Pas d’avenir radieux avec le nucléaire

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Les incertitudes entretenues quant à la sortie du nucléaire en Belgique freinent les nouveaux investissements

Bruxelles, le 19 octobre 2006 ? L’avenir énergétique de la Belgique passe par la sortie du nucléaire : tel est le constat dressé par les associations de protection de l’environnement à l’issue du séminaire « L’énergie nucléaire au 21ème siècle – promesses et réalité », qui a rassemblé ce matin au Parlement fédéral plus d?une centaine de participants de tous horizons (politiques, producteurs d?électricité, scientifiques, représentants syndicaux et responsables d?entreprises).

Une des conclusions majeures ressortant des débats est que le doute entretenu autour de la loi de sortie du nucléaire freine les investissements dans les nouvelles capacités de production d’électricité. De tels investissements pourraient pourtant contribuer à l?amélioration de la concurrence sur le marché de l’électricité, à la création de nombreux emplois et à la protection de l’environnement?

Greenpeace, Inter-Environnement Wallonie, le WWF, Voor Moeder Aarde et le Bond Better Leefmilieu, co-organisateurs de ce séminaire, demandent dès lors aux quatre Ministres de l’Energie de mettre en ½uvre d?urgence une politique centrée sur l’efficacité énergétique, les sources d?énergies renouvelables et la cogénération qui, ensemble, permettront de sortir progressivement du nucléaire, comme prévu par la Loi.

Le séminaire de ce matin rassemblait la fine-fleur des spécialistes belges et étrangers de l?énergie atomique. Scientifiques, experts indépendants, politiciens, producteurs d?énergie, représentants des différentes installations nucléaires, syndicalistes et environnementalistes ont fait le point sur quelques grandes questions liées au nucléaire. Si certaines – comme l?absence de solution pour les déchets – sont aussi vieilles que cette technologie, de nouveaux arguments plaidant en défaveur de l?énergie atomique ont été mis en lumière.

1 ) Les bénéfices plantureux d’Electrabel/Suez gangrènent le marché de l’électricité

Eric De Keuleneer, professeur à la Solvay Business School de l’ULB, a mis en évidence les bénéfices gigantesques engrangés par Suez grâce à ses centrales nucléaires. Entre 1971 et 2003, les consommateurs ont en effet financé, par le biais de tarifs parmi les plus élevés d?Europe, l’amortissement total de ces centrales pour un montant de quelque 28 milliards d?Euros. Bien que cet amortissement soit terminé depuis plusieurs années, les tarifs n?ont pas été revus à la baisse ce qui permet à Electrabel/Suez de dégager de plantureux bénéfices. Pour le professeur De Keuleneer, laisser cette rente de situation en l?état perturbe le bon fonctionnement du marché et le jeu sain de la concurrence.

Par ailleurs, le professeur considère que l?incertitude entretenue autour de la loi de sortie du nucléaire « constitue pour le moment le frein le plus important aux investissement dans les alternatives ».

2) Les primes d’assurance devraient correspondre aux risques encourus

A l’heure actuelle, la responsabilité des opérateurs nucléaires est limitée à 300 millions d’Euros par site. En cas d’accident, les coûts supplémentaires devront donc être supportés par la collectivité. Or, le vieillissement des centrales augmente les risques d?accident majeur. Le plafond actuel en matière de responsabilité des opérateurs nucléaires doit donc être remplacé par une prime annuelle croissante correspondant aux risques réels. La société serait mieux protégée en cas d’accident et, relève le professeur De Keuleneer, une telle prime contribuerait à une concurrence plus équitable sur le marché de l’énergie.

3) Pas de place pour le nucléaire dans un marché libéralisé

Steve Thomas, professeur à l’Université de Greenwich, a démontré lors de ce séminaire que le futur de l’énergie nucléaire dans un marché libéralisé était pour le moins incertain. Un soutien financier étatique important est en effet nécessaire pour permettre la construction d’une centrale nucléaire.

Le montage financier appliqué pour la construction du réacteur EPR en Finlande impliquant crédits à l’exportation et prêts à taux très favorables le confirme. Selon Steve Thomas, ce montage n’est pas applicable à d’autres pays,.

