RESA III, prince des crues législatives, livre-nous tes secrets

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RESA III un pharaon de la Haute-Egypte ? Non: c’est un projet de décret. Il a néanmoins à voir, vous le verrez, avec les crues du Nil et les hiéroglyphes.
Pour lire jusqu’au bout cet article qui se veut pédagogique (hm…), il faudra un peu, je le crains, vous accrocher. C’est que l’aménagement du territoire, matière familière et pratiquée par tout un chacun, affaire de bon sens d’abord et de culture ensuite (culture simple à acquérir d’ailleurs : regarder, interroger sur ce que l’on a sous les yeux : est-ce si difficile ?) , l’aménagement du territoire tout comme son petit frère l’urbanisme ont quitté les chemins du sens commun pour s’enfoncer peu à peu dans un hermétisme qui les isole des citoyens, des électeurs, disons plus largement « des gens ». Dommage, car c’est un grand enjeu démocratique que de définir les règles selon lesquelles sera aménagé cet espace que nous avons en commun d’avoir tous, et ensemble, sous les pieds. Ce RESA III, décret « de Relance Economique et de Simplification Administrative », troisième du nom, est aussi ambitieux que vivement contesté. L’objet de cet article est d’en donner un aperçu, vu de notre point de vue de fédération environnementale. Que le lecteur non initié, d’emblée, nous pardonne l’aspect parfois inextricable de la matière, du au nombre de pré-requis dont elle suppose la maîtrise ; les textes étant ce qu’ils sont, il n’est guère possible de les commenter autrement. Mais il vaut la peine de tenter de comprendre ce que veut faire ce projet, car il est extrêmement révélateur de la manière dont les choses se gèrent aujourd’hui en Wallonie.
Petit tour donc, et commentaire, des grands aspects de la réforme.

1. Multiplication cellulaire… ?

Les assidus de l’aménagement du territoire se souviendront qu’aujourd’hui déjà, les révisions de plan de secteur considérées comme urgentes sont traitées non plus par l’administration « ordinaire », mais par une Cellule de développement territoriale faite de fonctionnaires détachés auprès du Cabinet. Logique douteuse si il en est, car l’appartenance des services administratifs à un corps hiérarchisé n’est pas sans causer certaines lourdeurs, c’est vrai, mais est aussi ce qui garantit aux citoyens et aux entreprises que leurs dossiers seront traités avec équité. Une équité qui, en Wallonie, va se désagrégeant : en quoi le dossier du centre de loisirs d’Antoing (traité par ladite cellule) est-il plus urgent que les dossiers traités par l’administration, par exemple, les nombreux dossiers de l’industrie extractive ? On pourrait légitimement se poser la question…

Le projet de décret propose pourtant de poursuivre cette logique. Il assure une base décrétale à la « cellule de développement territorial » qu’il coiffe d’une « délégation générale au développement territorial », dont la mission sera d’assurer la coordination entre les missions de la Conférence permanente du développement territorial visée à l’article 12 et les missions confiées par le Gouvernement à la Cellule de développement territorial qu’il institue. Ce n’est pas tout. Le service des recours de l’administration (ex DGATLP, aujourd’hui DG04) serait remplacé par une Délégation générale aux recours. Ainsi donc, l’administration se voit peu à peu substituer des appendices au Cabinet, nommés par le Ministre et révocables par lui, censés fonctionner plus vite et mieux que l’administration, tout cela sans qu’aucune analyse préalable n’ait jamais étayé ce postulat. On ne peut que s’étonner de cette façon de procéder : ne vaut-il pas mieux résoudre les problèmes inhérents à une structure (et d’abord en faire le diagnostic !) plutôt que de reconstruire à côté de celle-ci une structure parallèle, ce qui fatalement multiplie les coûts, et nuit à la clarté du fonctionnement institutionnel ?

