La SNCB m’a tuer* (Adresse aux camarades cheminots)

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Cent fois, l’envie d’exprimer mon exaspération et ma colère envers notre vénérable Société nationale du chemin de fer belge et son personnel me vint à l’esprit ; cent fois, je me retins, soucieux d’éviter les accusations de populisme ou de voir mon propos servir des valeurs à l’opposé de celles qui me sont chères. Cent fois j’ai failli, cent fois j’ai résisté mais là, je n’ai plus envie de faire un effort car, franchement, les gars, vous faites chier !

Si j’écris « les gars », c’est qu’une entreprise, publique ou privée, n’est rien d’autre que l’agglomérat de ceux (pluriel inclusif de « celles ») qui la font tourner, des travailleurs qui mettent leurs compétences en tous genres au service de son objet social. La SNCB, ce n’est donc pas que des « têtes », un Président de conseil d’administration, un CEO, des directeurs et des cadres plus ou moins compétents ; la SNCB, c’est aussi et surtout ceux qui sur le terrain font tourner la boutique, les conducteurs, accompagnateurs, guichetiers, chefs et sous-chefs de gare, mécaniciens, ouvriers… bref, vous tous et toutes rassemblés sous ce terme mais aussi ce statut de « cheminot(e)s » qui fait votre fierté et votre spécificité. Et aujourd’hui, camarades, ce n’est pas le Président du CA, pas le CEO, pas la direction, pas même le gouvernement MR-NVA&Co mais vous qui m’agacez, m’énervez, me courez sur le haricot, me rompere le palle et me les hachez menues ! Enfin, c’est quoi ces « débrayages » et ces « arrêts de travail » qui tournent géographiquement et se répètent quotidiennement ? Vous croyez vraiment que ces démonstrations de votre pouvoir de nuisance sur la population peut avoir le moindre impact sur Charles, Jan, Kris, Alexander, Didier, Jacqueline et les autres ??? Pauvres naïfs que vous êtes…

Si la grève dans une entreprise privée fait effectivement mal au patronat en le prenant par la Bourse et peut espérer lui faire entendre la colère et les revendications légitimes des travailleurs révoltés face au cynisme et à la brutalité d’un capitalisme inique (dont la course effrénée au profit épuise et abandonne au bord de la pauvreté des pans de plus en plus importants de la population ((avec la complicité d’une classe politique ralliée à son crédo économiciste))[[Chacun(e) arrêtera la formule à son niveau d’adhésion]], s’il est possible, donc, de faire rendre gorge à ceux qui exploitent et spolient, la grève, a fortiori sauvage, dans un service public affecte avant tout sinon exclusivement les bénéficiaires dudit service. Lesquels se retrouvent ainsi victimes de ceux qui prétendent les défendre. Pensez-vous sérieusement, camarades cheminots, que c’est en vous mettant à dos les navetteurs et autres usagers du rail que vous ferez triompher votre cause ?

Si cela vous soulage les nerfs et vous flatte l’ego de jouer les révolutionnaires, soit, grand bien vous fasse. Considérez néanmoins que ces actions contribuent à creuser le déficit de « votre » société et, ce faisant, la tombe de votre combat. Pire : vous offrez aux laudateurs du service minimum audience, crédit et légitimité. C’est con, non ?

Voyez-vous, camarades cheminots, il ne s’agit nullement ici de mettre en cause votre droit de grève, tout au contraire : c’est parce qu’il est sacré et précieux que je souhaiterais vous voir l’utiliser avec plus de modération et de pertinence. Alors, tant que j’y suis à m’adresser à vous après tant d’hésitations et de renoncements, je vais aller au fond des choses. Je sais que cela ne va pas vous plaire mais j’ai parfois et même souvent l’impression que vous êtes plus mobilisés par la défense de votre fameux « statut » que par la qualité du service public que vous rendez.

