Nous sommes tous des réfugiés afghans

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C’est clairement le type d’enjeu qui pèse pour 0,0001% dans les motivations du corps électoral au moment de choisir/renouveler ses représentants et décideurs politiques. Pourtant, la gestion de cette problématique constitue un révélateur/indicateur magistral des priorités et valeurs qui président à la « vie de la cité » dont nous sommes membres. Le débat sur l’accueil ou le retour/l’expulsion des réfugiés afghans demandeurs de notre asile ne peut dès lors être considéré comme marginal, un épiphénomène qui ne concernerait que les responsables en place, quelques dizaines de militants dédiés à la cause et une poignée de citoyens dont le chemin puis la conscience ont croisé ceux de ces exilés.

Derrière cet enjeu apparemment infinitésimal, c’est la société à laquelle nous aspirons qui se dessine et se décide. Aujourd’hui déjà mais plus encore demain, nous risquons en effet toutes et tous de nous retrouver dans la situation d’un réfugié afghan sur le sort duquel une « instance indépendante » sera amenée à statuer. Il ne s’agira pas alors de savoir si on nous accepte ou on nous renvoie dans l’enfer d’un pays en guerre mais bien de déterminer si nous avons ou non droit à une indemnité de chômage, à des soins de santé à portée de notre portefeuille, à une pension permettant de vivre décemment nos troisième et quatrième âge, etc. Autrement dit, le traitement qui est fait de ces demandes d’asile nous renvoie à une alternative aussi simple que fondamentale : souhaitons-nous une société réellement solidaire où le bien-être de tous prime sur les privilèges individualisés ou une société atomisée en une myriade d’égoïsmes et au sein de laquelle chacun arc-boute son confort sans souci de l’autre… ?

Ce qui pose réellement problème avec ces 450 réfugiés afghans, c’est… qu’il y ait un problème !

Le simple fait de s’interroger sur le renvoi ou non, que ce soit via un « retour volontaire » (sic) ou une expulsion, de ces personnes dans leur pays constitue une insulte non seulement au droit d’asile mais, plus globalement, au principe d’humanité – « Disposition à la compréhension, à la compassion envers ses semblables, qui porte à aider ceux qui en ont besoin. », Le Petit Larousse – qui devrait toujours présider à nos actes individuels et plus encore aux décisions politiques. Comment peut-on ne fut-ce qu’envisager un seul instant de dire à des gens fuyant un pays non seulement déchiré par une guerre civile mais aussi sous la coupe de groupes intégristes dont nous nous complaisons, en nous gargarisant des « Droits de l’Homme », à condamner les exactions, comment peut-on envisager de dire à ces gens « Sorry mais vous n’avez pas le droit d’être ici. Rentrez chez vous ! » ?!?

On me rétorquera : « Il y a une loi qui règle le droit d’asile en de wet is de wet… ». Certes. Mais hormis le fait qu’une loi n’est pas nécessairement bonne et juste parce qu’elle existe, il convient de voir comment elle est interprétée et appliquée. Que dit le Droit belge sur la question de l’asile ?

« Les étrangers qui risquent dans leur pays des persécutions ou des atteintes graves et se trouvent en dehors de leur pays d’origine peuvent demander l’asile. (…) Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides ou CGRA est l’instance centrale d’asile en Belgique. Cette instance est compétente pour l’instruction des demandes d’asile. Le CGRA décide ou non d’octroyer à un demandeur d’asile le statut de réfugié ou le statut de protection subsidiaire. Le statut de réfugié est octroyé à des personnes qui ont des raisons fondées de craindre des persécutions au sens où l’entend la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Le statut de protection subsidiaire est octroyé à des personnes qui ne répondent pas aux critères du statut de réfugié mais encourent un risque réel de subir des atteintes graves s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine. » [ [http://www.belgium.be/fr/famille/international/etrangers/refugies/ ]]

Ainsi donc, même si tout ou partie des Afghans demandeurs d’asile n’avaient pas de « raisons fondées de craindre des persécutions au sens où l’entend la Convention de Genève relative au statut des réfugiés » évoqué dans le texte – à savoir « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner »[ [http://www.droitbelge.be/fiches_detail.asp?idcat=48&id=558 ]] – la situation dans leur pays est telle qu’ils devraient bénéficier de l’application automatique du statut de protection subsidiaire. Cela semble une évidence mais Maggie De Block, ministre en charge du dossier, a une toute autre analyse de la situation.

Miss Maggie semble être du fer dont on fait les Thatcher. L’ancienne Premier ministre britannique laissa 10 activistes de l’IRA (Irish Republican Army) et de l’INLA (Irish National Republican Army) emprisonnés poursuivre jusqu’à la mort une grève de la faim appuyant leur revendication de ne pas porter l’uniforme de détenu afin de marquer leur statut revendiqué de prisonniers politiques et non de criminels. Elle n’hésita pas non plus à envoyer à l’assaut contre des mineurs en grève, qualifiés d’«ennemis de l’intérieur », une police équipée de moyens militaires. Bilan : 6 morts parmi les mineurs, 20.000 blessés, près de 12.000 personnes interpellées et plus de 200 incarcérées… Si notre Dame de fer made in Merchtem n’affiche pas (encore ?) de tels états de sévices, son potentiel d’inhumanité et de cynisme ne fait aucun doute.

