Le bruit du trafic tue !

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L’Agence européenne de l’Environnement (EEA pour European Environment Agency) publiait, en décembre dernier, son rapport « Noise in Europe 2014 ». Du « simple » inconfort au décès par arrêt cardiaque, les incidences du bruit sur le bien-être et la santé sont nombreuses et largement sous-estimées. Dans une société où le bruit est omniprésent et souvent valorisé (« beau » bruit de moteur, musique amplifiée au-delà du seuil de la douleur, …), la pollution sonore n’est guère combattue avec beaucoup de sérieux. La lecture du document de l’EEA permet de prendre l’exacte mesure du problème.

Définition du bruit environnemental

La directive européenne 2002/49/EC relative au bruit environnemental (END pour Environmental Noise Directive) définit en son article 3 le bruit dans l’environnement comme le « son extérieur non désiré ou nuisible résultant d’activités humaines, y compris le bruit émis par les moyens de transports, le trafic routier, ferroviaire ou aérien et provenant de sites d’activité industrielle. » Le même article définit les effets nuisibles du bruit environnemental comme « les effets néfastes pour la santé humaine ».

Un problème de santé majeur

Le premier message clé de l’EEA vise à rappeler que la pollution sonore est un problème majeur de santé environnementale en Europe. Quelques chiffres suffisent à s’en convaincre :

 le bruit environnemental provoque au moins 10.000 décès prématurés par an en Europe ; en interpolant sur base de la population, cela représente environ 220 personnes en Belgique ; ce chiffre constitue sans doute une estimation basse, vu le niveau d’urbanisation de notre pays ;

 près de 20 millions d’adultes subissent une gêne induite par le bruit environnemental et 8 autres millions souffrent de perturbations du sommeil ;

 plus de 900.000 cas d’hypertension sont induits par le bruit environnemental chaque année.

 la pollution sonore cause 43.000 admissions à l’hôpital par an.
Soulignons que ces chiffres ne représentent sans doute que 20 à 35% de la réalité, du fait que l’EEA s’est basée, pour les établir, sur les cartographies réalisées par les Etats membres conformément à la directive END. Or :

 ne sont pris en compte que les axes de transport les plus importants (pour les routes : plus de 3 millions de passages de véhicules par an) et les villes de plus de 100.000 habitants ;

 beaucoup d’Etats européens accusent un retard certain dans la réalisation des cartographies du bruit (la directive END fixait le délai du deuxième cycle de rapportage au 31 décembre 2008…).

Le trafic routier, champion des nuisances sonores

Le trafic routier est la principale source de bruit environnemental. En extrapolant des données pour tenir compte de l’incomplétude des cartographies réalisées par les Etats, l’EEA chiffre à 125 millions le nombre de personnes exposées à des niveaux sonores imputables au trafic routier supérieurs à 55 dBLDEN[[LDEN est l’indicateur de bruit jour-soir-nuit qui est utilisé pour représenter le bruit moyen sur 24 heures, compte tenu de l’impact plus important du bruit durant la soirée et la nuit ; il est exprimé en décibels (dB)]] dont plus de 37 millions sont exposées à des niveaux supérieurs à 65 dBLDEN. Les autres sources suivent loin derrière : le trafic ferroviaire (8 millions de personnes exposées à des niveaux supérieurs à 55 dBDEN), le trafic aérien (3 millions de personnes) et les bruits industriels (300.000 personnes). En nombre de personnes affectées, le bruit routier « pèse » donc près de 92%. Cette prédominance est observée à l’échelle européenne comme à l’échelle de chaque pays, tant à l’intérieur que hors des principales agglomérations.

La Belgique est, avec la Bulgarie et le Luxembourg, l’un des trois pays européens où plus de 75% de la population urbaine sont exposés à des bruits supérieurs à 55 dBLDEN.

Pour en savoir plus sur les sources et impacts sanitaires du bruit lié aux transports, on se rapportera utilement au dossier de la Fédération.

