Réconcilions écologie locale et écologie globale

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La défense d’enjeux écologiques locaux semble parfois entrer en conflit avec la défense d’enjeux écologiques globaux (et vice-versa). Les défenseurs de sites remarquables s’opposent logiquement à tout projet d’infrastructure qui pourrait détériorer ces lieux. Dans certains cas, il peut s’agir de projets qui s’inscrivent dans la réponse aux défis écologiques globaux. On pense à l’implantation d’éoliennes, mais il peut s’agir d’autres projets, tels que des infrastructures ferroviaires, ou même des voies de cheminement piétonnes ou cyclistes. De même, les défenseurs de l’environnement global – climatique notamment – pourront promouvoir des projets qui impactent les environnements locaux où ils sont implantés. Est-il possible de (ré)concilier ces deux approches, et comment ?

La volonté des hommes de protéger leur environnement naturel n’est pas neuve. Des traces historiques non exhaustives font état de l’existence dès le VIIe siècle d’une législation pour protéger les oiseaux sur les Iles Farnes (Angleterre), d’un combat pour la protection d’arbres en Inde en 1720, d’une pétition menée par Benjamin Franklin en 1739 contre les décharges de déchets des tanneries[Voir notamment [cette chronologie de l’environnementalisme.]].

Ces combats locaux font figure de vétérans face à la toute jeune conscience de l’existence d’enjeux écologiques globaux, qui se diffuse depuis une cinquantaine d’années à peine. On oublie trop facilement à quel point la perspective humaine face à l’environnement a radicalement changé sur le temps très court d’une vie, avec l’atteinte, puis le dépassement des limites de notre planète.

Les conséquences environnementales de la rotondité de la Terre – Ératosthène en a calculé le diamètre il y a plus de 22 siècles – sont loin d’être pleinement intégrées à la pensée humaine aujourd’hui encore : une planète ronde est finie, par définition. Et cette finitude est lourde de conséquences. Les changements climatiques et la nécessaire limitation des émissions de gaz à effet de serre, sont ainsi une expression particulièrement marquante du caractère fini de notre planète. Il y en a d’autres, comme la finitude des ressources naturelles – dont la fin du pétrole facile à exploiter – la dégradation des milieux aquatiques et terrestres incapables d’absorber des pollutions trop importantes, ainsi que la perte de biodiversité et les nuisances pour la santé humaine qui résultent de ces pollutions. Le sol et son usage est aujourd’hui un enjeu majeur à l’échelle planétaire. La Terre est unique, la Terre est finie.

Après une longue histoire d’extension ininterrompue du territoire sur lequel les sociétés humaines se sont construites, période caractérisée par des logiques de croissance matérielle, de productivisme et d’accumulation sans limites, la perspective humaine a ainsi radicalement changé.

Ce changement est récent. Ce changement est fondamental.

Il en résulte de nouvelles contraintes. Auparavant, l’amélioration de l’environnement local pouvait, comme toute autre activité humaine, se faire sans prendre de contraintes globales en compte. Ainsi, le passage aux énergies fossiles à partir du XIXe siècle permit, entre autres, d’alléger la pression humaine sur les ressources forestières, jusque là principales pourvoyeuses d’énergie pour les sociétés humaines. L’Europe notamment, largement déboisée pendant des siècles a ainsi vu cette tendance ralentir puis s’inverser. L’homme a pu, dans une certaine mesure, protéger son environnement local en externalisant sur des ressources globales la tâche de lui fournir la matière et l’énergie nécessaires au développement de son activité.

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Lande de Streupas. Crédit photographique : Noé Lecocq

Il s’avère aujourd’hui évident que cette voie ne pourra plus être poursuivie fort longtemps. La pression sur les ressources globales dépasse largement leur taux de renouvellement, et les conséquences de leur exploitation touchent désormais toute l’humanité, ou presque. L’action locale ne peut plus faire abstraction des enjeux globaux : Il serait absurde de restaurer un meuble ancien qu’on garderait dans une maison dont le toit perce de toute part. Il en va de même avec la conservation de parcelles de nature qui, même clôturées et rendues inaccessibles aux activités humaines, risquent d’être bouleversées par les conséquences des dérèglements climatiques.

sans-titre-2.jpg Johan Rockström et ses collaborateurs ont identifié 9 limites planétaires à ne pas franchir sous peine de provoquer des basculements environnementaux abrupts qui nous feraient quitter un état environnemental garantissant une certaine sécurité pour l’homme (zone verte dans le diagramme). La biodiversité, le climat et le cycle de l’azote ont déjà dépassé le seuil de danger. Ces travaux importants ont fait l’objet d’un article publié dans le journal Nature en 2009 : Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity, Il est accessible, avec d’autres contenus tels qu’un enregistrement vidéo d’une conférence donnée par l’auteur, via ce lien. Vous trouverez également une recension en français sur notre site.

Il faut ajouter que même en ignorant les enjeux globaux, la conscience se développe aussi sur le fait que l’utilisation de ressources « globales » revient dans bon nombre de cas à reporter le fardeau environnemental sur d’autres communautés locales. Que l’on songe aux mines de charbon, à l’exploitation des gaz de schistes, ou au pétrole, les exemples ne manquent pas : des plateaux du Shanxi aux collines du Colorado, du delta du Niger – il faut voir ce reportage sur une pollution qui s’étend sur une superficie de la taille du Portugal – aux forêts de l’Alberta, l’extraction, le transport, la transformation, et la combustion des combustibles fossiles ont bien d’autres effets néfastes que les seules émissions de CO2. L’extraction d’uranium – au Niger notamment – apporte aussi son lot de dégâts environnementaux et sanitaires pour les communautés locales.

La protection de l’environnement est donc devenue plus complexe. Dans une certaine mesure, la question pertinente est devenue : Comment répondons-nous (plus) localement à nos besoins de matière et d’énergie ? Quels choix sommes-nous prêts à faire entre la volonté de préserver notre environnement direct et la nécessité d’y puiser les ressources dont nous avons besoin ?

Avant d’aborder frontalement cette question, il convient de l’adoucir autant que faire se peut. La piste qui rassemble défenseurs de l’environnement local et défenseurs de l’environnement global est celle de la diminution de notre usage de ressources. Il importe, au-delà de sa récurrence dans les discours, de la mettre prioritairement en œuvre. Même économiquement rentable, elle implique déjà d’importantes résistances qu’il faut se donner les moyens de surmonter.

Mais cette indispensable diminution de notre empreinte n’évitera pas totalement les situations où des choix devront être faits. Quelle place accorder aux énergies et autres ressources produites sur nos sols européens ? Éolien, hydroélectricité, géothermie, bois-matière et bois énergie, alimentation, mines et carrières… auxquels il convient d’ajouter les infrastructures de transformation et de transport de ces ressources : la longue liste des candidats à l’utilisation de nos sols reflète la liste de nos besoins de ressources. Chacun de ces candidats présentant certaines caractéristiques propres – notamment des impacts locaux et globaux – à prendre en compte.

Peut importe in fine que l’environnement local ou l’environnement global soit la motivation première de notre engagement. Un dialogue sincère et responsable est nécessaire pour arriver à une convergence qui concilie au mieux les échelles locales et globales. Cette démarche est inévitable pour qui souhaite construire et léguer aux enfants de ses enfants un monde où la beauté de la nature reste une expérience sensible accessible à chacun.

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Vallée de la Semois – Crédit photographique : Noé Lecocq