Entendons-nous bien : je n’ai rien contre ce statut et comprend parfaitement que vous teniez à le préserver, il y a de quoi. « La pension de retraite des agents statutaires est plus avantageuse. (…) En tant qu’agent statutaire, vous bénéficiez de nombreux avantages sociaux grâce à votre affiliation automatique à ce qu’on appelle chez nous les « œuvres sociales » ou la « mutuelle des cheminots ». Il en va de même pour les membres de votre famille à votre charge et donc affiliés, eux aussi, à la Caisse des soins de santé (Css). La Mutuelle des cheminots se compose de 3 caisses. La Caisse des soins de santé (Css) fournit les prestations de l’assurance soins de santé légale (par exemple remboursement des soins médicaux et paramédicaux, frais d’hospitalisation, médicaments…). La Caisse des indemnités vous verse des indemnités en cas d’absence pour maladie. Ces indemnités sont plus avantageuses que dans le régime général. En effet, en tant qu’agent statutaire, vous bénéficiez d’indemnités égales à 100 % de votre traitement pendant une période allant de 6 à 12 mois en fonction de votre ancienneté. pendant un congé de maternité, vous recevez aussi 100 % de votre traitement. (…) »[ [«Travailler au sein de la SNCB – Guide pratique pour les statutaires.» ]] : les « plus » – « avantageux », « favorables », etc. – sont multiples et c’est très bien ainsi, je préfère l’alignement par le haut au nivellement par le bas. J’apprécierais toutefois que tous ces « plus » s’accompagnent de quelques autres : que vous soyez plus au service du public, plus respectueux de votre mission, plus conscients de vos responsabilités et, surtout, plus porteurs de progrès que défenseurs de statu quo.

Si je m’efforce toujours de ne pas embrayer sur les mauvais esprits qui se plaisent à définir un chantier SNCB comme « un qui travaille, deux qui regardent et trois qui encouragent », je ne peux par contre m’empêcher de considérer que vous ne faites pas toujours beaucoup d’efforts pour améliorer la situation de votre entreprise… et des clients qui la font vivre. Je sais, camarades cheminots, que vous n’êtes pas responsables de tous les maux du rail, que c’est la faute au matériel vieillissant, à un réseau plus adapté aux besoins, au manque de personnel, à…, à… N’empêche. Quand on subit des retards à rallonges et que l’on doit supporter une promiscuité niant le concept d’espace vital, bref, quand le voyage est tout sauf d’agrément, on est en droit d’espérer ne pas se prendre en prime votre mauvaise humeur dans le quotidien !

Voyez-vous, camarades, j’entends régulièrement le modèle ferroviaire suisse, considéré exemplaire, avancé comme contre-exemple à la situation du rail belge, jugée catastrophique. J’ai cherché une explication et m’en suis donc allé comparer les situations des Chemins de fer fédéraux (CFF) et de notre chère Société nationale des chemins de fer belges (SCNB). Ce bref état des lieux[[Sources : « Les CFF : chiffres et faits 2013 » et « Inspirer le changement – Rapport annuel 2013 SNCB / SNCB Holding »]] m’a laissé pour le moins perplexe… Jugez plutôt.

  • Kilomètres de lignes : SNCB : 3.592 – CFF : 3.175
  • Nombres de gares ou points d’arrêts : SNCB : 550 – CFF : 792
  • Nombre de voyageurs transportés : SNCB : 232.500.000 – CFF : 365.900.000
  • Personnel : SNCB : 35.898 – CFF : 28.586
  • Résultat : SNCB : – 206 millions d’euros – CFF : + 274 millions d’euros (2011) (respectivement -337 millions et + 238 millions en 2013)
  • Degré de satisfaction des voyageurs : SNCB : 6,5/10 – CFF : 7,6/10

Je sais qu’aucune situation n’est comparable à une autre et qu’il faut considérer les choses sur du moyen ou du long terme pour pouvoir en tirer des conclusions significatives. Ces données n’en sont pas moins interpellantes : les chemins de fer suisses desservent plus de gares ou points d’arrêts que les belges, avec un nombre de cheminots significativement moins important, un niveau de satisfaction de la clientèle plus important (ce qui n’est pas un exploit, je le concède) et des comptes bénéficiaires. Il me semble personnellement difficile de faire abstraction de ce constat er de ne pas y chercher les graines de nos solutions.

Tout ça pour vous dire, camarades cheminots, que si plutôt que de foncer bille en tête pour la jouer seuls contre tous (la direction, les politiques… et vos clients), vous essayiez de prendre le temps de la réflexion, de nouer des alliances, de considérer que ce qui prime est la qualité du service fourni à l’usager et pas la préservation de vos droits acquis (ceux-ci ne résisteront pas sans celle-là), il y aurait très certainement moyen de faire avancer le schmilblick. Parce que 600 millions de plus ou de moins, ce n’est pas rien mais ce n’est pas tout ; ce qui prime, c’est de savoir ce qu’on en fait pour passer du rouge au vert. Et là, je vous écoute en vain… Quand on possède un service dont on s’accorde à considérer qu’il est l’avenir et dont la demande croît constamment, on ne peut pas jouer la défensive !

* Il ne s’agit pas là d’une faute d’orthographe mais d’une référence (Omar m’a tuer)

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