De nombreux effets néfastes sur la santé

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que des effets néfastes pour la santé humaine sont associés à des niveaux de bruit de 40dB durant la nuit[World Health Organization (WHO): [Night noise guidelines for Europe, 2009]] et de 55dB durant la journée[World Health Organization (WHO): [Guidelines for Community noise, 1999]].

L’exposition aux bruits des transports et aux bruits industriels peut induire de la gêne, des troubles du sommeil, des risques d’hypertension et des problèmes cardiovasculaires. Les études épidémiologiques ont également mis en évidence l’influence négative significative de l’exposition au bruit sur les performances scolaires.

La majorité des personnes fortement affectées sont exposées à des bruits compris entre 55 et 69 dB. Dès lors, les mesures visant à réduire les bruits les plus importants (70 dB et au-delà), quoique indispensables, ont peu d’impacts en termes de réduction du nombre de victimes.

L’ambition politique… sur papier

L’ambition politique est officiellement élevée. Ainsi, un des objectifs du septième programme d’action de l’Union européenne en matière d’environnement est de diminuer significativement la pollution sonore en 2020, pour se rapprocher des niveaux recommandés par l’OMS. Cependant, tant la faiblesse des outils réglementaires et normatifs européens que le peu d’entrain des autorités nationales et régionales à combattre les nuisances sonores conduisent à penser que les recommandations de l’OMS resteront très largement hors de portée en 2020.

Relevons à titre illustratif que :

 le niveau d’ambition de la directive END est très modeste : les Etats européens doivent (1) établir des cartographies du bruit en se limitant aux principaux axes de transport ainsi qu’aux villes de plus de 100.000 habitants, (2) adopter des plans d’action « afin de prévenir et de réduire, si cela est nécessaire, le bruit dans l’environnement » – ceci sans aucune obligation de résultats ;

 le règlement (UE) n° 540/2014 concernant le niveau sonore des véhicules à moteur établit une nouvelle méthodologie de test des véhicules ainsi que de nouvelles valeurs limites de niveaux sonores qui constituent un net recul par rapport à la situation existante, ce qui constitue une violation claire du principe de standstill (ou principe de « non régression ») – voir notre analyse détaillée ;

 comme le relève l’EEA, une évaluation complète et la définition des perspectives d’avenir sont entravées du fait que les estimations d’exposition rapportées par les Etats ne sont pas complètes ; selon la source, on se retrouve parfois en possession de 44% seulement des données prévues dans le cadre du deuxième cycle de rapportage de la directive END (dont l’échéance était fixée au 31 décembre… 2008).

Le trafic tue !

L’OMS estime à un million le nombre d’années de vie en bonne santé perdues chaque année en Europe de l’Ouest du fait de l’exposition au bruit du trafic[World Health Organization (WHO): [Burden of disease from environmental noise – Quantification of healthy life years lost in Europe, 2011]]. Le bruit du trafic tue ! Tout comme ses émissions de polluants locaux (particules fines, oxydes d’azote, …). Et tout comme le trafic en lui-même (accidents de la route). Si les résultats engrangés dans la lutte contre l’insécurité routière sont probants, ils demeurent largement insuffisants (http://www.iew.be/spip.php?article6811). Les efforts pour lutter contre les polluants locaux restent beaucoup trop timides (http://www.iew.be/spip.php?article6361 et http://www.iew.be/spip.php?article6170). Et nos sociétés continuent à observer une quasi passivité face à la pollution sonore.

La cécité volontaire face aux drames humains induits par le système de transports peut tout à la fois s’expliquer par la perception du risque totalement biaisée qui prévaut dans nos sociétés et par le refus d’accepter un constat pourtant objectif qui remet en cause le système automobile (phénomène de dissonance cognitive). Tant que l’objet voiture restera l’objet d’une survalorisation culturelle, il est à craindre que les choses continueront à évoluer bien trop lentement.