Qu’elle assume sa politique sans état d’âme est une chose que l’on peut (je me retiens d’écrire « doit ») déplorer mais qui reste dans les limites du tolérable dès lors que cette politique s’avère cautionnée par l’ensemble du gouvernement et de sa majorité parlementaire. Qu’elle se laisse aller à dénigrer le combat des demandeurs d’asile – « Les manifestations et grèves de la faim des réfugiés afghans sont des tentatives d’obtenir plus de droits que les autres : c’est du chantage. Et ils sont infiltrés par des groupes politiques. »[Déclaration du 15/12/2013 dans l’émission [Mise au point, rubrique « L’indiscret » sur la RTBF]] – ou, pire, à ridiculiser le danger qu’ils courent dans leur pays – « Eh bien, je vais vous dire qu’ici non plus, la situation n’est pas toujours sûre. Il suffit de sortir le soir (pour s’en rendre compte). »[Réponse à une [interview de VTM, le 9 janvier dernier, suite à l’expulsion de force du réfugié afghan Parwais Sangari]] – dépasse par contre les limites de l’humainement acceptable.

Selon les chiffres donnés par Dirk Van den Bulck, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides[[« La Libre Belgique » du 15 janvier 2014]], 1.500 Afghans ont reçu un statut de protection en Belgique en 2013. C’est bien. Mais cela ne nous exonère en rien de nos responsabilités vis-à-vis des autres, ceux que nous refusons chez nous sous prétexte que si «(…) la situation est problématique dans de très nombreuses régions d’Afghanistan. Dans d’autres régions, dont Kaboul, j’estime que les civils ne courent pas un risque réel d’être victimes d’une violence aveugle »[[Dirk Van den Bulck, in « La Libre Belgique » du 15 janvier 2014]].
Tapez « attentats Kaboul » dans votre moteur de recherche et vous pourrez juger par vous-même si ces gens « ne courent pas un risque réel d’être victimes d’une violence aveugle »… en étant bien conscients que ces attentats ne constituent qu’une facette des persécutions commises sur place.

Celles et ceux qui alimentent les forums de commentaires hostiles sur l’air de « on n’a pas les moyens de les accueillir », « qu’ils aillent plutôt demander asiles dans un pays musulman » ou « qu’on arrête la démagogie, il y a des endroits où la situation est bien plus grave qu’en Afghanistan et des personnes qui risquent bien plus » devraient se demander s’ils auraient toléré que pareils « principes » soient appliqués aux centaines de milliers Belges jetés sur la route de l’exode lors de la seconde guerre mondiale… Quant à l’antienne selon laquelle « accorder l’asile automatique aux Afghans, ce serait créer un appel d’air », elle fait fi de ce que représente effectivement le choix de l’exil. D’une part, on n’abandonne pas ainsi son pays, son histoire, sa famille, ses racines ; il s’agit d’une décision ultime à laquelle on se résout en dernier recours, pas par opportunisme. D’autre part, on sait que l’immense majorité des réfugiés afghans – comme d’ailleurs ceux d’autres conflits – ne vont pas au-delà des pays limitrophes du leur, parfois par choix, souvent par contrainte, très peu ayant les moyens de financer un voyage vers l’Europe.

Mais l’élément le plus gênant de tout cela réside sans doute dans la popularité que son intransigeance cynique vaut à Maggie De Block, laquelle peut aujourd’hui se prévaloir du titre de personnalité politique préférée des Flamands (et très appréciée des francophones). Cette prime à la fermeté sans visage humain ne présage rien de bon. Elle atteste en effet du real-nombrilisme qui anime aujourd’hui une majorité de citoyens. « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », « il faut sortir du règne de l’assistanat », « le système est trop généreux et favorise les excès » sont des idées qui ont percolé dans beaucoup d’esprits désormais favorables à un régime de solidarité présenté comme « moins laxiste » mais qui est in fine plus excluant. Sous prétexte de resserrer les boulons, on durcit les conditions d’accès aux droits… au risque ubuesque d’en priver ceux qui en ont le plus besoin ! Le tout avec le soutien d’une majorité de la population trop heureuse de se trouver du bon côté de la frontière…

Ah, oui : « Quel rapport avec l’environnement ? »
Il est très simple : quelles conditions mettrons-nous demain à l’accueil des « réfugiés climatiques » – auxquels l’Australie et la Nouvelle-Zélande, notamment, sont aujourd’hui déjà confrontés et qui, demain, frapperont à notre porte. Notre responsabilité première dans leur situation voudraient que nous les accueillions tous sans exceptions ni conditions. L’évidence nous dit que ce ne sera pas le cas. Une raison supplémentaire – pour peu qu’il en soit encore besoin – de nous attaquer aux causes avant de devoir en affronter les conséquences.