2. Outils planologiques : le grand chambardement ?

Second grand volet de la réforme, la planologie est revue de manière assez fondamentale. Les schémas de structure pourraient être revus et modifiés partiellement (actuellement toute révision est totale en principe). Les rapports urbanistiques et environnementaux (RUE), ces documents d’aménagement qui servent à mettre en ½uvre les zones d’aménagement différé (les réserves foncières du plan de secteur), pourraient être étendus à toutes les zones dudit plan. Les plans communaux d’aménagement quant à eux changeraient fondamentalement d’esprit : actuellement, le plan communal d’aménagement (PCA) est un document fouillé, qui précise les affectations du plan de secteur, fixe le tracé de la voirie, l’alignement[[L’alignement est la limite entre le domaine public et le domaine privé. Il est fixé soit par un plan d’alignement, soit par un plan communal d’aménagement, soit encore par le permis de lotir.]] et les gabarits, et comporte un règlement sur la bâtisse. La réforme, sans supprimer ce PCA « usuel », ouvrirait la porte à un « PCA révisionnel » fixant uniquement les affectations et pouvant s’écarter des plans de secteur sans respecter le conditions de la dérogation, artifice rendu possible par le fait que le PCA serait « hissé », dans la hiérarchie des normes, au même niveau que les plans de secteur. Dans la foulée, le PCA pourrait être initié par un privé, comme peuvent l’être depuis peu les révisions de plan de secteur.

Enfin, le permis de lotir disparaît au profit d’un « permis local d’urbanisation ». Celui-ci comporterait l’option urbanistique d’ensemble de la zone à aménager, l’option architecturale d’ensemble du bâti futur ainsi que des prescriptions d’ordre esthétique relatives aux constructions et à leurs abords; enfin, il inclurait le dossier relatif à la voirie si celle-ci est modifiée par le projet. Ce PLU donnerait donc des orientations en matière d’urbanisme et d’architecture ; outre cela, il tiendrait lieu de permis en matière de voirie.

Il y a dans tout cela maintes idées non dénuées d’intérêt. Par exemple, le RUE est un outil pertinent par son échelle, son contenu et son niveau de précision. Le généraliser rencontrerait certainement bien des attentes sur le terrain, dans les communes notamment. Toutefois, la planologie ainsi revue manque de la plus élémentaire rigueur. Schéma de structure partiel et RUE empiètent l’un sur l’autre : comment choisir entre ces deux outils ? Le PLU, au vu de son contenu, est moins un permis qu’un mini-PCA : quelle interférence avec le plan communal ? Le PCA « nouvelle mouture » devient un outil d’affectation, mais de nombreux PCA « ancienne mouture » continueront à survivre alors que leur contenu correspond à une partie du Code désormais abrogée : comment le citoyen va-t-il s’y retrouver ? Quant à l’idée d’un PCA de même niveau que le plan de secteur, certes elle résout d’un coup de baguette magique toutes les difficultés, juridiques et administratives, liées aux révisions desdits plans de secteur, mais elle viole le principe de hiérarchie des normes à son niveau le plus élémentaire. Manque de vision d’ensemble et impréparation : ce volet de la réforme doit retourner sur le métier.

3. CWATUP-fantôme mais notaire au charbon

Le permis de lotir, nous l’avons dit, disparaîtrait au profit d’un permis local d’urbanisation (PLU). Contenant des « options » urbanistiques et architecturales, pas forcément accompagné d’un document cartographique d’ailleurs, le PLU ne fixerait plus la limite des lots à créer ; il ne serait d’ailleurs obligatoire qu’en cas d’ouverture de voiries. C’est au notaire que désormais reviendra la double responsabilité de fixer les limites des lots, et de communiquer, entre le compromis de vente et la signature de l’acte, le projet de division à la Commune. Celle-ci pourra alors décider d’imposer un PLU, décision dont le notaire seul peut demander la reconsidération. Ce volet pose des questions sans fin quant au rôle ainsi dévolu au notaire. Sa fonction est de garantir l’authenticité et la légalité des actes qui sont passés devant lui: lui appartient-il d’argumenter qu’un permis d’urbanisation n’est pas nécessaire sur les terrains de ses clients par exemple ? Il pose aussi des questions pratiques : pas très agréable pour un candidat acheteur, de se voir signifier l’obligation d’un PLU après son compromis de vente ! De telles situations sont aussi génératrices d’incertitudes pour les immobilières, qui comme toute entreprise ont besoin d’un minimum de prévisibilité pour assurer la bonne gestion de leurs affaires.

