Pourquoi choisir nos photos de vacances en guise de carte de vœux ?

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Les cartes de vœux[[Nous publions cette réflexion sur les cartes de voeux et les vacances à “mi-temps” entre les occasions de voeux (fin d’année) et le moment de premières vacances un peu longues, Pâques !]], c’est ce qu’on envoie aux gens que l’on ne fréquente généralement pas au quotidien (il est rare qu’on les envoie à ses collègues de travail, par exemple). C’est ce qui résume l’année écoulée, ce qui permet de donner des nouvelles de nous, de notre famille, de notre « clan ». C’est ce qui contribue à entretenir des relations. C’est, pour de nombreux d’entre ceux qui sont attachés à cette tradition, une façon de se « mettre en scène » ou de se définir socialement, un objet symbolique garni de quelques photos ou d’images qui vont contribuer à dire qui nous sommes. Le choix de ces photos ou images est donc lourd de conséquence. On pourrait dire que la carte de vœux est un outil de « marquage » social.

Or, que constate-t-on ? Que, dans les milieux aisés du moins, les cartes de vœux sont souvent couvertes de nos photos de vacances. Mais pourquoi donc se représenter de la sorte, pourquoi ne pas se photographier tout simplement dans son salon, devant son chien ou dans le mouvement que nous faisons le plus souvent au cours de l’année, c’est-à-dire pour la plupart d’entre nous sur le chemin que nous faisons tous les jours et qui nous mène à notre travail ?

Et bien, parce que, pour la plupart, outre le plaisir et la détente tous relatifs qu’elles nous procurent[[1Voir à ce sujet les ouvrages de Jean-Didier Urbain « Le voyage était presque parfait : Essai sur les voyages ratés » (2008).]], les vacances sont un instrument de définition – voir de distinction – sociale. Dis-moi où tu vas et je te dirai qui tu es… Ou, dis-moi ce que tu fais pendant tes vacances et je te dirai combien tu gagnes[[Chez les publics plus jeunes, cette mise en scène via des photos de vacances se pratique dans le cadre des réseaux sociaux.]].

C’est en grande partie la raison pour laquelle les gens sont si soucieux de préparer et de parler de leurs vacances. C’est aussi pourquoi même ceux qui sont bien au courant du phénomène actuel de réchauffement climatique sont prêts à faire de grosses dépenses et à « exploser » leur empreinte carbone pour faire un voyage lointain[Par exemple, l’empreinte carbone d’un voyage aller-retour Bruxelles-Madagascar correspond à 30 % des émissions moyennes annuelles d’un européen et à 85 % du budget annuel d’émissions dont dispose chacun pour limiter le réchauffement à 2° C (cfr le site GreenTripper de CO2 Logic : [https://www.greentripper.org/fr).]].

Bien qu’il y ait d’autres raisons qui nous poussent à voyager, le tourisme, de par notamment son caractère ostentatoire, est l’un des domaines où la distinction sociale se pratique aisément et depuis longtemps[[Voir à ce sujet, les sociologues P. Bourdieu et M. Boyer, cités dans: « Jeunesse, Voyage et enjeux de distinction sociale » de Claude-Anne Schumacher.]]. Dans la continuité de la pensée de Bourdieu, le comportement touristique permet de valoriser les ressources dont disposent une élite en termes de capital culturel, de compétences (tels que la connaissance des langues), de mobilité et éventuellement de capital social (via les personnes rencontrées lors des voyages)[[Voir A.-C. Wagner et autres auteurs, cités dans ibidem.]].

Cette distinction peut prendre des formes novatrices et ne s’inscrit pas toujours dans une logique d’ascension sociale verticale, telle que celle recherchée par les élites qui ont fui dans les années trente les nouveaux bénéficiaires des congés payés lorsqu’elles les ont vu débarquer dans les stations balnéaires. En effet, la recherche de distinction peut se focaliser sur la valorisation d’un capital intellectuel ou culturel qui n’est pas nécessairement associé à des moyens financiers. Ainsi, par exemple, le routard qui souhaite ne pas voyager comme ces « hordes de touristes ». Ou l’ « écolo » qui veut pratiquer du « slow tourisme » à vélo et aller ainsi à l’encontre de la tendance actuelle qui favorise les voyages courts et fréquents.

Il s’agit donc d’un moteur puissant qui, souvent à notre insu, oriente nos choix en termes de vacances. Même si notre vrai plaisir est autre, ce besoin de distinction ou de reconnaissance par nos « pairs » nous pousse à opter pour un tourisme qui est valorisé par les personnes auxquelles on a envie de s’identifier socialement.

Face aux réalités environnementales relatives à nos comportements touristiques (empreinte écologique très différente selon le type de tourisme pratiqué), il conviendrait de prendre conscience des moteurs souvent inconscients qui sous-tendent nos choix, et cela afin de décider en connaissance de cause et pas seulement en réaction par rapport à notre environnement social. Donc, réfléchir à deux fois par rapport à ce qu’on a envie d’afficher sur notre carte de vœux (ou les réseaux sociaux)…