à la densité et à la mixité.

Photo : Ville de Porto (5.780 habitants/km²), Audrey Mathieu

Audrey Mathieu

Aménagement du territoire & Urbanisme