Enfin, si les procédures relatives au permis de lotir devaient être abrogées comme prévu par le décret en projet, les permis de lotir actuels (il y en aurait 385 000 en Région wallonne) n’en continueraient pas moins d’exister avec leurs prescriptions urbanistiques ; ils seraient gérés par le biais des mesures transitoires. A l’ombre du CWATUP en vigueur, survivraient ainsi des dispositions abrogées qui continueraient de s’appliquer à des milliers de dossiers. Ce dispositif, note l’Union des Villes et des Communes dans son avis sur le projet de RESA III, sorte de Cwatup fantôme, rend opaque tout un pan de l’aménagement qui augmentera l’incompréhension des milliers de citoyens concernés tout en étant susceptible de créer de nouveaux contentieux.

4. Zones d’activités : des privés aux commandes ?

Le CWATUP n’est pas la seule législation concernée par le projet de décret : celui-ci modifie aussi le décret dit « infrastructures » d’expansion économique, c’est à dire la législation qui règle la subsidiation de l’achat et de l’équipement de terrains destinés à accueillir l’activité économique. Rappelons qu’en vertu de cette législation, un opérateur (Commune ou intercommunale) peut faire reconnaître un « périmètre de reconnaissance » qui lui ouvre l’accès aux subsides de l’expansion économique. Cette reconnaissance de périmètre se fait au travers d’une procédure instruite par l’administration de l’économie et de l’emploi, plus précisément la Direction de l’équipement des zones économiques (DEZI). Ce périmètre a donc une fonction économique ; mais il a aussi un impact en matière d’aménagement du territoire, car la dérogation au plan de secteur y est permise pour étendre une entreprise existante.

Par rapport à tout cela, le projet de décret prévoit deux grosses nouveautés, qui prennent tout leur sens lorsqu’on les considère ensemble.
La première concerne la possibilité pour les opérateurs (ce sont actuellement les intercommunales ou les communes…) d’obtenir, pour la réalisation d’infrastructures ou pour l’extension d’une entreprise existante, un permis conjoint qui vaut tout à la fois permis d’urbanisme, permis d’environnement et périmètre de reconnaissance. Tant qu’à faire, si le projet se situe dans une zone d’aménagement différé, industrielle ou non, ce permis vaut également RUE, et met automatiquement la zone en oeuvre. La seconde donne aux privés la possibilité de devenir opérateurs pour peu qu’ils soient « désignés par le Gouvernement », ce qui leur permet de solliciter la reconnaissance d’un périmètre, et donc la dérogation au plan de secteur. En outre certains subsides de l’expansion économique seraient accessibles à certains privés : les très nombreuses filiales des grands Invests wallons[Il y a actuellement 9 invests wallons ([voir le site de la SOWALFIN). On trouve aussi sur le Web la liste des très nombreuses sociétés relevant de ces invests : voir par exemple http://www.namurinvest.be/NamurInvest-societes-participees.php]] pourraient, à condition d’être à cet effet « désignées par le Gouvernement », les solliciter pour la création d’incubateurs, de centres de services auxiliaires, de halls relais, d’atelier de travail partagé, de centre d’entreprises ou d’équipements communs auxiliaires destinés à favoriser la création, l’implantation ou le développement d’entreprises implantées ou à implanter au sein des espaces destinés à accueillir des activités économiques.

Voilà qui ouvre des perspectives nouvelles. N’ouvre-t-on pas ainsi le chemin vers le stade suivant, qui consisterait à donner directement aux entreprises les subsides « infrastructures ? Et quid de l’expropriation, qui reste – pour l’instant – le privilège des opérateurs publics : ne se trouvera-t-il pas quelque bon esprit pour trouver un jour qu’il y a là un frein au dynamisme économique, frein qui serait levé si chacun pouvait exproprier pour son propre compte ?

5. Privatisation
Plans de secteur et maintenant PCA initiés par des privés, accès partiel aux subsides de l’expansion économique pour les entreprises filiales des Invests… la Wallonie se privatise. Car enfin pourquoi payer encore de coûteux organismes publics ou parapublics alors que les entreprises feraient très bien elles-mêmes – do it yourself – leurs propres plans d’aménagement ?

