Primes de recyclage ou secteur à recycler ?

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Ce 02 février 2008, la FEBIAC (Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle), demandait par voie de presse que soit mis en place dans notre pays un système de « prime de recyclage » des voitures anciennes s’inspirant des exemples français et allemand. Une telle prime, selon la FEBIAC, offrirait le double avantage de soutenir le marché automobile et de générer un effet positif en termes de protection de l’environnement.

Pour bien appréhender la demande de la FEBIAC, il s’agit tout à la fois de déterminer si la situation du marché belge est aussi catastrophique que la fédération automobile le laisse croire et de s’interroger sur le bien-fondé du système de prime demandé.

C’est l’exercice auquel s’est livrée la fédération IEW. Elle a fait part de son analyse aux trois Ministres concernés (Finances, Economie et Energie-climat), dont les deux premiers se sont, dès l’annonce de la FEBIAC, positionnés en faveur de la prime de recyclage…

Le marché automobile mondial sous le choc

Le secteur automobile mondial a fortement souffert de la crise financière. Les marchés américain, européen et japonais ont enregistré un net recul en 2008, tendance qui semble se confirmer en janvier 2009. Le marché étasunien s’est véritablement effondré l’année passée (moins 18% par rapport à 2007), surtout sur la fin de l’année (décembre 2008 en recul de 35% par rapport à décembre 2007). Le marché japonais, quant à lui, a mieux supporté le choc, avec un recul de 5,2% sur l’année, de même que le marché européen, dont le recul a été de 7,9%. La relativement bonne tenue du marché européen est notamment attribuable aux scores positifs de onze pays : sept nouveaux Etats-membres, la Suisse et trois pays membres de l’ex Europe des Quinze, dont la Belgique.

Le marché automobile belge résiste vaillamment

Globalement, la Belgique enregistre une croissance de son marché de 2,1% sur l’année 2008, malgré un recul s’étant manifesté sur les trois derniers mois de l’année (-6,83% en octobre, -16,42% en novembre et -7,84% en décembre) et semblant se confirmer en janvier 2009 (en recul de 16,11% par rapport à janvier 2008).

Avant de tirer des conclusions alarmistes sur base des données des quatre derniers mois, il est indispensable de recadrer ceux-ci dans le contexte général du marché automobile belge. Avec 47.690 voitures neuves immatriculées en janvier 2009, le secteur a renoué avec les chiffres de janvier 2004, après avoir connu un pic marqué à 58.128 véhicules en 2006. La figure 1 met en relief le caractère cyclique du marché. Cette dernière caractéristique, conjuguée à un effet de saturation du parc (le taux de motorisation en Belgique est de 480 voitures pour 1000 habitants), incitait la FEBIAC à la prudence en janvier 2008 :

« les beaux résultats du mois de janvier constituent déjà un signal très positif. Compte tenu des chiffres record de 2006 et 2007, ainsi que du mouvement cyclique du marché, FEBIAC s’attend cette année à des ventes automobiles légèrement inférieures à celles des deux dernières années. Selon nos prévisions, le nombre d’immatriculations de voitures neuves devrait atteindre près de 500.000 unités cette année, de sorte que 2008 figurerait dans le top 5 des années record en termes de nombre d’immatriculations de voitures neuves »[[FEBIAC, 01/02/2008 : http://www.febiac.be/public/pressreleases.aspx?ID=597&lang=FR]].

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Dans les faits, 2008 a battu tous les records. Les figures 2 et 3 illustrent parfaitement que, malgré un tassement sur les trois derniers mois de l’année, 2008 a connu une évolution des ventes fort semblable à 2007.

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Dans ces conditions, il nous paraît légitime de se poser la question suivante : la FEBIAC ne prend-elle pas prétexte d’un retour à une situation antérieure et de la mauvaise tenue du marché mondial pour réclamer une « prime de recyclage » qui ne ferait que se substituer à ce que de nombreuses marques proposent déjà, une prime qui n’est autre qu’une aide d’état à un secteur qui peine à se retrouver dans un marché en mutation, devenant un marché de remplacement, en raison de la quasi-saturation du parc automobile.

La prime de recyclage : principe et limites

Le principe de la prime consiste donc à octroyer, au propriétaire de véhicule ancien qui déclasse sa voiture pour en acheter une nouvelle, une prime « de recyclage » ou « de mise à la casse ». Il s’agit bien d’un incitant à renouveler les véhicules automobiles. Le caractère positif de l’opération en termes de protection de l’environnement est justifié en assimilant de facto un véhicule neuf à un véhicule propre et un véhicule ancien à un véhicule polluant. Dans le système mis en place en France, le véhicule neuf acheté doit émettre moins de 130 gCO2/km. Dans le système allemand, il suffit que le véhicule réponde à la norme Euro 4[[Les normes Euro fixent des limite contraignantes pour les polluants dits « locaux », qui affectent la santé humaine : monoxyde de carbone, oxydes d’azote, hydrocarbures imbrûlés et particules fines. La norme Euro 4 est entrée en vigueur en 2005.]], ce qui est le cas de la grande majorité des véhicules présents sur le marché…

Prime à l’achat de véhicules, le système n’entre clairement pas dans le cadre d’une politique de promotion de la mobilité durable visant à favoriser un transfert modal. Le citoyen posant l’acte volontaire de se débarrasser de son véhicule pour opter pour la marche, le vélo et/ou le transport en commun ne se verra attribuer aucun incitant, contrairement à celui qui achètera un nouveau véhicule.

