Nous avons mal à notre plan de secteur

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Du nouveau dans la jurisprudence du Conseil d’Etat concernant le caractère exceptionnel de la dérogation au plan de secteur.

Deux arrêts du Conseil d’Etat des 22 novembre 2005 et 7 août 2006(1) annulant les permis uniques délivrés à la S.C.R.L. Intercommunale de propreté publique (IPALLE) pour implanter et exploiter une dalle de compostage de déchets verts à Templeuve (Tournai) précisent le caractère exceptionnel du mécanisme dérogatoire, anciennement prévu par les articles 110 et 114 du CWATUP. La dalle de compostage est, en effet, prévue en zone agricole au plan de secteur. Le Ministre du Logement, des Transports et du Développement territorial a donc délivré les permis en dérogation au plan de secteur.

Premier arrêt du Conseil d’Etat : il faut motiver le caractère exceptionnel du recours au mécanisme de la dérogation.

Selon le Conseil d’Etat, il résulte des articles 110 et 114 du CWATUP qu’en plus de satisfaire aux conditions propres au mécanisme dérogatoire (intégration au site bâti et non bâti), l’autorité administrative doit faire apparaître dans l’acte la motivation qui permet de saisir les raisons de recourir dans l’espèce donnée au mécanisme de la dérogation. Or, le premier permis unique du 8 juin 2005 confond la justification de l’intégration au site environnant avec la démonstration de la nécessité de recourir à une mesure exceptionnelle, celle-ci faisant défaut.

Deuxième arrêt du Conseil d’Etat : qui plus est, la motivation du recours à la dérogation doit être adéquate.

Dans le deuxième arrêt annulant le deuxième permis, le Conseil d’Etat est plus précis encore. Il explicite ce qu’il considère comme une motivation adéquate des raisons qui justifient le recours au mécanisme de la dérogation. Il faut démontrer « la nécessité, pour réaliser le but de service public poursuivi par le projet, de choisir un site qui se trouve dans une autre zone que celle de services publics et d’équipements communautaires prévue par le CWATUP à cet effet ».
En l’espèce, le but de service public poursuivi par le projet est de procéder au compostage de déchets verts prélevés dans une zone géographique déterminée. Analysant les motifs figurant dans le permis du 14 novembre 2005, le Conseil d’Etat constate qu’il s’agit d’« affirmations, qui ne démontrent pas que le site retenu est nécessaire, voire indispensable pour réaliser le but de service public poursuivi par le projet ». En effet, rien dans le dossier administratif ne démontre que le site présente une « localisation géographique centrale par rapport au réseau de parcs à conteneurs », ou encore que la surface disponible est nécessaire pour accueillir 10.000 tonnes de déchets verts par an. Quant aux autres critères (la »proximité des voies d’accès régionales (A17 et RN 517) » et « l’éloignement des habitations »), ils ne présentent pas à eux seuls la spécificité requise pour justifier la nécessité de déroger à titre exceptionnel au plan de secteur, d’autres sites proposés lors de l’enquête publique présentant les mêmes avantages.
Et quant au fait de soutenir que « les plans de secteur, même s’agissant de la zone de services publics et d’équipements communautaires, n’ont pas été prévus dans la perspective de l’implantation spécifique de projets de traitement de déchets », le Conseil d’Etat y voit une erreur de droit dans la mesure où le compostage de déchets verts constitue une activité d’utilité publique visée par l’article 274bis, 3°, b), du CWATUP, qui relève de la zone de services publics et d’équipements communautaires prévue par l’article 28 du même Code.

Cette jurisprudence du Conseil d’Etat rejoint celle de la Cour d’arbitrage.