Il ressort de la déclaration de politique générale présentée mardi par le Premier Ministre que le gouvernement belge a l’intention de favoriser des accords de longue durée entre entreprises belges et producteurs d’énergie pour la fourniture d?électricité. Mais même dans ce contexte, un projet de nouvelle centrale nucléaire aurait très peu de chance d?émerger. En effet, pour Steve Thomas, « aucun client ne peut de manière crédible conclure un contrat visant à l’achat d’électricité durant l’entièreté de la durée de vie d’une centrale nucléaire ». Or, il s’agit d’une condition sine qua non pour prendre le risque d’investir dans une nouvelle centrale.

4) Nouvelles centrales, nouveaux risques, nouveaux coûts

Les promoteurs du nucléaire se plaisent à présenter les nouveaux types de centrales (réacteurs de troisième ou quatrième génération) comme des avancées majeures. Mais cet enthousiasme ne résiste pas à l?analyse

Ainsi, selon Frank Barnaby de l?Oxford Research Group, on devrait voir surgir de nouvelles menaces en matière de sécurité, notamment en raison des risques de prolifération induits par l’utilisation de plutonium. Barnaby a insisté sur les dangers importants qui découleraient de la dissémination d’armes nucléaires, notamment susceptibles d?être utilisées par des groupes terroristes.

Par ailleurs, sur le plan économique, la « solution nucléaire » ne tient pas la route. A l?échelle mondiale, le nucléaire couvre actuellement un peu plus de 2% de la consommation finale en énergie. Selon Antony Froggatt, consultant indépendant en matière d’énergie, pour que de nouveaux types de centrales nucléaires puissent jouer un rôle significatif dans l’approvisionnement mondial en énergie, il faudrait une vague d’investissements tellement considérable qu?elle est tout simplement irréaliste.

5) Le nucléaire contribue aux émissions de CO 2

Last but not least , Jan Willem Storm Van Leeuwen, chercheur scientifique pour la société de consultance néerlandaise Ceedata, a balayé le mythe selon lequel le nucléaire n’émettrait pas de CO 2. Après avoir mené une analyse poussée de l’ensemble de la chaîne de production nucléaire, de la fabrication du combustible au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets, Storm Van Leeuwen arrive à la conclusion suivante : à l?heure actuelle, la filière nucléaire émet par kWh produit davantage de CO 2 qu’une centrale à cogénération au gaz et environ un tiers des émissions d’une centrale au gaz performante.

Et les émissions de la filière nucléaire sont appelées à augmenter dans l?avenir. Les minerais les plus riches en uranium étant actuellement exploités, on s?achemine inéluctablement vers l?utilisation d?une matière de plus en plus pauvre dont l?extraction et le traitement, opérations particulièrement énergivores, exigeront une quantité d?énergie sans cesse croissante. « In fine , souligne Storm Van Leeuwen, il faudra même plus d’énergie pour extraire l’uranium que l’énergie produite en aval par les centrales nucléaires ! »

6) Les réacteurs les plus vétustes peuvent déjà être remplacés

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la sortie du nucléaire, des investissements importants ont déjà été consentis (ou sont en cours) dans des centrales au rendement élevé et dans les renouvelables. La production d’électricité de ces centrales, qui peut être estimée de manière réaliste, est suffisante pour remplacer la production des trois plus vieux réacteurs nucléaires à Doel et Tihange [Un document reprenant une liste détaillée de ces projets et leur production électrique attendue est disponible sur [http://www.uitstapkernenergie.be/fr/sem/10-06/ ]].

Les calculs présentés dans le document en annexe ne prennent pas en compte d’autres projets de centrales déjà annoncés et susceptibles d’être également menés à bien avant 2015.

Pour plus d’informations :

 Greenpeace, Jean-François Fauconnier : 0496 161 587

 Inter-Environnement Wallonie, Mikaël Angé : 0496/128.022

 Bond Beter Leefmilieu, Bram Claeys : 0474 594 670

 Voor Moeder Aarde, Pol D?Huyvetter : 0495 280 259

 WWF, Sam Van den Plas : 0485 952 201

NB : Les présentations des différents orateurs au séminaire seront disponibles dans l’après-midi sur le site : http://www.uitstapkernenergie.be/fr/sem/10-06/