La politique fiscale belge profite aux riches…

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« L’impôt et la politique fiscale en Belgique », tel est l’intitulé du dernier ouvrage que Christian Valenduc, conseiller général au service d’étude du SPF Finances, et d’André Decoster, professeur d’économie à la KULeuven viennent de publier. Leur analyse économique des questions de politique fiscale, vise à éclairer les choix politiques en la matière. Ils pointent notamment l’altération de la progressivité de notre système fiscal. Points saillants de l’ouvrage.

La Belgique, enfer ou paradis fiscal ?

Ni l’un, ni l’autre, d’après Christian Valenduc[[“La plupart des déductions fiscales profitent aux personnes aisées”, L’Echo, 2 juillet 2011.]]. Il est en effet vrai que d’une part la Belgique taxe plus fortement les revenus que la consommation et que, d’autre part, les revenus du travail sont davantage taxés que ceux issus du capital. Mais c’est sans compter les innombrables déductions fiscales qui permettent à certains – en l’occurrence les personnes aux revenus élevés – de considérablement réduire leur contribution aux recettes fiscales belges. Ce qui est, in fine, dessert fortement la progressivité de l’impôt pourtant nécessaire à l’établissement d’une véritable justice sociale.

Les récriminations sur le fait d’avoir à s’acquitter des impôts « trop importants » sont légion,notamment dans le chef du patronat. C’est oublier que beaucoup d’entreprises s’en sortent plutôt bien, profitant – illégitimement parfois – tantôt des intérêts notionnels, tantôt du système européen d’échange de quotas d’émission (ETS), tantôt d’autres mécanismes d’ingénierie fiscale à leur avantage. C’est ainsi le cas d’ArcelorMittal qui ne s’est acquitté que de 496 euros d’impôts en 2009 alors que, dans le même temps, son bénéfice affichait un généreux 1,3 milliard d’euros. Mais c’est aussi sans compter les bénéfices engrangés par le sidérurgiste sur le dos du système ETS : 14,4 millions de tonnes de CO2 de surplus de quotas (différence entre le nombre de quotas reçus et les émissions) en 2008, ce qui fait, considérant le prix de la tonne de CO2 à 14 euros, 202 millions d’euros de bénéfices. Electrabel (GDF Suez) tire également bien son épingle du jeu, ayant bénéficié d’une “réduction” d’impôts d’au moins 1,8 milliards d’euros en 5 ans. D’après Marco Van Hees (auteur notamment de “Didier Reynders. L’homme qui parle à l’oreille des riches”, de “Banques qui pillent, banques qui pleurent” et du site Internet dédié au pouvoir de l’argent en Belgique www.frerealbert.be), le fournisseur d’énergie excelle dans l’art de la technologie fiscale, ce qui lui aurait permis en 2009 de “ne payer que 0,04 % d’impôts, soit 850 fois moins que l’impôt nominal légal de 33,99 %”. Selon les calculs, Electrabel aurait payé en 2009“ un demi-million d’impôts sur un bénéfice avant impôts d’1,55 milliard”.

“Tax freedom day” ou déni des services publics

Chaque année (le 8 juin précisément), la société internationale d’expertise comptable et de consultants, Pricewaterhouse Coopers (PwC), célèbre la tax freedom day. Il s’agit, d’après PwC, de la journée à partir de laquelle le contribuable belge commence à travailler pour lui, après avoir alimenté les caisses de l’État. Ce que le bureau de consultance omet (volontairement), comme le rappelle à très juste titre Christian Valenduc[[Ibid.]], c’est qu’à partir du premier jour de chaque année ce contribuable bénéficie de services publics. Ainsi, d’après l’économiste, “100 euros d’impôts financent 18 euros de services administratifs, 2 euros de défense nationale, 3 euros de sécurité publique, 14 euros de dépenses de santé, 12 euros d’enseignement, 35 euros de protection sociale et pour le solde diverses politiques de logement, d’infrastructures, d’économie, d’environnement, de culture”. Ce n’est donc pas à fonds perdus que les Belges “investissent” à travers ces impôts, que du contraire !

D’ailleurs, en réaction à cette action, le Réseau pour la Justice Fiscale et son pendant flamand, le Financieel Actie Netwerk organisent la “tax justice day”. Leur but ? Démontrer que le concept de Pricewaterhouse Coopers est erroné, à commencer par les chiffres qu’avancent le très libéral bureau de consultance lorsqu’il évoque que les salariés sont plus lourdement imposés que les fortunes et les sociétés. Ainsi, la “tax freedom day” devrait être le 2 janvier pour les fortunes et le 18 mars pour les sociétés. Seulement, c’est sans considérer que trop de contribuables ne paient pas d’impôts grâce à la fraude et à l’évasion fiscale (c’est pourquoi, et c’est une campagne des deux réseaux, il ne faut pas laisser échapper les grosses fortunes). Et de rappeler, à l’instar de Christian Valenduc, que sans impôt, ni services publics ni solidarité redistributive !