Nous songeons évidemment à l’arrêt n° 137/2006 du 14 septembre 2006, Inter-Environnement Wallonie c. Région wallonne(2). Pour rappel, c’est par cet arrêt que notre Cour constitutionnelle a fait une première application positive du principe de standstill en faveur de la protection de l’environnement(3). La cour a annulé la disposition introduite par le décret RESA qui permettait une mise en oeuvre immédiate des ZADI(4) (sans PCA, sans évaluation environnementale et sans consultation du public). Toutefois, elle rejette le recours en ce qu’il est dirigé contre l’article 127, § 3, du CWATUP lequel reproduit le mécanisme dérogatoire figurant à l’article 110 du Code. Selon elle, le nouveau dispositif ne peut s’interpréter comme une régression sensible par rapport à la protection du droit de l’environnement sain, notamment en raison des balises qui doivent encadrer ce régime d’exception, à savoir que :

• les projets d’intérêt général doivent respecter, structurer ou recomposer les lignes de force du paysage (= conditions propres au mécanisme dérogatoire(5) ;
• les dérogations doivent être exceptionnelles et il revient à l’autorité administrative « de motiver ses décisions en se référant, dans chacune des demandes de permis, aux éléments objectifs permettant de justifier raisonnablement la condition de dérogation nouvelle ».

Mais alors que penser des dérogations quasi systématiques accordées pour permettre l’implantation des antennes GSM et des éoliennes(6) ?

L’application du raisonnement développé par le Conseil d’Etat aux antennes GSM et aux éoliennes laisse songeur : ainsi, faudrait-il démontrer la nécessité, pour accomplir le but de service public assigné au projet, de choisir un site qui se trouve en-dehors de la zone bleue. Que l’on envisage le but d’utilité publique poursuivi par les antennes GSM -permettre le maillage d’un réseau de téléphonie mobile accessible au public et destiné à l’usage du public- ou les éoliennes -la production d’électricité verte au bénéfice de la collectivité- la sélection de localisation en-dehors des zones de services publics et d’équipements communataires repose nécessairement sur des contraintes techniques (maillage des antennes ou vent) qui dépassent les limites du plan de secteur(7).

Un signe de plus qui indique que nous avons « mal » à notre plan de secteur ?

Les éoliennes et les antennes de radiocommunication se retrouvent systématiquement -pour ne pas dire nécessairement- hors zone « capable ». Tout comme les stations d’épuration des eaux, les centres de boues de draguage, les pylônes à haute tension… et les centres de compostage. La boucle est bouclée. Seuls les probèmes posés à leur voisinage diffèrent (odeurs, bruit, ondes, paysage). Comment dans ces circonstances, faire comme l’y incite le Conseil d’Etat, un usage « modéré » des dérogations au plan de secteur ? Comment ne pas penser ici aussi au renouveau de la planification ainsi qu’à la nécessité de programmer certains actes et travaux, fussent-ils d’utilité publique ?

Notes

(1) Il s’agit des arrêts n°151.554 et 161.715, Van Eeckhout et crs c. Région wallonne, à consulter sur le site www.raadvst-consetat.be et dont le dernier est annexé à la nIEWs.

(2) Consultable sur www.arbitrage.be.

(3) Ou le principe selon lequel le législateur ne peut pas diminuer sensiblement le niveau de protection de l’environnement, sans motif d’intérêt général.

(4) Zone d’aménagement différé à caractère industriel (article 34 du CWATUP).

(5) Cf. l’ancien critère d’intégration au site bâti ou non bâti.

(6) Il ne s’agit pas d’un ostracisme de notre part : l’implantation des éoliennes et avant elles celle des antennes GSM ont fait l’objet, sur ce point précis, de notes d’orientation du Gouvernement wallon.

(7) A cet égard, l’arrêt Commune de Raeren n° 131.546 du 18 mai 2004 vaut le détour : « Considérant que, pour le surplus, l’autorité doit se prononcer sur la demande de permis d’urbanisme pour l’endroit qui y est mentionné ; qu’elle ne doit pas examiner toutes les propositions d’implantation à d’autres endroits, faites en cours de procédure, dès lors que sur la base d’autres pièces du dossier, notamment des avis favorables de l’Institut scientifique de service public (ISSep) et de la Direction générale des Ressources naturelles et de l’Environnement, elle estime que le permis peut être délivré pour le projet à l’implantation mentionnée dans la demande de permis ».