Le mythe de la voiture neuve propre à la lumière de l’ACV

Le gain environnemental escompté risque fort de ne pas être au rendez-vous. Le discours favorisant le système de primes suppose implicitement qu’un véhicule ne pollue que durant sa phase d’utilisation. Or, des analyses du cycle de vie menées par divers constructeurs (dont Renault et Toyota) l’ont prouvé et ont été récemment confirmées par une étude du JRC (Joint Research Center de la Commission européenne[Environmental Improvement of Passenger Cars (IMPRO-car), JRC, 2008, téléchargeable sur [www.jrc;ec.europa.eu)]] : les étapes de construction d’un véhicule neuf moyen et de son traitement en fin de vie sont beaucoup plus polluantes qu’il n’est généralement admis. Ainsi, ces étapes de la durée de vie d’un véhicule génèrent quelque 4,8 (essence) à 5,3 (diesel) tonnes de CO2, soit l’équivalent de 30.000 à 33.000 km pour une voiture émettant 160 gCO2/km. Un kilogramme de particules fines est également émis lors de ces phases de la durée de vie du véhicule, soit l’équivalent de la pollution générée sur 40.000 km par une voiture diesel Euro 4.
Le remplacement d’un véhicule ancien, si celui-ci ne roule pas beaucoup, ne se solde donc pas nécessairement par un gain environnemental, mais peut au contraire se traduire par une pression supplémentaire sur l’environnement, notamment en matière de renforcement des émissions de gaz à effet de serre.

Intégrer les leçons du passé

La CEMT (conférence européenne des ministres des transports) publiait en 1999 un guide de bonne pratique sur le renouvellement du parc et les primes de mise à la casse[[Cleaner cars – Fleet renewal and scrappage schemes, CEMT, OCDE, 1999]]. (Voir également en pièce-jointe) Pour la CEMT, les primes attribuées pour le remplacement d’un véhicule déclassé présentent un coût très élevé par tonne de pollution évitée et ne sortent guère gagnantes d’une comparaison avec d’autres outils politiques à vocation purement environnementale. De plus, les effets bénéfiques pour le secteur de la construction automobile ne se font sentir que de manière limitée dans le temps et peuvent être accompagnés d’effets négatifs sur d’autres secteurs économiques, les dépenses consenties pour l’achat anticipé d’une nouvelle voiture diminuant d’autant le budget alloué par les citoyens à d’autres achats.

Par ailleurs, les effets positifs sur le secteur de la construction automobile se fera certes ressentir au niveau global – mais ses effets directs en termes de pérennisation des emplois sur les quatre sites de production belges avoisinera le zéro absolu. D’une part parce que les usines belges travaillent beaucoup pour l’exportation (les ventes en Belgique influent donc peu sur leurs activités). D’autre part parce que les décisions stratégiques de maintien ou non des sites de production, dans un contexte de surcapacité importante, se prennent au niveau des grands groupes.

En fait, il s’agit donc plus ici, pour le gouvernement belge, de faire allégeance à un secteur, dans l’espoir un peu naïf que les mesures de restriction, inévitables dans les années à venir, ne frappent trop durement la Belgique.

De la nécessité d’une vision politique à long terme

Une fois encore, l’environnement sert d’alibi alors que l’enjeu réel est le maintien sous perfusion d’une industrie dont le déclin est perceptible. D’une industrie qui n’a pas su ni voulu identifier les prémices de son malaise actuel. Le parallèle est saisissant avec la situation de l’industrie lourde au cours des années 60 à 80. Faute d’avoir fait preuve de la nécessaire lucidité que les circonstances réclamaient et mis en place les indispensables programmes de reconversion, certains pays l’ont maintenue artificiellement en vie à coups d’aides publiques. Plus dure a été la chute…

Dans le domaine de la mobilité, il est nécessaire de se désengager des visions qui ont eu cours durant les dernières décennies et d’intégrer pleinement les recommandations du Conseil fédéral du développement durable, pour lequel les deux premiers axes d’une politique de mobilité durable sont la maîtrise de la demande de transport et le développement des alternatives au transport routier et au transport aérien.

La Fédération Inter-Environnement Wallonie a dès lors demandé aux ministres fédéraux d’abandonner les projets de « prime de recyclage » et de réorienter les budgets publics vers des politiques de mobilité réellement durables. IEW invite le gouvernement fédéral à puiser dans le plan Kyoto-Transports du Service public fédéral Mobilité et transport pour définir les lignes de force de son action plutôt que dans les demandes des constructeurs automobiles.