Pourtant, PwC n’est pas le seul à avancer ce type d’assertions. Dernièrement encore, une étude de l’Institut économique Molinari[[Tax Freedom Day : Belgian Employees are Highest-Taxed in EU 27]], réalisée sur base des chiffres de la société de consultance Ernst & Young, indiquait que : “un employé belge, gagnant 38.659 ¤ par an, a travaillé jusqu’au 4 août pour payer ses taxes, cotisations sociales et impôts (TVA)”. À partir de ce jour-là, l’employé belge arrêterait de “travailler” pour l’État. L’étude pointe également un déséquilibre au niveau des charges fiscales imposées d’une part aux employeurs et d’autre part des employés, en faveur de ces derniers puisque “pour chaque euro payé à un travailleur belge, une entreprise doit s’acquitter de 1,43 ¤ allant dans les caisses de l’État”. Et de qualifier ce type de politique (forte pression fiscale sur le travail) de “peu attractive” pour les employeurs.

La face cachée des déductions fiscales

Nos politiques ont une sacrée propension à user de carottes fiscales, en matière de politique environnementale notamment où primes et déductions fiscales ont l’honneur, censées inciter les consommateurs à des comportements vertueux. Pourtant, “en accordant des subsides, les pouvoirs publics partagent avec le pollueur les coûts de réduction de la pollution. Les subsides ne répondent donc pas au principe ‘pollueur-payeur’”[[SÉPULCHRE, V. (2009), La fiscalité environnementale en Belgique.]].

Christian Valenduc, pour sa part, n’estime pas qu’orienter les acteurs économiques au moyen d’avantages fiscaux soit un bon choix économique. La raison principale en est que ceux-ci ne profitent pas nécessairement à ceux qui en bénéficient, comme on pourrait le croire. Ainsi, “l’exonération fiscale du livret d’épargne aurait été largement détournée par le secteur bancaire à son profit en maintenant des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché”. Autre exemple : le prix d’entretien des chaudières qui a augmenté dès l’instant où ils sont devenus fiscalement déductibles. Au final, ces avantages fiscaux consisteraient davantage à des subsides aux producteurs et seraient, pour la partie bénéficiant au consommateur, une politique régressive.

Enfin, d’après Vincent Sépulchre, conseiller auprès de la Cellule fiscale de la Région Wallonne, professeur de fiscalité à HEC- École de gestion de l’Université de Liège et professeur de fiscalité environnementale à l’École supérieure des Sciences Fiscales de l’I.C.H.E.C., “une telle mesure procure régulièrement un effet d’aubaine aux citoyens qui ont déjà adopté ce comportement, sans parfois même être en mesure d’influencer les autres citoyens à poser ce comportement au vu du saupoudrage budgétaire des avantages fiscaux entre ces deux catégories de citoyens”. Outre cet effet-là, n’oublions pas non plus (et les chiffres parlent d’eux-mêmes) que primes et autres déductions fiscales profitent le plus souvent aux personnes aux revenus importants. À une question parlementaire posée en juin 2008 par le député Jean Cornil au vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles sur les déductions fiscales en matière d’énergie, le Secrétaire d’État à la fiscalité, Bernard Clerfayt, répondait : “On constate que très peu de gens déclarant moins de 10.000 euros font appel à ce mécanisme : il ne sont pas plus de 3.000. Par contre, dans chacune des tranches supérieures (de 10.000 à 20.000, de 20.000 à 30.000, de 30.000 à 40.000 et de 40.000 à 50.000), il y a environ 30.000 contribuables. Il y en a 15.000 parmi ceux qui déclarent plus de 50.000 euros de revenus.”

Pour une réforme de la fiscalité

Pour palier à ces effets pervers, notre économiste plaide très clairement pour une diminution linéaire de l’impôt, avec augmentation de l’assiette. C’est d’ailleurs ce que recommande également des institutions internationalement reconnues, à l’instar de l’OCDE, du FMI et de la Commission européenne. Parallèlement, nos dirigeants devraient, selon Christian Valenduc, mettre un frein à la politique de distribution d’avantages fiscaux. Sur ce point, et plus singulièrement en matière de politique environnementale, les associations environnementales sont plus nuancées, revendiquant, parallèlement à la fiscalité environnementale, des outils d’aide et de soutien aux investissements favorables à l’environnement, mais ciblés (couches de population moins favorisées par exemple).

Considérant les disparités entre la fiscalité sur le travail, le capital et l’environnement, une réforme de notre fiscalité s’impose. Les revenus issus du capital et des biens et services nocifs à l’environnement qui seraient davantage taxés.

La Belgique fait en effet figure de mauvais élève en matière de fiscalité
environnementale. Le régime fiscal (taxes et primes) en vigueur n’encourage en effet pas les investissements nécessaires à la transition économique. En témoigne le régime fiscal de faveur octroyé aux voitures de société (l’un des plus généreux d’Europe d’après les résultats d’une étude internationale commandée par la Commission européenne[[Copenhagen Economics (2009), Company car taxation.]]), une aberration non seulement environnementale, mais également économique. D’autre part, les taxes environnementales y figurent parmi les plus faibles d’Europe. Pourtant, les porter au seul niveau moyen européen serait bénéfique sur le budget, générant des recettes supplémentaires de l’ordre de 1 % du PIB. Combiné à une suppression des subsides dommageables à l’environnement, ce relèvement permettrait de réduire des dépenses inutiles, de même que les coûts indirects (ou externes) aujourd’hui (injustement) à charge de la collectivité.