Qui avale une noix de coco doit avoir confiance en son anus…

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« Il faut absolument trouver le moyen d’amener la question de l’environnement dans la campagne! » La demande a surgi sitôt confirmée la tenue d’élections anticipées et, tout au long des quelques semaines que dura cette campagne, l’antienne allait marteler l’esprit des agents communicants du mouvement environnemental : « L’environnement est totalement absent des débats; il faut faire quelque chose pour qu’on en parle… »

Labellisé «Responsable communication et relations presse », je me suis retrouvé au coeur de cet appel récurrent à l’action, destinataire privilégié des mails appelant à bouger et des interpellations avides de bonnes idées. Je fus toutefois bien en peine de répondre aux attentes placées en ma créativité. C’est qu’en dépit de l’étiquette collée sur ma fonction, je ne crois pas aux vertus de l’esbrouffe et au pouvoir qu’elle aurait d’imposer au public des préoccupations dont il se désintéresse. Or, même s’il est politiquement incorrect de l’acter tel quel, l’environnement, pour l’heure, tout le monde s’en fout… Et me serais-je immolé devant le 16 rue de Loi ou exhibé nu sur la scène du concours Reine Elizabeth pour dénoncer la chose que cela n’eut rien changé. J’aurais certes bénéficié d’une couverture « presse » conséquente mais l’intérêt pour l’objet de mon action serait resté ce qu’il était : nul. Et hormis un remake version expresse et radicale de la crise du poulet à la dioxine, une tornade de type tropical frappant le pays ou l’explosion du réacteur de Tihange 1, je vois mal ce qui aurait pu propulser le sujet dans la campagne…

En 2007, un contexte particulièrement favorable – le film de Gore, la montée en puissance du GIEC, le surf adroit sur la vague politico-médiatique déclenchée par Nicolas Hulot à l’occasion de la Présidentielle française… – avait placé l’enjeu au centre de la campagne. Etant donné que, comme le dit le proverbe africain, « quand on a mangé salé, on ne peut plus manger sans sel », certains rêvaient de revivre ces heures de gloire où la réduction des GES avait semblé primer sur la progression du PIB. Mais c’était oublier que l’engouement n’avait duré que le temps d’une campagne et que l’environnement avait disparu de l’agenda politique sitôt le scrutin passé, bouté hors des négociations sur l’accord gouvernemental par les questions socio-économiques et communautaires.
Ainsi, en octobre 2007, le Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie, qui avait été le porteur enthousiaste et optimiste d’un Pacte écologique belge ayant mobilisé les partis, publiait dans « La Libre Belgique »[[« La Libre Belgique » du 1er octobre 2007]] une Carte Blanche intitulée « Et l’environnement, bordel?!? » dans laquelle il déplorait: « (…) Ces derniers temps, nombre de personnalités politiques ont plaidé pour que les négociateurs de « l’orange bleue » définissent sans plus tarder le « programme socio-économique » du prochain gouvernement. « Socio-économique… » : ces mots utilisés par nos décideurs traduisent malheureusement trop bien le fond de leur pensée. Ils attestent de ce que les grands esprits qui nous gouvernent n’ont toujours pas capté que le développement durable est une voie royale – peut-être la seule… – pour permettre aux Hommes d’aller de l’avant. Ils attestent aussi de ce que la mobilisation politique relative aux changements climatiques – et, plus rarement, à l’environnement au sens large – lors de la campagne électorale n’était pas sincère. Elles sont aujourd’hui bien loin, les médiatiques envolées sur l’air de « Il faut oser être radical ! »… (…) La première note du formateur Leterme n’était guère encourageante de ce point de vue ; sa seconde copie s’est malheureusement révélée moins ambitieuse encore… Depuis lors, la problématique communautaire a phagocyté les négociations, à peine troublée par l’émergence de la revendication socio-économique. Déjà fortement édulcoré dès l’amorce des discussions, l’enjeu environnemental semble lui être devenu totalement invisible… »

Ce constat amer reste intégralement valable aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle il m’apparaissait utopique de vouloir faire de l’environnement un sujet de campagne. Pas plus qu’on ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif, on ne peut espérer intéresser qui que ce soit à un sujet qui n’est pas ou plus dans l’air du temps.

Mais ne nous y trompons pas : ce désintérêt n’est pas uniquement imputable aux politiques. Ici encore, il est mal vu de l’énoncer tel quel et on se plaira à m’opposer des sondages censés attester d’une situation à l’opposé de celle que je décris, mais je persiste et signe à affirmer que l’évidence crève les yeux : l’environnement constitue une préoccupation mineure pour une très grande majorité du public. Et nos gouvernants en sont parfaitement conscients, j’y renviendrai plus loin.