Le CWATUP lui-même contient une réponse à cela : parce que le territoire est le « patrimoine commun de ses habitants ». Le privé, entreprise et individu, n’est pas le détenteur de l’intérêt général ; il n’est censé défendre qu’un intérêt très partiel, le sien. L’idée de faire gérer le territoire par l’entreprise peut apparaître pratique et facteur de dynamisme, mais cette idée fait l’impasse sur cette réalité, que l’intérêt général ne se réduit pas à la somme d’intérêts privés : il est le résultat d’un arbitrage fondé sur des valeurs démocratiquement choisies. Cet arbitrage ne peut donc être réalisé que par des institutions publiques, placées sous contrôle démocratique. Voici une première chose que les auteurs du texte semblent avoir perdu de vue.

Il en est d’autres. Des privés pourront solliciter des périmètres de reconnaissance à condition d’être désignés par le Gouvernement » ; de même, parmi les filiales des Invests, seules auront accès aux subventions celles désignées par le Gouvernement ». Les privés pourront solliciter la mise en révision d’un plan de secteur, au besoin par PCA révisionnel à une seule condition: que la mise en révision soit approuvée par le Gouvernement… Selon quels critères ces heureux élus seront-ils choisis ? N’est-il pas temps de définir un cadre à l’exercice de tels pouvoirs ? Cette législature a vu s’étendre, de réforme en réforme[[voir nIEWs n°28 : compensations, une saga wallonne pour l’automne ?]], les pouvoirs discrétionnaires confiés au Gouvernement. Une telle expansion n’est pas compatible sans limite avec le principe même d’un Etat de droit, qui veut que les gouvernants n’agissent que dans un cadre limitatif de leurs pouvoirs.
Il y a dérive, c’est clair ; une dérive due, non pas à la mauvaise volonté ni à une quelconque intention d’atteindre au cadre démocratique, nous en sommes convaincus ; mais probablement davantage à des lacunes dans la culture du pouvoir.

6. Et demain ?

Quel est l’avenir de cette réforme ? A l’heure où nous écrivons ces lignes, officiellement le projet de décret s’achemine vers une seconde lecture au Gouvernement puis sera soumis à l’avis du Conseil d’Etat. Officieusement, il semble que les choses soient remises déjà en question de façon assez fondamentale. Parmi les nombreuses réactions qu’a suscité le projet de décret, l’une des plus vives est venue de l’Union des villes et des communes. A l’unanimité de ses membres, l’Union demande que l’ensemble de la réforme soit suspendue pour permettre, dans un premier temps, une évaluation globale des politiques et outils de l’aménagement du territoire en vue, dans un second temps, d’élaborer, en partenariat avec l’ensemble des acteurs concernés, un projet structuré pour le développement territorial de la Wallonie. En cause, certains aspects de la réforme qui posent des questions techniques non résolues (comme le PLU par exemple) mais, plus fondamentalement, le sentiment qu’ont les communes qu’au fil des réformes, elles se font peu à peu « déshabiller » de leurs compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement. Les fonctionnaires communaux, en outre, crient grâce sous l’avalanche des réformes touchant ce Code qu’ils manipulent au quotidien, en portant la responsabilité des fautes qu’ils pourraient commettre, et qu’ils n’arrivent plus toujours à éviter tant la matière est devenue (inutilement) complexe. Dans cette logique, RESA III n’est pas qu’un décret critiquable sous certains aspects, il est aussi la goutte qui fait déborder le vase des communes, élus et fonctionnaires confondus.
Il n’est donc pas certain que ce décret arrive entier au Parlement. Si tel devait être le cas, espérons au moins que les Parlementaires seront attentifs à ne voter que des textes intelligibles à ceux qui sont censés ne jamais les ignorer…

Vous avez lu cet article jusqu’ici ? Vous êtes bien courageux. RESA III n’est donc pas un pharaon, vous l’avez compris. Mais, tel le Nil gonflé périodiquement par ses crues, le CWATUP a des poussées d’inflation qui deviennent récurrentes, et l’hermétisme dans lequel il s’enferme commence à évoquer un papyrus couvert d’hiéroglyphes. Voilà qui est un peu facile, j’en conviens… mais après le reste, céder à la facilité n’est-il pas bienvenu ?

Canopea