Les voies à (ne pas) suivre du piétonnier bruxellois

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S’il est une chose salutaire dans le dossier du piétonnier bruxellois, c’est le débat vif qu’il occasionne parmi la population et les acteurs de la capitale. Après tout, changer le visage de la ville, c’est changer la vie de ses habitants et usagers. Et dans la cacophonie ambiante, il est indispensable de comprendre pourquoi ce dossier n’est pas une histoire bruxelloise qui ne concernerait que les Bruxellois.

L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de consacrer, selon la formule du bourgmestre Yvan Mayeur, « le plus grand piétonnier d’Europe » sur une superficie de 50 hectares. Un étendard, donc, qui pourrait (ou pas) inspirer d’autres villes belges et surtout wallonnes qui demeurent au balcon de toute transformation structurelle de leur espace public dévoré par l’empire automobile. Le conditionnel est de rigueur. Car à observer la levée de boucliers issue de la phase-test menée depuis dix mois à Bruxelles, on semble loin d’un exemple à suivre en terme de gouvernance publique. Absence d’étude d’incidence, non concertation avec la Région, consultation minimaliste des acteurs, effets pervers sur l’accessibilité, la mobilité et les populations qui résident ou travaillent dans le Pentagone… Les associations de la capitale n’ont pas manqué de tailler un costard, ces derniers mois, au grand dessein d’Yvan.

« Souvent désordonnée et pas toujours lisible dans ses objectifs, cette bronca révèle l’ampleur des dégâts déjà profonds de ce projet bâclé, imposé aux forceps, aussi bien dans le cœur des Bruxellois que dans les poumons de ceux qui vivent ou travaillent autour du piétonnier, considère la Platform Pentagone »[[http://www.platformpentagone.be/pietonnier-charrue/]]. « Bien qu’opposée à la méthodologie peu transparente de la Ville et au modèle de piétonnier choisi, la Platform Pentagone a toujours soutenu la réduction de la pression automobile et l’amélioration du cadre de vie dans l’ensemble du centre-ville. »

Comme nous le rappelle le sociologue Eric Corijn, les municipalités qui ont réussi à transformer leur espace public ont accompagné la volonté politique d’une démarche de coproduction avec les acteurs de la ville[[http://www.lalibre.be/regions/bruxelles/pietonnier-la-complexite-a-ete-sous-estimee-5727562035708ea2d519e7fe]]. Et il est pour le moins singulier que la capitale de l’Europe, qui affiche ce projet comme un symbole, n’ait pu tirer parti de l’expérience publique des meilleurs exemples européens. Le renouveau des villes françaises telles Bordeaux, Strasbourg ou Nantes, qui ont misé sur les transports publics pour structurer les transformations urbaines, en atteste. Délivrer une image positive des choix opérés qui, in fine, bénéficieront aux habitants et à la vitalité commerciale du coeur des villes, est une condition indispensable à l’adhésion et la réussite de ces projets.

A Dijon, qui vient de se redessiner autour de nouvelles lignes de tram, pas moins de 8 millions d’euros ont été dépensés pour bien échanger et communiquer avec et vers les différents publics. Et à Bruxelles ? « Il n’y a pas de dialogue, pas de site web interactif, pas de réunions publiques, pas de plan par étapes, pas de plan de communication global, pas de gestionnaire de projet susceptible d’encadrer le processus dans les prochaines années », estime Joost Vandenbroelen du Bral([[http://bral.brussels/fr/artikel/pi-tonnier-allez-de-l-avant-et-engagez-une-concertation-coordonn-e]]. « Autant d’éléments qui provoquent de l’amertume et du mécontentement. La politique doit garantir une plus grande transparence, bonnes et mauvaises nouvelles confondues. »

La question, dès lors, n’est plus de savoir si il faut limiter la voiture de manière drastique, mais bien du comment concrétiser cet objectif au mieux, dans l’intérêt des habitants et des acteurs économiques concernés. « Si la méthode employée par la Ville de Bruxelles a pu choquer, sa radicalité préfigure des décisions que nous devrons accepter de prendre dans les prochaines années », constate François Perl, président de Group One. « La résolution des problèmes de mobilité n’est pas qu’une préoccupation de  » bobos  » mais également, et avant tout, une question de survie pour nos villes et leurs habitants. Il est illusoire de penser qu’une autorité publique parviendra à bannir les voitures des villes mais sans une restriction considérable de leur usage, nous continuerons hélas à empiler les rapports d’experts et à déplorer la mortalité parfaitement évitable que provoque notre addiction à ce moyen de transport[[https://www.rtbf.be/info/dossier/tout-savoir-sur-le-nouveau-pietonnier-bruxellois/detail_il-faut-depasser-les-interets-particuliers-le-pietonnier-c-est-la-sante?id=9282250]].

Nos centres-villes sont malades de choix qui ne datent pas d’aujourd’hui. Les classes moyennes continuent à être attirées par les sirènes vertes de la périphérie, appauvrissant par ricochet les budgets publics tout en augmentant la pression automobile sur le coeur de ces mêmes villes. Le contre-poison doit donc être prescrit sans tarder afin de sortir de ce cercle vicieux qui a conduit à la dualisation des métropoles. Privilégier les transports publics et les modes déplacement doux est à cet égard le gage d’une meilleure attractivité et du maintien, voire du retour en ville, des population asphyxiées qui l’ont désertée[[http://www.iweps.be/working-paper-de-liweps-ndeg21]].

A défaut d’être inspirante sur le plan de la gouvernance, espérons que la volonté bruxelloise puisse donner matière à réflexion aux pouvoirs publics wallons et liégeois en particulier, quant à l’urgence de requalifier l’espace public en centre-ville. De ce point de vue, le report de la mise en oeuvre du projet de tram à Liège n’est pas le meilleur signal envoyé par les autorités wallonnes pour repenser la mobilité sur des bases durables, à l’instar des propositions pertinentes formulées par Urbagora[[http://urbagora.be/interventions/conferences-de-presse/et_si_les_voitures.html]].

Comparaison, n’est pas toujours raison, mais une chose semble bien acquise à la lumière des expériences réussies, comme à Bordeaux, Dijon ou Gand : des opposants historiques au changement d’infrastructure en deviennent souvent les premiers partisans lorsque les travaux sont arrivés à terme. Mais à cette condition: aucun projet de ville d’une telle ampleur ne peut plus se réaliser sans une communication publique transparente, ni une gouvernance participative qui inclut l’ensemble des acteurs de la ville. Puissent Bruxelles ou Liège, le plus rapidement possible, enclencher ces cercles vertueux pour corriger ou accélérer leur transformation indispensable à leur survie.

Christophe Schoune

Anciennement: Secrétaire général