Parce qu’il est de bon ton de s’afficher optimiste, de proclamer sa confiance en l’intelligence collective et de (feindre de?) croire au changement volontaire et heureux, on voit dans une manifestation nationale de 15.000 personnes – avant Copenhague – une mobilisation de masse, on détecte dans des études d’opinion fragile comme le rêve une révolution de mentalités et on imagine qu’il suffira de (re)faire parler de l’état de la Planète pour que les partis modifient leurs priorités politiques et que les citoyens-électeurs appellent le changement de toute(s) leur(s) voix… Les choses sont malheureusement moins simples.

Il ne suffit pas de répondre « Oui » à la question « L’environnement, est-ce important pour vous? » pour être prêt à faire dudit environnement un enjeu de société et une priorité politique… Une prise de conscience s’est amorcée, certes, mais elle ne constitue que la première étape voire les prémisses d’un processus dont on aurait tort de surestimer l’avancement. Le terrain est à peine défriché; il restera ensuite à le labourer puis l’ensemencer et attendre que la réflexion murisse avant de récolter de premiers résultats significatifs.

Face aux crises économiques, sociales et financières qui mobilisent les médias, alimentent les craintes et affectent le quotidien des ménages, l’urgence écologique, les changements climatiques et tutti quanti apparaissent déconnectés de la « vraie vie ». « Ce qui est plus fort que l’éléphant, c’est la brousse. » énonce un autre proverbe venu d’Afrique. Ce qui est plus fort que le combat environnemental, c’est le milieu ambiant focalisé sur des enjeux à la fois plus appréhendables par tout-un-chacun et en lien direct avec son vécu immédiat. Que signifie en effet aujourd’hui, pour le citoyen Lambda, les « émissions de gaz à effert de serre », « perte de la biodiversité» voire « épuisement des ressources naturelles » ou « pollution du milieu » globalement abstraits face aux « pertes d’emploi », « érosion du pouvoir d’achat », « recul de l’âge de la pension» ou « hausse du prix des carburants » douloureusement concrets?

Ignorer ce contexte, c’est prendre le risque d’apparaître mono-maniaque et coupé de la réalité sociale. Ce peut être aussi se confronter à la « marginalité» de son combat. Illustration.
Le vendredi 4 juin, la Coalition Climat – plateforme regroupant plus de 80 organisations de la société civile (syndicats; ONG Nord/Sud, de développement, environnementales…; mouvements de jeunesse; etc.) censées représenter un million de personnes – a souhaité « faire entrer le climat dans la campagne » en conviant les présidents de partis à venir « voter pour le climat » sur les marches de la Bourse de Bruxelles, lieu symbolique d’un système au coeur de nos maux. Les partis envoyèrent tous une délégation plus ou moins prestigieuse mais ce qui semble avoir frappé les politiques, plus que les revendications sur lesquelles ils étaient invités à se prononcer, c’est la maigreur de la mobilisation autour de l’événement, ce que le Ministre Magnette venu représenter le PS ne manqua pas de relever avec une pointe d’ironie en disant espérer « que vous serez plus nombreux une prochaine fois ».

En dépit de la pertinence de son message et de l’urgence de son combat, le mouvement environnemental ne peut pour l’instant se prévaloir d’un soutien populaire actif et engagé. En jouant la carte de la mobilisation et de la visibilité, il risque donc de facto d’afficher une faiblesse qui risque d’être son talon d’Achille dans le rapport de force à engager avec le politique. « Qui avale une noix de coco doit avoir confiance en son anus…»

S’il convient de poursuivre une action d’information et de sensibilisation en vue de favoriser une prise de conscience collective, le combat environnemental doit prioritairement exploiter ce qui fait sa force, à savoir son expertise et ses analyses que les constats de terrain confortent sans cesse davantage.

Les menaces sont désormais avérées et, même si leur obsession du court terme les empêche d’en mesurer l’exacte gravité, peu de politiques les ignorent encore. Il faut donc « travailler au corps » ces politiques, argumenter, les confronter au caractère incontestable des faits pour les convaincre de l’importance de ne plus attendre et de l’intérêt à agir vite et fort.
C’est là, dans ce lobbying pointu et argumenté que les choses se jouent pour l’instant. Il ne faudrait pas l’oublier et disperser ses forces car « l’oiseau qui chante ne sait pas faire son nid »

Extrait de nIEWs (n°77, du 10 au 24 juin 2010),

la Lettre d’information de la Fédération.

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